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Les
électeurs irlandais ont rejeté le 12 juin 2008, par référendum,
le projet de
traité convenu à la réunion du Conseil des Chefs
d'Etat et de gouvernement à Lisbonne le 13 décembre 2007, et
réformant les règles juridiques de l'Union européenne
:
53,4%
de "Non" contre 46,6% de "Oui".
1. Pour fixer les
idées.
Soit dit en passant, cette prétendue révision en 277
pages des documents fondateurs de l'Union européenne est pour le moins
curieuse.
Le nouveau traité n'est en effet qu'une version reconditionnée
d'une constitution élaborée entre 2002 et 2003 par une convention
dirigée par l'ancien président de la République
française, Valéry Giscard d'Estaing, et inspirée par la
rédaction de la Constitution de Philadelphie des États-Unis en
1787.
Le document, avait dit Giscard, tiendrait 50 ans. Au lieu de cela, il s'est
effondré, condamné en 2005 par veto lors des
référendums organisés en France et aux Pays-Bas.
Des partisans de la Constitution n'ont pas renoncé et ont visé
à la ressusciter, enveloppant une grande partie du contenu dans le
traité dit de Lisbonne. Selon l'estimation de Daniel Gros, directeur
du Centre for European Policy Studies
à Bruxelles, 90 % du nouveau traité est la constitution
précédente mais dénommée autrement (opinion
que je partage entièrement comme vous pouvez le lire).
Le prétexte souvent avancé est le suivant :
"Nous ne sommes pas un petit club de 12 qui peuvent s'asseoir ensemble
autour d'une table et discuter de choses et d'autres'', comme le partage Sara
Hagemann, une analyste au European Policy Centre
à Bruxelles .
Selon certains commentateurs ou politiques, le traité vise à
aider l'U.E. à faire face à son expansion en Europe de l'Est.
Le Traité est le "point culminant des efforts visant à
réorganiser l'U.E. après la chute du communisme et
l'élargissement à de nouveaux membres d'Europe de l'Est,''
déclare John K. Glenn, directeur de la politique
étrangère au German
Marshall Fund à Washington. "Il permet à l'UE
d'avoir une action d'ensemble sur des questions telles que la
sécurité, le terrorisme et l'immigration.''
L'U.E. demeure nettement en deçà de l'État
fédéral imaginé par Jean Monnet, ce vendeur de cognac
français qui s'est transformé en homme politique et a
exposé des visions européennes audacieuses dans les
décennies 1940 et 1950.
Le colosse commercial qu'est l'U.E. reste un nain géopolitique.
Deux exemples : les divisions de l'UE ont précipité
l'effondrement de la Yougoslavie au début des années 1990,
laissant aux États-Unis le soin de mettre fin au bain de sang. Le bloc
vola en éclats lorsque le George W. Bush, président des
Etats-Unis d'Amérique, a décidé d'envahir l'Irak en
2003.
Les ambitions de construire une force européenne de réaction
rapide pour le maintien de la paix et des missions humanitaires ont
trébuché sur l'égotisme national et un manque de fonds.
Un objectif de 2003 de projeter une force de 60000 hommes dans des zones de
conflit en 60 jours reste insatisfait.
Le traité prévoit ainsi une rationalisation de la Commission européenne , la
suppression du veto national dans plusieurs domaines, davantage de pouvoir
pour les parlements démocratiquement élus des pays membres, une
réforme de la présidence du Conseil des Chefs d'Etat et de
gouvernement et un poste
des affaires étrangères renforcé.
2. Réactions à
chaud.
Le vote irlandais est une belle gifle aux dirigeants de l'U.E. qui est
composée désormais de 27 nations et dont les règles
exigent que tous ses membres ratifient le projet de traité.
Seule l'Irlande a appelé cette fois le peuple à voter ! Le referendum
est obligatoire pour tout sujet amendant la constitution irlandaise.
