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La
gestion publique ou bureaucratique est fondée sur la loi et le
règlement. Cette loi, cependant, est vague et changeante. Certains
prétendent qu’elle a pour but de satisfaire les besoins de la
majorité, d’autres, les besoins les plus importants,
d’autres encore, les besoins que le marché ne saurait offrir.
N’existe-t-il pas de loi claire à cet égard? Si oui,
pourquoi ne pas l’utiliser? Sinon, quelles sont les conséquences
de cette gestion?
La
gestion bureaucratique et son incapacité à satisfaire les
besoins
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Dès lors qu’on cherche à établir une juste
affectation des ressources, ou selon l’expression consacrée,
à satisfaire les besoins, on doit recourir à un principe
universel, c’est-à-dire une loi qui ne porte préjudice
à personne. Cette loi est le respect de la propriété ou,
plus précisément, la non-agression de l’individu et de ce
qui lui appartient. Considérant que l’État soutire les
ressources des uns pour satisfaire les besoins des autres, cette
procédure ne saurait trouver une application universelle. Peut-elle
satisfaire la majorité?
Prétendre que
la majorité est satisfaite des « programmes
sociaux » limite la satisfaction à l’offre de
services tout en essayant d’en justifier le contrôle par
l’État. Or, ce n’est pas parce que les gens ont besoin de
services qu’ils ont besoin de l’État. L’importance
des besoins à satisfaire ne saurait être évoquée
pour le justifier, car c’est le marché qui offre la nourriture,
les logements et les vêtements; besoins on ne peut plus essentiels.
Détenir le monopole sur l’offre des services ne peut satisfaire
la majorité que si elle croit qu’il ne peut en être
autrement. Elle devrait être en mesure de réaliser que les choix
sont plus nombreux dans un contexte de concurrence étant donné
que la quête de profit n’y est pas interdite comme dans plusieurs
monopoles d’État.
Un monopole
d’État n’offre guère de choix et la qualité
des services dont il a le contrôle ne saurait être maintenue
longtemps, car elle s’établit au détriment d’autres
services qui peuvent être considérés plus importants
selon la situation particulière des gens. Ce processus est destructeur
de richesse, infantilisant et injuste. Nul n’est mieux placé que
l’individu pour identifier et satisfaire ses besoins, qui changent
constamment. Par conséquent, on ne peut conclure que
l’État satisfait les besoins de la majorité, si ce
n’est que de façon rudimentaire et jamais pour longtemps.
Le «
fonctionnaire » (au sens large: tout employé du secteur public)
ne pouvant satisfaire ni les besoins de tous, ni ceux de la majorité,
il finit par répondre à la réglementation et aux cibles
qu’on lui impose; lesquelles, lorsqu’elles sont atteintes, ne
satisfont souvent que lui-même et son employeur. Par exemple, quelle
satisfaction un contribuable peut-il tirer de savoir qu’un agent
d’aide à l’emploi a atteint les objectifs qu’on lui
impose, à savoir: rencontrer un certain nombre de clients par semaine,
distribuer des subventions et référer un nombre
déterminé de prestataires à diverses mesures de
formation? Le nombre de clients rencontrés et
référés est-il un gage d’efficacité?
Que cherche-t-on
à établir par l’atteinte de ces objectifs? Selon le
ministère de l'Emploi et de la Solidarité sociale, cela
contribue « à la prospérité économique
du Québec en favorisant le plein épanouissement des personnes
par la promotion de l’emploi, le développement de la
main-d’oeuvre et l’amélioration du fonctionnement du
marché du travail ». Or, pour déterminer si ces
mesures contribuent à la prospérité économique,
il faudrait s’assurer qu’elles soient rentables. Toutefois,
c’est justement le critère que les gouvernements, et pas
seulement ce ministère, ne peuvent et ne veulent pas aborder.
Ils ont tôt fait
de redéfinir la prospérité économique comme
étant quelque chose de très large et de très flou pour
s’arroger le contrôle de services sous le prétexte de
mieux les rendre que le marché ne le pourrait. Ainsi, on ne cherche plus
la rentabilité de la formation, mais on considère que toute
formation contribue à la prospérité. Or, si
l’éducation est généralement une bonne chose, cela
dépend encore de plusieurs facteurs: le nombre d’années
qui y est consacré, les ressources qui y sont investies, les
études effectuées, la raison pour laquelle on étudie,
etc.
Il n'y
a prospérité économique que s’il y a concurrence,
liberté des prix et possibilité d’offrir produits et
services profitablement. Or l’État est incapable de susciter la
prospérité, car il exclut ces moyens qui seuls permettent de
l’établir. Quand bien même on redéfinissait la
prospérité de façon à inclure la
« prospérité de l’âme », dans
le but sous-entendu d’exclure la quête de profit de la gestion
des services, on ne pourrait davantage en conclure que l’État
est plus apte à les gérer. Non seulement la gestion
bureaucratique n’est pas apte à générer la
prospérité parce qu’elle impose le contribuable
plutôt que de lui offrir un prix, mais justement parce qu’elle
procède ainsi elle conduit plus sûrement à
l’insatisfaction générale due à
l’appauvrissement qui s’ensuit.
La
gestion bureaucratique comme source de conflit
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Un peu partout dans les démocraties on constate que les grèves
sont beaucoup plus nombreuses au sein des fonctions publique et parapublique.
