(Article originellement publié sur Forbes.com le 18 janvier 2012)
http://www.forbes.com/sites/nathanlewis/2013/01/18/mind-bending-idiocy-is-the-reason-we-dont-have-a-gold-standard-today/
Ce qu’il y a de plus étrange au sujet du paradoxe de Triffin n’est pas que Robert Triffin
ait décrété quelque chose au milieu des années 1960, mais que les gens
prennent encore ses propos au sérieux un demi-siècle plus tard. Cela peut
paraître insensé, mais il semblerait qu’en 50 ans, personne n’ait encore eu
le courage d’appeler un chat un chat. Voilà qui prouve bien du manque de
compréhension qui a caractérisé nos problèmes durant plus d’un demi-siècle.
Au cours de ces
150 dernières années, certains pays ont mis en place des systèmes monétaires
basés sur un étalon or et utilisé une ‘monnaie de réserve’ en tant qu’avoir
de réserve. En pratique, ils ne détiennent pas cette monnaie – la monnaie de
base – mais plutôt des obligations libellées en cette monnaie et imprimées
par le gouvernement émetteur. Avant 1914, il s’agissait principalement
d’obligations Britanniques. Après 1914, les obligations Américaines prirent
le dessus.
Tout cela n’a
rien de particulièrement étrange. Depuis 1700, les banques opérant au sein
d’un système monétaire basé sur un étalon or ont détenu une forme de dette en
tant qu’avoir de réserve. Il n’y a pas réellement de différence entre détenir
la dette liée à l’or de son gouvernement domestique ou la dette liée à l’or
d’un autre gouvernement.
Bien évidemment,
si un émetteur de devise (une banque centrale) détient des obligations
Britanniques en tant qu’avoirs de réserve, alors il aura à un moment donné
acheté ces obligations. C’est un peu comme si une personne possédait une
obligation, un investisseur privé par exemple. Il achète une obligation, puis
en est le propriétaire. Rien de bien mystérieux.
Cela
engendre-t-il un déficit de compte courant ? Absolument pas. Un déficit
de compte courant reflète les importations et exportations de capital, ou
plus simplement la différence entre l’épargne domestique et l’investissement
domestique. Prenons un exemple spécifique : imaginons que le taux
d’épargne (génération de capital financier) Britannique soit de 10% du PIB.
4% de ce taux d’épargne est utilisé à l’échelle domestique, et les 6% qui
restent sont destinés à l’investissement étranger. Ainsi, la Grande-Bretagne
possède un surplus de compte courant de 6% de son PIB, ce qui était le cas
avant 1914, alors que la livre sterling était encore la devise de référence
internationale.
Les
investisseurs Britanniques se retrouvent avec des actifs (notamment des
obligations) équivalant à 6% du PIB. En revanche, c’est là un pourcentage
net. Les chiffres bruts seraient par exemple l’achat d’actifs étrangers à
hauteur de 10% du PIB puis la vente d’actifs Britanniques à hauteur de 4% du
PIB. Une partie des ventes brutes d’actifs britanniques pourrait être
représentée par des obligations Britanniques achetées par les banques
centrales étrangères. Ici, encore, aucun problème de compréhension.
La même chose
s’est également produite aux Etats-Unis. Alors que Robert Triffin
se plaignait du déficit terrible du compte courant des Etats-Unis, le pays
disposait en réalité d’un surplus constant de compte
courant.
Il semblerait
que Robert Triffin n’ait pas été capable de savoir
où placer les + et les – dans ses calculs statistiques de base.
Lorsque le
système de Bretton Woods
fut aboli en 1971, les Etats-Unis avaient enregistré un surplus de compte
courant chaque année depuis 1960.
Il n’en est pas
moins que certains économistes se sont imaginé que le système de Bretton Woods avait été aboli
en raison de l’inévitable déficit de compte courant qu’il engendrait, une
théorie qui fut nommée ‘paradoxe de Triffin’.
Et à laquelle on
croit encore 50 ans plus tard.
Cela me paraît
si stupide que je dois m’arrêter un instant pour rire.
Robert Triffin réagissait à de réels problèmes causés par le
système de Bretton Woods,
qui n’avaient rien à voir avec les devises de réserve ou la balance des
paiements, mais plutôt avec le fait que les Etats-Unis ne faisaient pas le
nécessaire pour maintenir la valeur du dollar à 35 dollars par once d’or.
A l’époque, les
Etats-Unis disposaient d’une ‘politique d’étalon or’ – la parité de 35
dollars par once – et non d’un système basé sur un étalon or, ou si vous
préférez, d’un système de type caisse d’émission permettant d’appliquer cette
politique.
Ce dont ils
disposaient, en revanche, était d’un système de fixation des taux d’intérêts
entièrement Keynésien. La valeur du dollar voyait naturellement sa parité
avec l’or varier. Jusqu’en 1971, les Etats-Unis n’ont rien fait qui puisse
réellement distordre leur politique monétaire domestique – comme par exemple
appliquer de sévères contrôles de capital et mettre en place des
organisations du type London Gold Pool.
Mais la
situation changea en février 1970. William Martin, qui était le directeur de
la Réserve fédérale depuis 1951, fut remplacé par Arthur Burns. Burns fut
nommé par Richard Nixon pour l’aider à résoudre le problème mineur de
récession grâce à des politiques mesurées d’argent facile.
Burns et les Nixoniens décidèrent que, pour
régler le problème de récession, le PIB nominal devait grimper de 9%. Il
s’agissait là d’un objectif de PIB nominal, une mesure qui est aujourd’hui
populaire chez les économistes Keynésiens qui pensent encore avoir inventé
quelque chose de nouveau.
Cette croissance
du PIB de 9% devait être achevée grâce à la planche à billets. Burns a donc
lancé une politique de création monétaire et a diminué les objectifs de taux
d’intérêts.
Cette mesure
d’argent facile allait à l’encontre de l’idée qui voulait que la valeur du
dollar soit stabilisée autour de 35 dollars par once d’or. Le 15 août 1971,
Nixon résolut le problème en mettant fin à la politique d’étalon or des
Etats-Unis. C’est alors que naquit l’ère des devises flottantes.
Ce devait être
une décision temporaire. Burns, Nixon et les autres ne comprenaient pas que
la stratégie d’impression monétaire et l’étalon or étaient deux politiques
contradictoires.
A dire vrai,
personne d’autre ne comprenait cela, pas même Robert Triffin.
Il faut croire qu’à l’époque, l’ignorance était reine.
La raison
principale pour laquelle nous n’avons pas d’étalon or aujourd’hui n’est pas
parce qu’un étalon or n’a jamais fonctionné ou qu’un système de devises
flottante fonctionne mieux. Aucune décision rationnelle n’a jamais été prise
à ce sujet. Je pense que l’absence actuelle d’étalon or n’est autre que le
fruit de l’ignorance de ceux qui nous dirigent.
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