La Commission européenne a déjà dit que les autres pays
devraient continuer à ratifier le traité qui, selon elle, vise
à rationaliser la prise de décision. Soit dit en passant, cette
déclaration montre le grand cas que les bureaucrates d'icelle font des
choix des gens qui ne sont pas de leur avis.
Les dirigeants de la "campagne pour le Non" ont dit, pour leur
part, que le vote était un "très bon résultat pour
l'Irlande".
Un projet antérieur et plus vaste de Constitution européenne
avait échoué après que les Français et les
Hollandais l'eurent rejeté en 2005 par referendum.
3. "Eaux
inconnues".
La "campagne pour le Non" l'a remporté par
862 415 voix contre 752 451,
le taux de participation a été de 53,1%.
Evénement du résultat selon certains commentateurs, Dermot
Ahern, le ministre de la Justice irlandais, a déclaré que le
vote "Non" qui était prévu… laisserait l'U.E.
dans des "eaux inconnues".
Brian Lenihan, le ministre des Finances irlandais, a déclaré
pour sa part :
«Je suis très, très déçu de ce
résultat. Je pense que c'est un triste jour pour l'Europe aussi bien
que pour notre peuple."
Avant d'écrire une longue déclaration,
José Manuel Barroso, le Président actuel de la Commission
européenne, avait déclaré qu'il avait parlé au
Premier ministre irlandais, Brian Cowen, et était convenu avec lui que
ce n'était pas un vote contre l'UE.
"L'Irlande reste attachée à une Europe forte", a-t-il
dit.
"Les ratifications devraient continuer à suivre leurs
cours."
La France et l'Allemagne ont rapidement publié une déclaration conjointe
exprimant leur regret sur le résultat irlandais.
L'Espagne a dit qu'une solution sera trouvée.
Mais Vaclav
Klaus, le président de la République tchèque, a
déclaré que désormais la ratification ne pouvait pas se
poursuivre.
M. Barroso a informé que les dirigeants de l'UE devraient
décider la semaine prochaine, lors d'un sommet, de la manière
de procéder .
Il a appelé l'UE à maintenir l'attention sur les questions d'intérêt
pour les gens comme l'emploi et l'inflation, la sécurité
énergétique et le changement climatique.
Soit dit en passant, Oana Lungescu de la BBC à Bruxelles remarque que
ce troisième échec référendaire - en trois ans -
sur le traité de constitution de l'Union européenne
souligne seulement l'écart grandissant entre les peuples et leurs
dirigeants.
Antérieurement, les dirigeants européens avaient dit qu'ils
n'avaient pas de "plan B" pour savoir comment procéder si
l'électorat de l'Irlande votait "Non".
Declan Ganley du groupe anti-traité "Libertas" a dit que c'était
un "grand jour pour être irlandais".
"Les gens de l'Irlande ont montré un courage énorme et une
grande sagesse dans l'analyse des faits qui leur ont été
présentés et dans la décision qu'ils ont prise", a
déclaré M. Ganley.
La campagne pour le "Non" a été une vaste coalition
allant de Libertas
au Sinn Fein,
le seul parti représenté au Parlement opposé au
traité.
Gerry Adams, le président du Sinn
Fein, a déclaré:
«Les gens se sentent en sécurité au cœur de
l'Europe, mais ils veulent s'assurer qu'il y a un pouvoir démocratique
maximum."
4. Confusion
Les partisans irlandais de l'accord, y compris le Premier ministre, Brian
Cowen, et le principal parti d'opposition, essaient de neutraliser les critiques
que le traité transférerait trop de pouvoir à l'UE,
inonderait le marché irlandais d'aliments étrangers bon
marché, ferait que l'U.E. s'empare du taux d'imposition de 12,5 % des
entreprises d'Irlande, ou même ferait glisser le pays dans des guerres
étrangères.
Les attitudes irlandaises soulignent les paradoxes qui ont marqué
l'intégration européenne.
