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Il
est sans doute encore trop tôt pour chiffrer toutes les
conséquences des deux opérations principales de refinancement
à très long terme sur les bilans des banques. Les quelques 300
milliards d'euros de liquidités supplémentaires
créées par l'Eurosystème en
décembre 2011 et en février 2012 mettront du temps avant
d'être multipliés par les banques commerciales en crédits
bancaires destinés à l'économie. Néanmoins, sur
la base des effets déjà visibles de ces nouvelles
liquidités sur la période décembre 2011 - mars 2012, on
peut tenter d’en estimer les conséquences à moyen terme.
Le
tableau suivant reprend trois grands postes des bilans des banques,
agrégés au niveau national et pour la zone euro. Pour ce qui
est de la zone euro, il apparaît que les actions de l'Eurosystème n'ont eu aucun impact sur le
crédit à l'économie privée. En revanche, le
crédit public, par le biais d'achat d'obligations d'État, a
augmenté de quelques 122 milliards d'euros, ou 8.7%, en l'espace de
trois mois seulement. Si cette tendance se maintenait sur toute
l'année, elle conduirait à une hausse annuelle de la dette
publique détenue par les banques en zone euro de quelques 39.6%.
Les
développements nationaux ne divergent guère de cette tendance
générale. Pour ce qui est des prêts à
l'économie privée, ils n'ont que faiblement augmenté en
Finlande (+2.1%), Belgique (+1.2%), Slovaquie (+0.9%), France (+0.5),
Allemagne (+0.4%), Autriche (+0.3%) et Pays-Bas (+0.2). La contraction des
prêts privés s'est poursuivie partout ailleurs. Au vu des taux
de croissance enregistrés avant la crise, on en conclut que les
liquidités nouvelles de l'Eurosystème
n’ont pas encore réussi à relancer le crédit
à l'économie privée, ce qui est pourtant le but
recherché. Cette conclusion est confirmée par le niveau de détention
d'obligations privées, qui n'augmente de manière notable qu'en
France (+9.2%).
En
revanche, le crédit bancaire aux États semble se porter
à merveille. Le montant des obligations d'État détenues
par les banques augmente considérablement en Italie (+28.7%), en
Espagne (+28.3%) et au Portugal (+21.9%), mais aussi en France (+7.2%), en
Autriche (+6.8%) et en Slovaquie (+5.1%). Les acquisitions brutes de titres
publics nouveaux ont dû être plus importantes encore, compte tenu
de l'impact en sens inverse qu'a eu la participation privée
négociée en Grèce. Celui-ci est particulièrement
visible dans le cas de la Grèce et de Chypre, où les banques
accusent une nette baisse de leurs investissements en dette publique (-47%
and -51.9% respectivement).
Que
peut-on conclure à la lecture de ces chiffres? A l'évidence,
les nouvelles liquidités n'ont servi, au jour d'aujourd'hui,
qu'à alimenter les coffres des États. Deux tendances bien
distinctes doivent être distinguées. D'une part, les banques
nationales se substituent à des investisseurs étrangers qui
sont en train de quitter la zone euro. Ceci implique une véritable
fragmentation nationale du marché européen de la dette publique
et une accentuation de la fameuse « préférence
nationale ». Les présumés effets
bénéfiques de la monnaie unique sur l'intégration
financière en Europe auront été de courte durée. D'autre
part, la dette publique nouvelle a été souscrite en
priorité par les banques domestiques, grâce aux
liquidités nouvelles. Plus que d'accroître les connivences
déjà compliquées entre les systèmes bancaires, les
créanciers des gouvernements, et les États modernes,
régulateurs de ces mêmes systèmes bancaires, les actions
de l'Eurosystème contribuent à
fausser l'appréciation du véritable risque des investissements
en titres de dettes publiques. La capacité pour les États de
s'endetter à des taux artificiellement bas encourage une gestion peu
prudente des finances publiques et un endettement public accru. L'Eurosystème crée donc des incitations
contraires aux présumées austérité et
consolidation budgétaires.
Les
réformes des finances publiques, absolument nécessaires, se
voient ainsi retardées par l'Eurosystème
qui accorde de fait, par son refinancement des banques commerciales, une
rallonge budgétaire aux gouvernements. Ceci ne peut qu'aggraver la
crise, déjà bien entamée, des finances publiques.
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