Le fixing du prix de l’or, le
mécanisme qui détermine deux fois par jour le prix auquel le plus gros des
échanges d’or physique sont effectués, est actuellement en phase de
transformation. Par le passé, cinq banques commerciales basées à Londres
s’entretenaient par téléphone avec leurs clients pour déterminer le prix
auquel ces transactions étaient effectuées. C’était là un moyen efficace
d’établir un prix de l’or fiable pour les échanges d’or.
Participaient également à ce
marché des traders et spéculateurs (je perçois le Comex comme un marché
financier, puisque 5% de ses contrats impliquent le déplacement de métal physique).
En négociant sur les réserves d’or marginales (hors des ventes liées à des
contrats, qui représentent le gros de l’offre physique), les traders et
spéculateurs ont eu une influence disproportionnée sur le prix de l’or. Alors
que le monde développé recevait 80% des flux monétaires globaux jusqu’en
2000, il a également régné sur le marché de l’or global.
Londres – le cœur du marché
de l’or
Des siècles durant, Londres
est resté le centre global du marché de l’or, notamment sous l’étalon or,
alors que Londres importait plus de 1.000 tonnes d’or sud-africain par an.
Londres a été capable de maintenir son rôle en tant que centre financier et
marché de l’or mondial. Les standards ainsi que les personnes impliquées sur
ce marché lui ont permis de dominer le marché physique de l’or jusqu’à ce
jour.
Au cours de ces dernières
années, le système de détermination du prix de l’or de Londres a été jugé
dépassé et a été accusé de manipulation, souvent sous l’influence des
gouvernements. Bien que ces accusations comportent un élément de vérité,
elles ne sont pas justifiées pour ce qui concerne les opérateurs
professionnels individuels du marché de l’or de Londres.
Les pires manipulations du
prix de l’or ont eu lieu en 1933, alors que le dollar se trouvait dévalué par
rapport à l’or, et après 1985, alors que les banques centrales ont accéléré
la production d’or pour inonder le marché, tout en décrétant vouloir vendre
leurs 30.000 tonnes de métal sur le marché. Ces manipulations ont pris fin en
2009. Depuis lors, des traders individuels ont manipulé les prix, non
seulement sur le marché de l’or, mais aussi sur les marchés des taux
d’intérêt, et des enquêtes ont encore lieu aujourd’hui concernant d’autres
affaires de manipulation des marchés financiers. L’idée générale reste
cependant que le marché de l’or a été géré par des personnes capables et
professionnelles.
Les banques commerciales qui
ont majoritairement opéré sur le marché de l’or ont aussi été responsables de
la livraison de l’or acheté sur ce marché vers les marchés globaux. Comme
nous avons pu le voir récemment, les banques peuvent tirer de gros revenus de
l’inefficacité des chaines de distribution, qui invite l’établissement de
premiums sur les marchés comme ceux de Shanghai et de l’Inde. Ces premiums
s’ajoutent à ceux des banques, et n’encouragent pas une amélioration du
système de distribution ou la baisse de ces premiums.
La montée en puissance du
monde émergent
D’ici à 2020, le monde
émergent devrait profiter de 65% des flux monétaires globaux, contre 35% pour
le monde développé. Ce transfert de richesses et de pouvoir vers l’est
donne vie à un marché de l’or radicalement différent. Dans le monde
développé, le système de devises liées au dollar a éloigné les Occidentaux de
l’or pour les forcer vers les devises nationales. Le marché de l’or est donc
moins lié à la vie financière qu’il a pu l’être au fil de l’Histoire. Avec le
développement de marchés d’actions aurifères et de produits dérivés (contrats
à terme et options), le gros de la demande en or physique a beaucoup diminué
en Occident.
La conséquence en a été la
dominance des grosses banques occidentales sur les marchés et ses
participants. Le pouvoir des volumes monétaires qu’elles brandissent sur les
marchés financiers leur a permis de devenir les maîtres des prix.
Mais à mesure que les marchés
émergents ont vu leur pouvoir, leur capital et leur production minière se
développer, leur capacité à déterminer les prix aurait dû s’accroître aux
dépens de l’Occident pour refléter le pourcentage représenté par la Chine et
l’Inde par rapport à la demande globale. Mais la condition requise était
l’efficacité des marchés. Les institutions qui opéraient autrefois les
marchés de l’or ont conservé leur pouvoir sur la distribution et les marchés.
