La mésentente entre la Chine
et le Japon au sujet des îles Senkaku – ou Diaoyudao, comme on les appelle en Chine – est
constamment attisée. Les îles sont l’objet d’actions symboliques, de provocations
militaires soigneusement orchestrées, d’études « savantes »,
d’articles de journaux, de discours gouvernementaux et d’autres artifices. Et
les entreprises japonaises, notamment les constructeurs automobiles, ont
versé des sommes monumentales à la Chine, où les ventes ont plongé à la fin
de l’automne 2012.
Mais aujourd’hui, les
décisions prises les unes après les autres par les entreprises japonaises
frappent de plein fouet l’économie chinoise, à une heure où elle pourrait
très bien s’en passer.
Le fait que la cour maritime
de Shanghai ait saisi un cargo japonais transportant du minerai de fer n’a
bien entendu pas amélioré la situation. Son propriétaire, Mitsui O.S.K Lines Ltd., « refuse encore de se plier à ses
devoirs », a déclaré la cour. Ces « devoirs » remontent à
1936, juste avant la deuxième guerre sino-japonaise, alors que le chinois Zhongwei Shipping Co. prêtait deux cargos à Daido Kaiun, le prédécesseur de
Mitsui O.S.K. Les deux navires ont été rapidement confisqués sans
compensation par les militaires japonais, et ont coulé en 1944.
Les membres de la famille du
fondateur de Zhongwei ont d’abord porté plainte au
Japon, mais ont perdu le procès. En 1988, ils ont porté plainte auprès de la
cour maritime de Shanghai. En 2007, la cour a demandé à Mitsui O.S.K. de payer
28,3 millions de dollars de dommages et intérêts.
D’autres plaintes ont été
déposées contre des sociétés japonaises, leur demandant des compensations
pour divers dommages, dont l’usage de travail forcé. Les autorités chinoises,
signataires du traité sino-japonais de 1972 selon lequel la Chine ne pourra
demander de compensation pour dommages de guerre, les ont depuis longtemps
oubliées. Mais en mars dernier, comme pour indiquer au monde que la lune de
miel était terminée, une cour de Pékin a autorisé pour la première fois à
l’une de ces plaintes d’être entendue.
La saisie du cargo était une
nouvelle « démonstration de ce que les autorités judiciaires se tiennent
prêtes à entreprendre », comme l’a expliqué une source à Asahi
Shimbun.
Le secrétaire adjoint du Cabinet
a jugé lundi la saisie du cargo comme « extrêmement regrettable ».
« Cette décision remet en question jusqu’aux fondations de l’accord de
1972 entre le Japon et la Chine, et pourra décourager les entreprises
japonaises de venir faire affaire en Chine ».
Et c’est exactement ce qu’il
se passe depuis des mois – ce qui heurte gravement la Chine.
Comme pour souligner le fait
que le Japon n'était pas prêt de se laisser intimider par la Chine, le
premier ministre Abe Shinzo a envoyé de jeunes
arbres « masakaki » en offrande au
sanctuaire de Yasukuni, qui rend hommage aux près
de 2,5 millions de Japonais morts pendant la guerre, dont 1.000 prisonniers
de guerre de la seconde guerre mondiale. Les visites de membres du
gouvernement au sanctuaire sont sources d’irritations pour la Chine et les
autres nations qui n’ont pas oublié les atrocités commises par les militaires
japonais sur leurs terres il y a plusieurs générations. Son offrande a été
rendue publique lundi,
et le nom d’Abe ainsi que son titre ont été inscrits sur une plaque devant
les arbrisseaux.
Au départ, alors que les
hostilités quant aux îles Senkaku naissaient en
Chine, les représentants de sociétés japonaises, pris de court par leur
aspect violent, ont pensé qu’elles finiraient par s’apaiser. Pour ce qui
était du commerce et de l’investissement, ils avaient jusqu’alors toujours
été capables de naviguer au travers des champs de mines politiques. A mesure
que les ventes des constructeurs automobiles, des détaillants et des autres
entreprises japonaises plongeaient en Chine, et que les sociétés Japonaises
faisaient face à des perturbations de toutes sortes, elles ont poursuivi
leurs projets d’investissement, et leurs investissements directs en Chine ont
même augmenté pendant plusieurs trimestres avant les évènements de 2012.
Mais depuis lors, le flux
d'argent japonais s'est tari. Les investissements directs des sociétés
japonaises ont diminué de 47,2% au
premier trimestre de cette année par rapport à l’an dernier, selon les
chiffres publiés par le Ministère chinois du commerce, pour enregistrer un
troisième déclin consécutif. Il s’agit là de la plus grosse baisse
d’investissements directs enregistrée depuis les mois de janvier à mars 2011,
alors que le tremblement de terre survenu à l’est du Japon et le tsunami qui
lui a fait suite ont forcé les sociétés à l’arrêt.
La Chine voudrait que les
sociétés japonaises – ou au moins leur argent et leur technologie –
reviennent chez elle. La semaine dernière, une délégation de 50 chefs d’entreprise
japonais s’est rendue en Chine, dirigée par Yohei Kono, ancien porte-parole de la Chambre des représentants
et aujourd’hui directeur de l’Association japonaise pour la promotion du
commerce international. Kono s’est entretenu avec
le Ministre chinois du commerce Gao Hucheng et le
Premier ministre Wang Yang. Après leur réunion, les officiels chinois ont
déclaré nécessaire de « mettre l’accent sut la séparation entre les
interactions commerciales et les confrontations politiques ».
Mais il était déjà trop tard.
Les sociétés japonaises perçoivent désormais des risques en Chine qui vont jusqu’à
l’appropriation de technologies par tous les moyens. Et elles ne pensent pas
les voir disparaître de sitôt. Au contraire, elles les pensent devenir de
plus en plus complexes, et potentiellement très coûteux. Elles ont donc
décidé de rediriger leur argent vers les terres fertiles et peu coûteuses du
Vietnam et d’autres pays d’Asie. Au détriment de la Chine.
Les sociétés japonaises sont
depuis toujours un élément essentiel du développement de l’économie chinoise.
Le retrait de leur expertise industrielle se produit à une heure où
l’économie chinoise est déjà en difficulté. Des années durant, elle a gonflé
grâce à ce qui peut paraître être une bulle sur le crédit, qui a engendré le
plus grand nombre de constructions d’infrastructures et de gros chantiers de
l’Histoire et généré des villes fantômes et une surcapacité industrielle à en
couper le souffle.
Mais aujourd'hui, la montagne
de dette du pays commence à s’incliner. La surcapacité menace des secteurs
entiers. La croissance économique ralenti, et la bulle sur le crédit est sur
le point d’exploser. La dernière chose dont la Chine a besoin est de voir
partir son plus gros investisseur étranger et ses technologies avancées. Mais
c’est ce qui lui arrive. Et les autres pays d’Asie se lèchent déjà les
babines à l’idée des yens qu’ils sont sur le point de compter.
Les entreprises japonaises se
jettent sur la monnaie tout juste imprimée par la banque centrale du Japon
pour l’investir à l’étranger, n’importe où sauf en Chine. Ironiquement, elles
ne tentent même plus d’investir au Japon. Je vous conseille de lire Total
Abenomics Fail Hits Industrial
Japan .