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Un précédent billet
évoquait le niveau préoccupant auquel est tombé
l’éducation scolaire des Français. Une solution
consisterait à largement libéraliser le système
éducatif, actuellement gangrené par le relativisme, un
syndicalisme pétrifiant et une lourdeur administrative létale.
Mais même sans cet affranchissement d’un État
tutélaire obèse, la concurrence s’installe
doucement… Et fait hurler les monopoles en place.
Et cette fois-ci, on fait un beau combo de monopoles puisque
cette nouvelle concurrence en heurte deux de plein fouet : celui de
l’éducation d’un côté et celui des dentistes
et des pharmaciens, de l’autre. Difficile de ne pas trouver plus
violent comme entrée en matière. Comme on va le voir, le
syndrome du plombier polonais frappe à nouveau, with
a vengeance.
En substance, c’est l’ouverture d’une
filiale de l’Université portugaise de Fernando Pessoa (UFP),
depuis le 12 novembre dernier, qui pose un grave problème à
tout l’establishment dentaire français. En effet, avant
l’arrivée de ces troublions, les étudiants qui avaient
échoué lors de leur première année
d’étude abandonnaient ou tentaient le cursus dans un autre pays.
Mais avec cette implantation en pays toulonnais, ils pourront recommencer
leurs études en suivant le cursus portugais tout en restant en France.
Horreur et abomination puisque ce faisant, l’université
contournerait, selon les professionnels français, le numerus
clausus en vigueur. Pour le moment, une trentaine
d’étudiants (selon la direction) sont concernés par les
cours de l’UFP, mais rassurez-vous : la ministre de
l’Enseignement supérieur, Geneviève Fioraso,
est déjà en train d’intervenir
pour leur pourrir définitivement leur scolarité, à ces
petits casseurs de monopoles.
L’argumentation des farouches opposants à ce ver
portugais dans notre belle pomme française est intéressante à
suivre.
D’un côté, Réda Amrani-Joutey,
président de l’Association Nationale des Étudiants en
Pharmacie de France, explique que le numerus clausus (qui limite le nombre de
pharmaciens formés à l’université
française) est un nombre « déjà assez
élevé ». Les quelques étudiants qui ont choisi
l’UFP seraient-ils un peu bêtes puisqu’en
réalité, on a de grandes latitudes pour embaucher ? Ne
concluons pas trop vite, puisque Dominique Porquet,
le doyen de la faculté de pharmacie Paris-Sud, explique, lui,
qu’« Il est inutile de mettre en place un encadrement
s’il peut être contourné aussi facilement » Et
puis, si le numerus clausus est suffisamment élevé,
personne n’aura besoin de le contourner, non ?
Plus rigolo encore l’argument qui consiste à dire
que l’établissement privé exploite en fait assez
scandaleusement un marché particulier, celui des étudiants
recalés en première année de ces cursus
sélectifs. Le vilain ! Cette méchante faculté ose se
spécialiser dans les étudiants que le système
français à rejeté et
c’est proprement insupportable : chacun sait qu’une fois exclu du
système français, l’étudiant honni doit se
reconvertir en équipier McDo ou en
garagiste, et qu’il est carrément inconvenant pour lui de
s’acharner bêtement dans le métier qu’il a choisi !
Mais où va-t-on si maintenant les exclus de la «
sélection » du magnifique système français
trouvent finalement des professeurs prêts à les encadrer et
à les amener à un diplôme valable, alors que
l’exclusion vaut, en elle-même, la juste déchéance
que tout loser devra porter, gravé sur son front, pour le reste de sa
misérable existence en France, hein, d’abord ?
Je sens que certains m’objecteront, la gueule
enfarinée, que si des enseignants sont prêts à
récupérer ainsi les rebuts des facs françaises,
c’est parce que ces aigrefins distribuent des diplômes en carton
en profitant du désarroi des pauvres exclus ! Ce à quoi je
noterai simplement que, jusqu’à preuve du contraire, les
Portugais n’ont pas tous les dents pourries et que leurs pharmaciens
valent bien les nôtres, ce qui tend à montrer que leurs
diplômes sont aussi valables, n’en déplaisent aux
pisse-froids qui sentent leur petit pouvoir local s’éroder.