Ensemble, le Proche-Orient, la
Chine et l’Inde représentent 75% de la demande globale. La Chine, avec 430
tonnes chaque année, est également le plus gros producteur global. Pourquoi
le marché de l’or ne reflète-t-il pas les changements fondamentaux de l’offre
et de la demande ? Tout est question de présence sur le marché de l’or,
des produits offerts et de la facilité avec laquelle ils se déplacent entre
les différents marchés. Le marché de l’or chinois est toujours en
développement en termes de détermination de prix. Le pays s’est beaucoup
développé en termes d’or utilisé au sein de son système financier, et
continue d’étendre son système de distribution domestique vers l’ouest, bien
que nous devrons certainement attendre encore longtemps avant qu’il ne couvre
l’ensemble du pays. Plus important encore, son absence du marché de l’or de
Londres, en termes de participation, a empêché son marché de l’or d’avoir de
l’importance. La même chose peut être dite de l’Inde, où les banques
occidentales continuent de dominer la distribution.
Il est évident que la Chine
n’est plus satisfaite de devoir utiliser les banques de Londres comme source
unique d’or étranger. C’est pourquoi elle accueille à bras ouvert la
transformation du fixing de Londres, et cherche à l’intégrer. Le 20 mars
dernier, le fixing de Londres a été transformé en un système de détermination
de prix impliquant des banques globales ainsi que les banques du LBMA qui
opéraient autrefois le fixing. Ce nouveau mécanisme électronique devrait
opérer plus efficacement et équilibrer le prix global, ainsi que diminuer
l’influence des banques de Londres sur le prix de l’or.
Il existe à l’heure actuelle
un premium de 5 dollars par once sur le prix de Londres sur les marchés
chinois. Les banques chinoises que sont Bank of China Ltd, China Construction
Bank Corp et ICBC devraient bientôt intégrer le nouveau prix de l’or de
Londres. La capacité du marché chinois à déterminer les prix en sera
espérons-le impacté.
Si le premium appliqué au prix
de l’or venait à disparaître en Chine, c’est que ce phénomène se sera
produit. Gardez à l’esprit que l’Industrial and Commercial Bank of China Ltd.
est déjà la plus grosse banque du monde en termes de commerce de l’or au
détail. Non seulement les banques chinoises devraient opérer en vue de
supprimer le premium sur le prix de l’or en Chine (qui aujourd’hui accroît le
profit des banques qui vendent de l’or en Chine) mais aussi de rendre le
marché global plus efficace.
Puisque le marché de l’or
chinois est à sens unique (aucune exportation n’est permise), les banques
chinoises établiront peut-être une mise en commun de liquidités qui permettra
aux ordres de vente chinois d’être passés à Londres sans que du métal ne
quitte la Chine. Notons que les ventes d’or sont très peu importantes en
Chine. Cette mise en commun pourrait faciliter l’arbitrage des opérations qui
équilibreront les prix globaux et feront du marché de l’or chinois le marché
à double-sens qu’il devra devenir pour refléter la demande et l’offre
globale. En retour, nous pourrons avoir accès à un marché de l’or ouvert 24
heures sur 24.
La transformation de barres de
400 onces en barres d’un kilo auquel nous assistons aujourd’hui au travers
des affinages effectués en Suisse comme ailleurs finira par améliorer la
fluidité des produits sur les marchés globaux. La présence de banques
chinoises à Londres pourrait accélérer ce processus.
Vers un fixing de l’or en
yuan avant la fin de l’année ?
Les Chinois ont annoncé qu’ils
établiront avant la fin de l’année un système de fixing du prix de l’or en
yuan à Shanghai. Nous estimons qu’aux côtés des développements décrits
ci-dessus, un tel fixing sera pris à cœur par les marchés, dans le monde
émergent comme dans le monde développé. Le fait que le prix de l’or soit fixé
en yuans garantira l’adoption du yuan par le monde de l’or, et des échanges
en yuans qui ne nécessiteront pas un passage par le dollar, l’euro ou la
livre sterling – qui présentent des risques distincts.
Puisque le gouvernement
chinois encourage l’utilisation du yuan à l’échelle internationale, il n’en
faudra pas beaucoup pour que les entités étrangères et les banques centrales
commencent à en accumuler. Cela n’affectera pas le marché de l’or, mais
simplement les marchés des devises globales. Après tout, l’or est perçu comme
une alternative à toutes les autres devises.
|