Est-ce parce que les fonctionnaires et employés du secteur parapublic
sont moins accommodants que les travailleurs du secteur privé? Le taux
élevé de syndicalisation du secteur public, 81% au
Québec, 75% au Canada, y est certainement pour quelque chose.
Toutefois, il ne faudrait pas blâmer uniquement les syndicats pour cet
esprit de confrontation, mais aussi, voire surtout, le mode de gestion utilisé.
Lorsqu’on
travaille pour un monopole ou quasi-monopole d’État et
qu’on exige une augmentation de salaire, ou bien le gouvernement
cède aux revendications pour maintenir les services touchés, ou
bien il n’y cède pas, mais dans les deux cas les consommateurs
écopent. Les fonctionnaires et employés du secteur parapublic
risquent peu de perdre leur emploi à faire la grève
puisqu’ils sont bien protégés par leur syndicat et,
surtout, parce que le gouvernement empêche les gens d’offrir les
mêmes services dans le secteur privé. Les employés du
secteur privé ne possédant pas la protection légale sous
forme de monopole d’État ont donc plus à perdre
lorsqu’ils déclenchent une grève. Les consommateurs
peuvent se diriger vers les compétiteurs, l’entreprise peut
s’établir ailleurs, faire faillite, etc.
Ces monopoles ou
quasi-monopoles sont établis d’après une idéologie
qui vise à diaboliser la quête de profit et à promouvoir
une conception éthique s’établissant sur la contrainte.
Or, comment peut-on prétendre à la justice et à la
solidarité lorsqu’on utilise des moyens contraignants pour les
établir? C’est que les gens nient cette coercition ou encore
tentent de la justifier en prétextant qu’il faut taxer et
imposer pour aider, que si on ne taxe pas, il n’y aura pas suffisamment
de gens qui aideront autrui, etc. On tend également à qualifier
cette aide de «morale» pour détourner l’attention de
la coercition qui en est le fondement.
On ne peut prédire qui bénéficierait et qui serait
désavantagé, à court terme, d’être
rémunéré seulement par les consommateurs plutôt
que par les contribuables, mais chose certaine on n’assisterait pas aux
grèves à répétition du secteur public. À
long terme, une privatisation entière de tous les services et le
respect de cette propriété serait à l’avantage de
tous, car les ressources humaines et matérielles ne seraient
employées au détriment de personne. Les choix établis ne
seraient certainement pas rentables pour tout le monde, mais ils auraient
l’avantage de ne pas être aussi destructeurs de richesse que les
choix exercés par les gouvernements. En effet, aussi mauvais que
soient les calculs d’un individu, ils ne peuvent avoir un impact que
sur lui-même.
Une gestion qui ne
tient pas compte des choix de chacun, ou qui ne cherche pas à
être profitable pour chaque individu, ne peut utiliser à bon
escient les ressources dont elle dispose. Encore une fois,
l’amélioration d’un service public ne peut s’établir
qu’au prix d’une réduction des produits et autres services
qui peuvent être considérés plus importants par certains
individus. Par conséquent, une gestion bureaucratique ne peut
satisfaire les besoins des gens aussi bien qu’une gestion
privée, car elle ne respecte pas la propriété, ne se
laisse pas guider par les prix et ne recherche pas les profits. Elle
exproprie et manipule les premiers et juge indigne les seconds.
Dans la mesure
où il y a concurrence dans l’offre des services, le consommateur
détermine en bonne partie le prix de ces services et la
rémunération de celui ou celle qui les octroie. Plus la
concurrence est forte, c’est-à-dire plus les choix des services
sont nombreux, moins il y a de grève, celle-ci risquant de se faire
davantage au détriment des employés que des consommateurs.
Dans pareille
circonstance, la gestion des services désirés par les
consommateurs est prise en charge par des gens tout aussi
dévoués que les travailleurs du secteur public, mais qui
tentent d’améliorer les services en se laissant guider par les
prix que les consommateurs sont prêts à leur offrir. Ce pourrait
être les mêmes gens offrant les mêmes services, qui
recevraient un salaire plus ou moins élevé que leur emploi
comme «fonctionnaires», mais qui le recevraient directement des
consommateurs plutôt que des contribuables.
En somme, aider autrui
ne suffit pas, car encore faut-il utiliser des moyens légitimes pour
ce faire. La légitimité ne saurait se contenter de la
légalité des moyens utilisés. Une action légale,
mais illégitime, ne sera jamais aussi efficace qu’une action
respectueuse de la propriété. Éthique et
prospérité sont indissociables.
On ne gère pas
avec plus de « compassion » lorsqu’on
contrôle les prix des services et qu’on exclut la
possibilité de les offrir profitablement ou selon les goûts de
chacun. Ce faisant, on agit plutôt comme un myope, à
tâtons, sans être capable de voir plus loin que le bout de son
nez. Non seulement la gestion bureaucratique n’est pas apte à
produire la richesse, mais elle ne peut la distribuer aussi bien qu’une
gestion privée. De plus, elle engendre la confrontation plutôt
que la coopération. La solution aux grèves à
répétition dans le secteur public et à l’insatisfaction
des besoins ne peut être autre qu’une gestion privée et
respectueuse de la propriété.
André
Dorais
André Dorais a étudié en philosophie
et en finance et vit à Montréal. Essai originellement
publié par Le
Québecois Libre
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