L'Irlande a tournoyé dans un filet de 55 milliards d'euros de subventions européennes
depuis son adhésion au bloc en 1973, simultanément avec le
Royaume-Uni et le Danemark.
L'aide au développement et l'accès au marché libre de
frontière ont contribué à ce qu'elle devienne
l'économie de l'Europe occidentale avec la plus rapide croissance dans
la dernière décennie, et 74 % des Irlandais évaluent
l'adhésion à l'UE comme une "bonne chose".
Beaucoup de commentateurs considèrent que de nombreux électeurs
ne comprenaient pas le traité en dépit de la campagne de haut
niveau qu'avait menée M. Cowen et qui avait le soutien de la plupart
des principaux partis du pays.
Reste que, pendant la majeure partie de la campagne, les sondages avaient
montré une pluralité de votes en faveur du "Oui" au
traité. Mais l'opposition a augmenté progressivement, et un
sondage de l'Irish Times
/ TNS MRBI publié le 6 Juin avait donné pour la
première fois une avance aux "Non", 35 pour cent contre 30
pour cent. Un sondage publié par le Sunday
Business Post montrait néanmoins le 7 juin que les
supporters menaient par 42 % contre 39%, dans la marge d'erreur, avec 19 %
indécis.
M. Cowen a accusé le "camp du Non" de "fausse
déclaration" en disant que les électeurs avaient
exprimé leur inquiétude sur "des questions qui
n'étaient clairement pas du tout dans le traité ", a
rapporté l'Irish
Times.
5. 2008, Iliade ou
Odyssée de l'Etat européen rêvé par certains.
Le traité devait entrer en vigueur le 1er janvier 2009. Quinze pays
sur les vingt sept ont achevé sa ratification à ce jour.
Dans trois autres, celle-ci est actuellement en cours : le mercredi 11 juin
dernier, le parlement grec a d'ailleurs entériné la
réforme par :
250 voix "pour" et 42 "contre" !
Il y avait un peu plus de trois millions d'électeurs irlandais
inscrits - certes, dans une Union européenne de 490 millions de
personnes.
Soit dit en passant, alors que le boom immobilier semble se
terminer en Irlande, la croissance de celle-ci est estimée par l'UE
à 2,3 % en 2008, le taux de chômage à 5,6 %.
Pour sa part, avec un produit intérieur brut de 12,8 milliards d'euros
($ 19,8 milliards), l'U.E. est un grand bloc économico-juridique,
disposant d'une banque centrale, d'une autorité de commerce et de
régulation, et de près de cent mille pages de lois
qui régissent un "marché commun" qui s'étend
de l'Atlantique à la frontière avec la Russie.
Quant à l'euro
, la monnaie d'une partie des pays de l'U.E., après avoir atteint un
prix record cette année, il vaut actuellement spot aux environs
de 1,55 $, à comparer à 1,17 $, son prix en dollar quand
il a vu le jour, comme unité de compte des marchés financiers,
le 1er janvier 1999.
Partagé par 15 pays de l'U.E., l'euro a écorné la
domination du dollar en tant que monnaie de réserve. Il
représente 26,5 % des "réserves de change
mondiales", alors que le dollar en représente 63,9 %, soit le
pourcentage le plus bas jamais atteint par celui-ci si on en croit le Fonds
monétaire international.
L'Irlande avait refusé le traité de Nice
instituant les premières réformes de l'Union européenne
(créée par le Traité
de Maastricht) lors d'un premier référendum en 2001.
Mais le gouvernement s'était employé à organiser
rapidement un second referendum pour faire adopter le texte.
Le conditionnement ambiant explique aujourd'hui que le premier
référendum avait rejeté le traité à cause de
la préoccupation qu'il mettrait fin à la tradition de
neutralité militaire de l'Irlande.
L'approbation "au second tour" suivit une déclaration de
l'UE selon quoi rien de ce genre ne se produirait.
