Évacués par l’OCDE et ses tours de passe-passe, les paradis fiscaux sont
de retour ! Sous cette appellation exotique résultant d’une erreur de
traduction, les « juridictions non coopératives » des technocrates
internationaux – qu’entre eux ils appellent « juridictions à
palmiers » – sont trop grosses pour être cachées ! La liste des
« trop grosses… » s’allonge donc : pour faire faillite, pour aller
en prison, pour être cachées… Il ne reste plus qu’à savoir comment les faire
maigrir.
Dans les discours qui ne manquent pas, et qui restent sans lendemain, il
n’est le plus souvent traité que de l’évasion fiscale des particuliers
(ce qui la rend presque sympathique, car peut-on être contre la liberté ?).
Sur le mode d’une indignation qui n’a pas encore été au bout de ses
surprises, l’éditorial du jour du journal « Le Monde » vilipende
ainsi les « riches particuliers », laissant prudemment poindre
une interrogation sur des banques françaises qu’il ne désigne pas encore mais
que tout le monde connait (une de ces précautions de langage qui sont
assimilés à de la connivence, comme si le temps des convenances n’était pas
révolu). S’il ne s’agissait que d’individus isolés, en effet !
Ce monde-là est opaque par construction, mais la vérité se révèle toujours
toute nue quand il devient loisible de la contempler : les paradis fiscaux
n’abritent pas seulement les grandes fortunes, ils sont le refuge de la
finance de l’ombre. On ne se lassera jamais assez de le répéter : le rapport
de dix à un qui existe entre le volume des actifs financiers et la taille de
l’économie mondiale n’est pas viable et doit être impérativement réduit !
Rapporté à certains pays, comme Chypre ou le Luxembourg, ou même la France,
cela donne des rapports qui donnent le tournis et aboutissent à la conclusion
que les États, c’est-à-dire notre représentation, n’ont pas les moyens de
régler la note quand elle se présente. Ce qui est le cas.
Hier c’était Wikileaks, aujourd’hui un
Consortium international de journalistes d’investigation inconnu du grand
public et rassemblant quelques poignées de journalistes croyant dur comme fer
à leur métier. Qui demain prendra la relève ? Tous les scandales sont à fleur
de peau et le danger n’est pas d’en révéler les mécanismes – et de donner des
noms, car ils existent – mais de s’en tenir à une dénonciation générale du
scandale, ce compagnon de mauvaise fortune du complotisme
dont on sait les lits qu’il prépare.
Si un appel devait être lancé, il ne serait pas dirigé vers les
politiques, car ils sont démonétisés, mais vers ce poncif qu’est la
société civile, c’est-à-dire à nous-mêmes ! Faisant appel à notre
connaissance des dysfonctionnements qui s’accumulent et dont nous subissons
le trop-plein, à la fois source de notre défiance et de notre angoisse
collective. N’ayant pas d’autres ressources, nous avons pourtant les
capacités de mettre en cause les mécanismes dont nous subissons les effets
dans la manière dont nous vivons, nous mangeons, nous consommons en général…
et nous mourons.
Une enquête mettait dernièrement en évidence que les Français ne se
défiaient pas seulement de leurs responsables politiques, mais également des
grandes entreprises et trouvaient dans ce qui était local, c’est-à-dire à
leur portée, leur refuge. Comme si le reste n’était pas atteignable, ce qui
illustre bien le problème. Ces conclusions renvoient à l’impasse dans
laquelle se trouve notre système de représentation démocratique et au pouvoir
limité des institutions de l’État dans notre monde globalisé.
Le capitalisme financier a trouvé dans les paradis fiscaux son refuge, les
résidences protégées derrière les murs desquelles dorment
un œil entrouvert, en attendant les occasions, les spéculateurs travestis
sous le manteau du marché, afin de faire fructifier un capital
improductif qui ne cesse de se reproduire en se multipliant. Une seule
décision suffit : couper toutes relations avec eux, ils mourront car nous les
nourrissons !
Billet
rédigé par François Leclerc
Son livre, : « LA
CRISE N’EST PAS UNE FATALITE » – 280 pages, 13 €.
vient de paraître
Un « article presslib’ » est libre de reproduction numérique en tout
ou en partie à condition que le présent alinéa soit reproduit à sa suite.
Paul Jorion est un « journaliste presslib’ » qui vit exclusivement de ses droits d’auteurs
et de vos contributions. Il pourra continuer d’écrire comme il le fait
aujourd’hui tant que vous l’y aiderez. Votre soutien peut s’exprimer ici.
|