Il y a de quoi donner le tournis : le shadow banking représentait 75.000
milliards de dollars d’actifs en 2014, selon le Conseil de stabilité financière
(FSB), soit 50 % des actifs bancaires et 120 % du PIB mondial. Mais le plus
impressionnant réside dans l’augmentation de 7 % de sa taille en une seule
année, signifiant qu’une mutation est en cours.
Sans aller chercher plus loin et pénétrer dans les arcanes du système
financier, cette constatation relativise singulièrement la portée de mesures
de régulation principalement destinées aux banques. Cela a d’ailleurs conduit
Vitor Constâncio, le vice-président de la BCE, à réclamer une vigilance
renforcée des frontières entre ces dernières et les entités du shadow
banking, comme si la cause était perdue d’avance en ce qui concerne la
régulation de la finance de l’ombre.
L’Europe participe pleinement à son essor : selon le FSB, la zone euro
contribuait en 2013 pour un tiers au shadow banking – une part équivalente à
celle des États-Unis – et le Royaume-Uni représentait 12 %, l’ensemble pesant
79 % de ce secteur florissant. Il est généralement expliqué que cela résulte
d’un transfert d’activités, suite à la régulation bancaire, mais c’est
négliger l’impact de la création des produits dérivés qui se poursuit
activement.
Certes, le G20 de Saint-Pétersbourg de 2012 a recommandé la régulation du
shadow banking, mais celle-ci piétine. Dans son dernier rapport bi-annuel sur
la stabilité financière globale, le FMI soulève d’ailleurs le cas des fonds
d’investissement, qui sont actuellement sur la sellette. Le volume de leurs
transactions financières annuelles atteint 76.000 milliards de dollars, en
augmentation de 40 % en dix ans. À l’instar de la SEC qui en étudie la mise
en œuvre, le FMI préconise comme première et modeste étape la tenue de stress
tests des fonds d’investissement.
La régulation du shadow banking s’effectue toutefois à pas comptés, car il
en est désormais attendu qu’il prenne en Europe le relais des banques pour
financer l’économie. Il ne faudrait pas à ce sujet contrarier le projet
d’Union des marchés des capitaux du nouveau commissaire européen Jonathan
Hill, qui mise sur la finance de marché et la titrisation pour favoriser la
relance.
Le Parlement européen doit également statuer d’ici la fin du mois sur les
recommandations du FSB en matière de collatéral. On entre là dans le Saint
des saints, la couverture du risque de crédit d’une transaction financière
par des actifs – dénommés collatéral – l’un des grands enjeux de la stabilité
financière. La gestion du collatéral se complexifiant en raison de sa
raréfaction relative, il devient de plus en plus problématique d’apprécier la
valeur de la garantie apportée à une transaction dans des chaînes de
financement qui s’allongent.
Comme si les risques inhérents au système financier ne suffisaient pas,
les banques centrales ont placé celui-ci dans une situation d’assistance en
adoptant pour une longue durée des taux proches de zéro. Revenir dessus crée
un nouveau risque que Christine Lagarde, la directrice générale du FMI, a
imagé en parlant d’une liquidité des marchés qui pourrait « s’évaporer
rapidement, si tout le monde se bouscule vers la sortie au même moment »
(si les investisseurs vendent dans la précipitation leurs obligations dont la
valeur va chuter en raison de la hausse des taux de la Fed).
Cela renvoie à une autre augmentation impressionnante, celle du volume de
la dette globale. Elle progresse plus vite que le PIB mondial et résulte de
la rencontre entre une offre de crédit très abondante, en raison des apports
en liquidité des banques centrales, de faibles taux et d’une forte demande.
Comme l’illustre notamment la progression du crédit à la consommation aux
États-Unis, sous les effets conjugués du crédit automobile et des prêts
étudiants, qui en représentent les deux tiers avec un encours de 2.485
milliards de dollars. Une telle croissance est nécessairement accompagnée
d’une augmentation du risque de crédit, devant laquelle les régulateurs
s’inquiètent. Et il semble ne pas y avoir de limites à l’extension de la
dette, dont la progression dépasse celle de la croissance…
Quelle autre conclusion peut-il en être tirée, ainsi que des limites que
connait la régulation financière, si ce n’est que le système n’est pas en
mesure de se réformer, avec toutes les conséquences qui en découlent ?
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