Cette fois, ce sont les interventions étrangères qui sont mises
en cause. Souvent vécues comme une "ingérence",
les déclarations de dirigeants étrangers favorables au
"oui", en particulier de ministres français, ont
été du pain béni pour les opposants au traité de
Lisbonne, selon le camp du "non".
"Je me demande parfois si certaines personnes en Europe ne faisaient pas
exprès de provoquer un non", observe John McGuirk, porte-parole
de Libertas,
qui estime avoir reçu une aide inattendue pour obtenir le rejet du
traité.
Les commentaires de Bernard Kouchner, le ministre des Affaires
étrangères français, ont notamment eu un effet
retentissant sur l'île de 4,2 millions d'habitants.
Le 9 juin, trois jours avant le vote, le chef de la diplomatie
française avait estimé que les Irlandais "seraient les
premières victimes" s'ils votaient "non". "Ils en
ont profité plus que les autres", avait-il estimé à
RTL.
La presse tabloïde s'était emparée de ces commentaires. L'Irish Sun avait
publié à la "Une" une photo du visage de Bernard
Kouchner (ci-contre une photo d'un autre grenouillage), sur laquelle avaient
été apposés une grenouille ainsi que le titre : "Va
grenouiller ailleurs".
Selon un sondage publié récemment dans l'Irish Times, 17 % de
ceux qui se disaient prêts à voter "non" citaient
comme raison principale qu'ils "n'aimaient pas qu'on leur dise ce qu'il
faut faire".
L'enquête ne précisait pas s'il s'agissait des appels à
voter "oui" en provenance de l'étranger ou du gouvernement
à Dublin mais, selon le porte-parole de Libertas, les déclarations des
autres pays européens ont eu "un impact significatif".
M. McGuirk cite aussi les propos rapportés par la presse en avril de
Christine Lagarde, le ministre des Finances français, soulignant
l'intention de Paris de pousser à une harmonisation de la
fiscalité lors de la présidence de l'Union européenne
qu'elle entamera en juillet.
Cette déclaration avait touché une corde sensible en Irlande,
faisant craindre une volonté de Paris de remettre en cause le taux
exceptionnellement faible de l'impôt sur les sociétés
(12,5%) et qui est jugé sur l'île comme une des clefs de son
formidable développement économique.
"Les commentaires de Christine Lagarde ont été un
véritable cadeau", a déclaré M. McGuirk à
l'AFP.
Tout au long de la campagne, les partisans du "oui" savaient qu'ils
marchaient sur des oeufs quand un responsable européen venait soutenir
leur camp. La venue de José Manuel Barroso avait ainsi
été déplorée par l'ancienne députée
européenne des Verts, Patricia McKenna, favorable au "non".
Mais Dick Roche, le secrétaire d'Etat aux Affaires européennes,
avait rejeté ces accusations, les estimant
"déplacées et agressives". Micheal Martin, le
ministre des Affaires étrangères irlandais , avait
également défendu les interventions étrangères,
peu après les propos de son homologue français, Bernard
Kouchner.
"C'est leur droit car notre décision va les concerner",
avait dit M. Martin.
Mais l'effet peut jouer dans les deux sens. Le camp du "non" avait
ainsi frémi quand un cercle estudiantin de Dublin avait invité
en début d'année Jean-Marie Le Pen, opposant au
traité de Lisbonne. Les "nonistes" irlandais avaient
dit alors craindre que la venue du Français ait l'effet inverse sur
leur camp...
"Il n'y aura pas de second référendum cette fois-ci",
a assuré le gouvernement irlandais.
Georges
Lane
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publiés par Georges Lane
Georges Lane
enseigne l’économie à l’Université de Paris-Dauphine.
Il a collaboré avec Jacques Rueff, est un membre du séminaire
J. B. Say que dirige Pascal Salin, et figure parmi les très
rares intellectuels libéraux authentiques en France.
Publié avec
l’aimable autorisation de Georges Lane. Tous droits
réservés par l’auteur
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