L’Histoire ne rime pas,
pas toujours. Mais ce n’est pas une si mauvaise chose pour le vers libre. La
Grèce est la Serbie de notre siècle – une nation pittoresque et reculée qui
se trouve ballotée, sans défense, au-devant de la scène géopolitique. L’Union
européenne, traînée par l’Allemagne, est sous stéroïdes financières.
Personne ne sait ce qui
se passera ensuite, ce qui ressortira des efforts de forcer cette pauvre
Grèce à promettre un remboursement de sa dette. Sans « restructuration »
- qui n’est autre qu’une banqueroute nationale virtuelle – il ne peut exister
aucune promesse tangible de remboursement. Les deux partis semblent avoir
épuisé leurs possibilités de sortie. L’Union européenne et ses alliés de la
Banque centrale européenne et du Fonds monétaire international ne peuvent
plus que prétendre adopter un comportement attentiste. Le gouvernement grec
ne peut plus que prétendre démanteler davantage ses services publics et son
système de versement de pensions retraite, sans quoi ses citoyens s’empresseraient
de le remplacer par un autre, possiblement pugnace et composé de Nazis du
parti de l’Aube dorée.
En arrière-plan, l’Espagne,
le Portugal, l’Irlande et peut-être même la France attendent de voir si la
Grèce sera capable de restructurer, parce que, soyez-en certains, ils
demanderont eux-aussi le même privilège. Une telle issue reste cependant
difficile, puisque la BCE prévoit actuellement le transfert du poids de la
dette depuis les grosses banques – qui sont responsables de l’accord de ces
prêts absurdes – vers les contribuables des Etats-membres, notamment les
contribuables allemands, qui se trouveront être les dindons de la farce quand
la contagion du défaut se répandra au travers du continent.
Cela implique bien
évidemment que quelque chose d’intéressant devrait arriver aux obligations
rattachées à toute cette dette. Leur valeur s’effondrera pour la simple
raison que la menace de non-remboursement fera flamber les taux d’intérêt
pour refléter l’actualisation du risque. Voilà qui devrait déclencher le
piège des swaps de produits dérivés de taux d’intérêt et des swaps de défaut
de crédit qui constituent le champ de mine financier le plus étendu de l’histoire
du monde. Les grosses banques qui ont supposément été protégées par le petit jeu
de dissimulation de la dette auquel s’adonne la BCE finiront par exploser face
au caractère irrécouvrable des obligations.
L’effet direct en sera
la disparition de la dette nominale – qui sera aspirée par un trou noir pour
ne plus jamais revenir. Le continent se découvrira bien plus pauvre qu’il ne
pensait l’être. Ces cinquante dernières années d’ingénierie financière
laisseront place à une souffrance méritée, pour avoir promu l’idée qu’il soit
possible d’obtenir quelque chose à partir de rien.
Le même destin attend
les Etats-Unis, la Chine et le Japon. Dans le cas des Etats-Unis, les
premiers signes de banqueroute sont visibles depuis un certain temps déjà
en-dehors des régions de bulles que sont New York, Washington et San
Francisco ; où nous pouvons être témoins des décrépitudes des bâtiments
et infrastructures – les villes entières laissées pour mortes, les centres
commerciaux presque vides si ce n’est pour un dernier magasin de perruques ou
bureau de poste, les ponts rouillés, les routes délabrées, les réseaux
ferroviaires dignes du Tiers-Monde. Et, plus triste encore, nous y sommes
témoins de populations autrefois ferventes, travailleuses et instruites,
emplies de rêves et d’espoir, qui ne sont aujourd’hui plus rien qu’une sous-classe
de sauvages tatoués habillés de vêtements d’enfants et qui passent leur temps
à faire usage de drogue et à abolir les derniers tabous sexuels.
C’est cette banqueroute
sociale et politique qui a jusqu’à présent joué le rôle de gouffre pour la dégénérescence
financière des Etats-Unis et l’entropie qu’elle génère. La classe financière
(les 1 pourcent à qui appartiennent 40% de l’économie financiarisée) se croit
certainement immunisée contre les conséquences de ses activités, notamment le
racket du peuple et sa fraude comptable au service du remplissage de
certaines poches. Elle doit vraiment penser que ce risque a été transféré au
camp de concentration du capital : le pool des produits dérivés. Mais le
risque, comme la rouille, n’est jamais complètement contenu. La dette ne
disparaît qu’avec la dissolution du capital, comme lorsqu’une agence cherche
à recouvrir un prêt automobile à quelques centimes pour un dollar.
La Réserve fédérale des
Etats-Unis, comme la Banque centrale européenne, est assise sur une pile d’obligations
qui représentent une promesse colossale de remboursement d’une dette qui ne
le sera jamais. Leur perte de valeur finira par être perçue pour ce qu’elle est :
la dissolution du capital national. Voilà qui pourrait se produire dès que l’Europe
décidera d’établir un précédent pour une perte de confiance totale en un
système voué à pourrir.