Suivant les
exemples espagnol et américain, des
« indignés » français se sont
récemment rassemblés sur le parvis de la Défense pour
protester contre l'exploitation du peuple par une minorité de
spéculateurs – ou quelque chose dans ce genre. Si le mouvement
est peu suivi, ses militants ont néanmoins l’intelligence
d’exploiter des thèmes récurrents dans le débat
politique français, comme l'opportunité d'un retour à la
souveraineté monétaire et l'indispensable humanisation d'une
économie « devenue folle ».
La souveraineté monétaire
Le
thème du retour à la souveraineté monétaire
s'appuie sur deux idées-forces. La
première est que le diktat des banques a remplacé la
volonté des États, qui ne s’endettent que pour enrichir
les prêteurs sur le dos des peuples.
En France, le
symbole de cette capitulation face au « grand Capital »
est la loi du 3 janvier 1973 excluant la possibilité, pour la Banque
de France, de prêter au Trésor Public à un taux
d'intérêt dérisoire, voire nul, en tout cas
inférieur aux taux du marché. Beaucoup sont persuadés
que l'État français ne serait pas aussi endetté s'il
n'était contraint d'emprunter aux banques privées pour financer
son déficit, et que le modèle social français n'ayant
pas de prix, l'argent utilisé pour le faire fonctionner ne devrait pas
en avoir. On ne saurait plus explicitement reconnaître l'inflation
comme une source de financement ordinaire pour l'État.
La
deuxième idée-force est que l'adoption de l'euro a
été une catastrophe et qu'en y consentant, la France s'est
convertie à ce qu'il est devenu banal d'appeler
l' « ultralibéralisme ». Mais curieusement
les détracteurs de la monnaie unique sont aussi les premiers à
dénigrer la théorie non moins
« ultralibérale » du free banking,
pourtant hostile à la monnaie unique. La logique
élémentaire est-elle, elle aussi,
« ultralibérale » ?
L'humanisation
de l'économie
Au
thème de la souveraineté monétaire s'adjoint celui, tout
aussi récurrent, de la place de l'humain dans l'économie.
Là encore, les indignés de la Défense ne sont pas les
seuls à vouloir « humaniser » le
capitalisme : reprocher au marché son mépris des individus
qui le font vivre est devenu, pour ainsi dire, le Pater Noster de tous
ceux qui ont le sentiment que la conjoncture économique ne
répond pas à leurs attentes.
Sauf que le
marché n'est ni plus ni moins que l'agrégat d'une multitude de
choix particuliers. Comme la langue d'un peuple ou la culture d'une
communauté, ce que nous appelons le marché n'est l'œuvre de personne en particulier
mais de tout le monde en général. C'est ce qui le rend
impersonnel, sans l'ombre d'un doute, mais certainement pas inhumain –
pas plus que ne sont inhumaines les courbes de la démographie ou
l'apparition d’un néologisme.
Les
indignés se méprennent sur leurs propres intentions, ils ne
veulent pas « humaniser » l'économie. Ce qu'ils
veulent, c'est imposer à l'ensemble des acteurs économiques une
série de préférences particulières.... sur
lesquelles ils seraient évidemment incapables de s'entendre s'ils
prenaient la peine d'en discuter sérieusement, et non plus seulement
dans les grandes lignes. En résumé, la dénonciation du
caractère inhumain du marché trahit avant tout la
difficulté qu'a l'individu à admettre qu'il n'est pas le centre
du monde et qu'il est donc normal, dans ces conditions, d'obéir
à des règles que l'on a pas fixées soi-même et de
tolérer les préférences d'autres personnes. Le
« vivre ensemble » serait-il déjà
passé de mode ?
Les
médias ont raison de souligner la faiblesse numérique des
indignés de la Défense : ils ne devraient pas
sous-estimer, en revanche, la force symbolique de ce mouvement, qui exploite
l'impatience et le mécontentement de nombreux Français. Les
arguments invoqués manquent de sérieux, mais la classe
politique ne demande qu'à y remédier. Ce qui, au commencement
d'une campagne électorale fortement axée sur les questions
économiques, risque bien de se traduire par de nouvelles propositions
dangereusement démagogiques.
|