Ce texte est un « article presslib’ » (*)
On
attire souvent mon attention sur des initiatives prises ici et là,
souvent aux États-Unis, qui vont dans le sens de ce que je
préconise. Par exemple en vue d’interdire la spéculation
sur les matières premières, d’interdire les positions nues
en credit-default swaps ou de venir en aide aux
emprunteurs en difficulté. Et on me demande pourquoi je n’en
parle pas.
Je
ne parle pas de ces initiatives parce que les événements de ces
six derniers mois montrent que les chances qu’elles se concrétisent
un jour sont nulles. Ces mesures sont proposées et elles
échouent ensuite à passer. Du coup, je devrais dans un premier
temps les mentionner, et dans un deuxième temps, rapporter
qu’elles sont mortes. Ce serait, dans un sens et dans l’autre,
beaucoup d’efforts pour rien.
Quand
on lit les attendus de ces mesures mort-nées on voit « en raison
de l’opposition des dirigeants de banques », « en raison de
l’opposition des hedge funds
», etc. Point commun de toutes les parties qui l’emportent
haut-la-main dans les débats : le fait qu’on les appelait
« discréditées » il y a moins d’un an.
Discréditées ? Apparemment pas aux yeux de tout le monde.
Y
aurait-il alors un rapport entre la mort de ces initiatives et les montants
consacrés aux États-Unis au lobbying ? Le Center for
Responsive Politics affirme qu’on
atteindra et dépassera peut-être en 2009 les 3,3 milliards de
dollars consacrés à ce type de « diffusion de
l’information » en 2008. En hausse de 80 % par rapport aux 1,8
milliards dépensés en 2002.
En
octobre de l’année dernière, on s’en souvient sans
doute car il s’agit d’un moment-clé dans la fin du
capitalisme, Mr. Greenspan faisait son mea culpa :
l’autorégulation du capitalisme n’existe pas. Il avait
misé sur la capacité des chefs d’entreprise à ne
pas agir contre leur intérêt et celle-ci ne s’est pas
manifestée. Il voulait dire « intérêt collectif
», bien entendu, car les preuves sont nombreuses de leur
capacité à ne pas agir contre leur intérêt propre.
Et
c’est bien au même phénomène que l’on assiste
avec toutes ces tentatives de réglementation
salutaire étouffées dans l’œuf. Reportez-vous
quelques années en arrière, à l’époque pas
si lointaine où on nous vantait partout l’« Ownership Society » : chaque ménage
propriétaire de son logement. On nous disait : « C’est la
garantie d’un peuple sage. Celui qui possède sa maison, et mieux
encore, celui qui rame pendant trente ans pour en acquérir une, ne se
plaindra jamais. La stabilité garantie ! »
Retour
au présent : les banques qui traînent la patte, retardant le
plus possible le moment où elles se pencheront sur le cas d’un
ménage au bord de la saisie, qui demandent 90 jours pour
l’ouverture d’un dossier, qui ont traité jusqu’ici
200.000 demandes sur les 4 millions en attente. Wells Fargo a embrayé
en juin, et Bank of America … ce mois-ci.
Quel empressement ! Pendant ce temps, durant les six premiers mois de
l’année, 1,5 millions de ménages américains ont
soit vu leur logement saisi soit reçu un avis annonçant sa
saisie prochaine.
Question
adressée au monde de la finance : si la propriété de son
logement contribue à la paix sociale, à quoi
l’éviction de son logement contribue-t-elle ? Mr. Greenspan
risque d’être encore déçu : si les banques
américaines semblent très soucieuses de défendre leur
intérêt propre, l’intérêt collectif
n’appartient pas encore à leur horizon.
Encore
une question pour terminer : combien de ménages auraient-ils pu
être sauvés de la saisie à l’aide des 3,3 milliards
de dollars consacrés par les entreprises pour qu’on leur
permette de continuer à faire leur business comme avant ? Par «
comme avant », je veux dire « pour le bonheur de tous ».
Bien entendu.
Paul Jorion
pauljorion.com
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Paul Jorion,
sociologue et anthropologue, a travaillé durant les dix
dernières années dans le milieu bancaire américain en
tant que spécialiste de la formation des prix. Il a publié
récemment L’implosion. La finance contre l’économie
(Fayard : 2008 )et Vers la crise du capitalisme américain ?
(La Découverte : 2007).
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siennes et peuvent évoluer sans qu’il soit nécessaire de
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