J’entends aussi les pleurnicheries du
précédemment nommé Réda Amrani-Joutey
qui déclare, enflammé comme peut l’être toute
pasionaria syndicaliste franchouille, que :
« Cette université propose
presque d’acheter son diplôme, et je redoute un enseignement
à deux vitesses, un pour les riche et un pour les pauvres. »
Sacré Réda, tiens, qui prend bien la
précaution orale de mettre un presque à sa pitoyable
accusation. Il est vrai que ce n’est pas comme si le système actuel,
français, de maintenant là tout de suite, n’était
pas déjà clairement momifié sur une reproduction
sociale assez bétonnée et particulièrement prône
à cette double vitesse, hein ! Il faudrait savoir : où bien on gobe les chiffres de l’Observatoire des
inégalités et on pleurniche sur le système
qui est déjà à deux vitesses, et on constate que cette
UFP ne fait qu’entériner un fait acquis, ou bien on reste
coincé dans sa petite vision fantasmée d’un système
parfait qui n’a jamais existé et on passe pour un guignol rétrograde.
On peut souhaiter, certes, un système égalitaire
où tout le monde a accès à la connaissance
distribuée gratuitement par des cadors. En attendant, pour les gens
qui sont dans le monde réel, il y a une solution concrète qui
veut s’installer et que les actuels bénéficiaires du status quo ne veulent surtout pas laisser faire, alors
qu’elle constitue très manifestement une solution pour
désengorger les facs de tous ces gens riches qui peuvent se permettre
un bel enseignement payant, permettant ainsi aux cadors
désintéressés de s’occuper des plus pauvres.
C’est-y pas génial ?
Apparemment, non : leur diplôme, il est tout pourri et
il est trop cher, s’écrient donc de façon même pas
voilée le doyen de la fac de pharma et le président de
l’association d’étudiants, et puis d’abord leurs
formations sont nivelées par le bas, nananère.
On comprend que le recteur de la faculté portugaise, Salvato Trigo, interrogé,
prenne tout ça un chouilla pas bien. On
dirait… on dirait de la bonne grosse xénophobie, doublé
de ce bon jacobinisme si délicieusement français : eh oui, cela
revient à refuser au Portugal le droit d’avoir des institutions
qui s’internationalisent.
Plus intéressant encore, on apprend que le conseil
scientifique de l’UFP est présidé par le neuropsychiatre
renommé Boris Cyrulnik, qui
s’étonne de la réaction de ses confrères :
« Ce genre d’université
existe partout, notamment aux États-Unis. Tout ça
démontre surtout l’absurdité du numerus clausus. »
Bien évidemment, l’arrivée de cette
concurrence remet directement en cause le numerus clausus et le
pouvoir discrétionnaire qui y est attaché, mais pas seulement.
Lorsqu’on lit que Reda Amrani-Joutey
est très inquiet parce que, « dans dix ou vingt ans, des
dizaines d’universités privées s’implanteront avec
des enseignements pas contrôlés », on est bien ici
dans le pur procès d’intention et l’agitation spasmodique
de chiffon rouge typique de ceux qui n’ont pas d’autres arguments
que la peur des lendemains qui ne chantent plus à faire valoir pour
empêcher tout changement.
En revanche, on peut être certain que ce foutriquet est
parfaitement heureux de constater qu’un diplôme français
de pharmacie ou de dentiste permet de s’installer en Belgique ou au
Portugal. Il serait frétillant à l’idée
qu’une belle université française de dentistes ou de
pharmacie s’installe à Namur, Fribourg ou Lisbonne. Simplement,
il chope des boutons lorsque la réciproque est vraie et ne veut pas
entendre parler d’une concurrence d’enseignement, parce que,
parce que, comprenez-vous, ces Portugais, ils font tout de travers voyons
c’est évident…
Si ceci montre quelque chose, c’est
précisément à quel point la France a besoin de cette
concurrence, de ce sang frais et de méthodes nouvelles. La France
crève de ses monopoles, de ses archaïsmes et de ses
réflexes surprotecteurs arc-boutés sur un passé certes
glorieux mais déjà fort lointain. Et par
dessus tout, la France se meurt de ses petits chefs qui croient la
sauver en protégeant leurs miches et ne font que jeter quelques
pelletées de terre supplémentaires sur son cercueil.
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