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Si
l’on doutait encore de la volée de bois vert reçue par
les dirigeants européens à Washington en fin de semaine
dernière, à l’occasion des réunions du FMI et de
la Banque Mondiale ainsi que d’un G20 finance, il fallait
écouter Barack Obama affirmant hier dans un forum de la Silicon Valley que la crise de
l’euro « effrayait le monde » et Tim Geithner expliquer sur les antennes de la
télévision ABC que « durant le week-end, ils ont
entendu le monde entier [leur dire] qu’il faut s’assurer de faire
tout ce qu’ils peuvent pour rassurer les gens… ».
Standard
& Poor’s a apporté sa pierre en
évaluant que l’on est près de la limite de ce que les
Etats peuvent garantir financièrement via le FESF sans mettre en cause
leur notation, une menace déguisée incitant à se tourner
vers la BCE pour amplifier leur action.
En
dépit du poids de ces amicales pressions, les contours possibles
d’un nouveau dispositif de sauvetage du système financier
européen sont tout juste identifiés, mais l’on en sait déjà
qu’il devrait être tout autrement dimensionné
financièrement que l’actuel FSEF, ou le prochain
Mécanisme européen de stabilité (MES). Reste à ce
qu’il voie le jour.
Il
est question d’un à deux milliers de milliards d’euros,
qui ne se trouvent pas sous le sabot d’un cheval. C’est le
montant qui doit être réuni pour sauver l’euro, si
l’on veut pouvoir faire face à l’exigence absolue :
éviter à tout prix que l’Italie et l’Espagne
n’entrent dans la zone des tempêtes, une fois un défaut
grec écarté. Pour leur permettre de se soustraire d’une
manière ou d’une autre aux tenailles des marchés,
tout en renforçant parallèlement les banques qui font face
à des menaces oubliées dans le plan de charge. Car, au passage,
le secteur bancaire européen bénéficierait à retardement
de l’équivalent du TARP, ce plan de 700 milliards de dollars,
dont son homologue américain a profité dès septembre
2008 et qui n’a que trop tardé. Dès que les accords du 21
juillet seront ratifiés, le FESF pourra engager ce volet.
Les
mécanismes permettant de lever de tels fonds sont à
l’étude. Ce n’est pas tant leurs caractéristiques
techniques qui posent problème mais plutôt les
difficultés politiques qu’ils représentent et l’évaluation
de leur futur accueil par les marchés, qu’il faut cette
fois-ci convaincre une fois pour toutes. De plus, une chose est que les
dirigeants européens soient maintenant lancés et
décidés à changer de braquet, autre chose est
qu’ils parviennent à se mettre d’accord entre eux dans des
délais désormais très courts, d’ici à
début novembre pour le G20. La pratique systématique du double
langage rend à cet égard difficile l’appréciation
de ce qui divise et de ce qui pourrait unir. La ratification par le Bundestag
dans deux jours de l’accord socle du 21 juillet prioritaire dans
l’immédiat n’arrange rien, car il ne faut pas effaroucher
les députés allemands… Chut !
Incités
à se faire violence, la coalition allemande et la BCE sont en
sous-main à la recherche du montage le plus indolore possible et les
discussions vont bon train, depuis la descente de l’avion de
Washington. De nombreuses options sont à l’étude, depuis
une garantie par le FESF des pertes sur les achats des obligations de
l’Italie et l’Espagne, à concurrence d’un certain
pourcentage, jusqu’à l’intervention sur le marché
secondaire obligataire sans limite par les BCE. Options
intermédiaires : la garantie des pertes éventuelles de la
BCE par le FESF, ou la création accélérée du
Mécanisme européen de stabilité (MES) qui sera
financièrement plus solide, reposant sur des apports en capital plus
importants et moins de garanties. Nous ne manquerons pas d’y revenir et
d’informer nos lecteurs quand le paysage sera un peu éclairci.
En attendant, comme dans une bibliothèque, le silence est de rigueur
pour ne pas troubler ceux qui travaillent.
Mais
la nouvelle problématique qui s’esquisse appelle à la
réflexion, une fois constaté – et enfin admise –
l’ampleur des dégâts à réparer, ainsi
qu’enregistré que le FMI, pas plus que le FESF actuel,
n’est financièrement dimensionné pour y faire face, en
dépit du renforcement de ses fonds qui est en cours. Par la force des
choses, la voie choisie est donc européenne, ce qui impose un montage
consanguin, dont on connaît les risques.
Ainsi,
en admettant qu’une heureuse issue intervienne, et qu’un
refinancement d’une partie de la dette publique et privée y
fasse suite, on s’intéressera à ce qui en
résulterait pour la BCE. Si elle devait intervenir pour soutenir le
FESF – une fois une licence de banque acquise par celui-ci – la
banque centrale prendrait en contrepartie en garantie des obligations
souveraines. Cela reviendrait, est-il souligné par les mauvais
esprits, à en faire une très grosse bad
bank. La Fed s’est prêtée
à ce rôle en achetant des quantités de titres
adossés à des crédits hypothécaires et de dette
souveraine, mais le reproduire, même indirectement, serait pour la
banque centrale européenne une véritable transgression.
Elle
remplit déjà un peu ce rôle, en ne regardant sans doute
pas toujours de trop près la qualité des actifs qu’elle
prend en garantie, mais il s’agirait cette fois-ci de procéder
en grand, en très grand. Un gros défaut qui explique que
d’autres solutions sont activement recherchées. On voit
toutefois mal comment la BCE pourrait ne pas être partie prenante du
nouveau mécanisme étudié, étant donné les
sommes en jeu, car les marchés se prêteraient
difficilement à de nouvelles simagrées.
Être
le sauveur à un prix qui aura une réciprocité, à
chercher sur le terrain de la bonne gouvernance de l’Europe.
Herman van Rompuy y œuvre activement dans la
coulisse, tentant de lier un solide dispositif à la perspective
d’une émission ultérieure d’euro-obligations quand
il sera opérationnel. La nécessité de la révision
du Traité de Lisbonne hante toutefois ce dossier, car elle est considérée
comme à très haut risque.
Une
prédiction peut être tentée sans par contre prendre
exagérément de risque : plus il va être tenté de
prendre en compte toutes les contre-indications politiques des options du
nouveau dispositif, plus son montage final retenu va être
tarabiscoté et fragile !
De
son côté, la dette américaine va refaire couler
prochainement beaucoup d’encre (une expression désuète
qu’il faudrait peut-être abandonner). L’opération
« Twist » de 400 milliards de dollars que la Fed vient
de décider correspond à un réaménagement de son
portefeuille de titres de la dette américaine. Elle a pour objectif
déclaré de faire baisser les taux des obligations longues, afin
d’abaisser le coût du crédit aux entreprises et aux
particuliers – qui y est indexé ou en résulte, le
crédit hypothécaire en particulier – et de favoriser
ainsi la relance. Vu son précédent, qui date de 1960, des
miracles ne peuvent cependant pas en être attendus, ce qui laisse supposer
que cette mesure poursuit en réalité un autre objectif.
On
peut ainsi émettre l’hypothèse qu’il s’agit
de suppléer à une demande insuffisante pour les obligations
longues, constatée ou à venir, les investisseurs
américains ayant de tout temps préféré les
maturités courtes et les étrangers pouvant se détourner
des longues, auxquelles ils ont de longue date souscrit. Même si,
aujourd’hui, les titres de la dette américaine sont une valeur
refuge et leur taux à la baisse, en raison de la demande
crée par la crise européenne. Or, les obligations longues ont comme
avantage par rapport aux courtes de mieux préserver le roulement de la
dette américaine des aléas du marché, qui pourrait se
retourner et accentuer la crise de la dette américaine si les taux
grimpaient. Réaménager le portefeuille de la Fed, c’est
donc permettre au Trésor de poursuivre le renforcement de la dette
déjà engagé par ses soins, en accroissant sa
maturité moyenne, dans la crainte d’un avenir difficile.
De
fil en aiguille, cela induit l’idée que si l’acte II de la
crise a commencé en Europe, l’acte III pourrait débuter
ainsi aux Etats-Unis, une fois de plus sans attendre la fin du
précédent, les marchés en venant à
s’intéresser de plus près à la question. La
dégradation de la note américaine n’a certes pas produit
d’effets – à nouveau en raison de la crise
européenne – mais ce pourrait n’être que partie
remise.
La
dette publique a cet inconvénient d’être très
visible et aisément chiffrable, tandis que la dette privée est
plus souterraine, compagne attitrée de produits financiers douteux
dans des marchés opaques. Elle offre donc une cible de choix, des deux
côtés de l’Atlantique.
La
crise en cours dans le monde occidental peut se résumer dans sa
manifestation principale à celle d’un désendettement
impossible : la dette accumulée est trop importante pour
être résorbée dans le cadre de l’économie
réelle, encore moins avec la croissance atone de prévue. Il
n’y a donc que deux issues : soit un montage financier qui finance
son roulement et repousse le problème en l’étalant, soit
sa restructuration, dont les milieux financiers ne veulent pas plus que de la
relance de l’inflation.
A
chacun sa dette et son fardeau, les Américains ont celui du
crédit hypothécaire, qu’ils n’ont que très
partiellement vendu aux banques européennes et que la Fed et le
Trésor financent forcés et contraints, sans qu’aucun
signe tangible de renaissance du secteur ne soit discernable. Les
Européens tentent quant à eux d’être à
l’avant-garde, en expérimentant dans leur contexte la
première solution : un montage financier que l’on peut
déjà qualifier d’acrobatique.
Les américains ont via la Fed acheté pour 2.300 milliards de
dollars un mixte d’obligations de l’Etat et de titres émis
par Fannie Mae et Freddie Mac – et ce n’est pas
nécessairement fini, aux dernières nouvelles –
s’accrochant à leur privilège monétaire qui
remplit encore cette fonction, mais pour combien de temps ?
Que
ce soit à froid et au terme d’une transition ordonnée,
comme le voudraient les Chinois, ou à chaud et dans la crise, en
dépit des manoeuvres américaine pour
le retarder, cet artifice ne pourra pas être préservé en
raison du basculement économique irréversible que connaît
la planète. Quant à elle, la crise américaine de la
dette progresse à son rythme, ce qui ne l’empêche pas
d’être inéluctable ; elle est facilement susceptible
de connaître de nouveaux et brusques accès de fièvre,
comme il en est craint dans le secteur du crédit commercial
immobilier.
Mais
n’anticipons pas le début de l’Acte III, il y a
déjà fort à faire avec l’acte II !
Billet rédigé par
François Leclerc
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