“L’or est le souverain de tous les souverains.” Democritus
On dit que l’or est un métal géopolitique. L’or est une monnaie réelle,
sans risque de contrepartie et, en plus, un excellent conservateur de
patrimoine dans le temps et l’espace. Comme les monnaies fiduciaires (dollar,
euro, yen, Yuan, etc.), le prix de l’or est influencé par les évènements
politiques, surtout ceux qui ont un impact international. Alan Greenspan, ex-président
de la banque centrale américaine, a dit "Gold is
money in extremis" (l'or est la monnaie de dernier recours). C'est
pourquoi il fait partie des réserves de la plupart des banques centrales.
C’est la seule réserve qui n’est pas une dette et qui ne peut pas être
dévaluée par l’inflation, contrairement aux devises.
On remarque, dans le graphique #1, que les banques centrales possèdent
30,500 tonnes d’or, soit 19% du stock d’or en surface. Ce chiffre est
sous-estimé, car beaucoup de pays (ex. Chine, Arabie Saoudite) rapportent
seulement une partie de leurs stocks d’or. Et, la plupart du temps, ils ne le
font pas de manière ponctuelle. Certains pays ne communiquent aucun
chiffre.
Le stock d’or mondial
Le stock d’or officiel détenu par des pays (sous le nom de différentes
institutions) est, à mon avis, plutôt aux alentours de 40,000 tonnes. Même si
ce stock ne représente que 20% à 25% du stock total, il peut être mis sur le
marché rapidement et en quantité suffisante pour influencer le prix du
marché. Le marché annuel de l’or est de seulement 4,477 tonnes par an; il est
donc facile pour des États comme les États-Unis ou l’Union européenne
d’influencer le prix, étant donné qu'ils possèdent respectivement 8,333
tonnes et 10,779 tonnes d'or.
Les monnaies sont à l’image de la santé des pays qui les émettent. Quand
un pays gère bien son économie et offre un bon cadre social et politique, la
demande de sa monnaie augmente et, donc, elle s’apprécie, alors que le
contraire se produit quand l’économie et la politique du pays sont mal
gérées. La monnaie fiduciaire est le reflet du pays et sa valeur dépend seulement
de la confiance que l’on a dans son économie. Quand tout le système monétaire
international est proche de l'effondrement, à cause d’un endettement mondial
exorbitant, il y a alors un afflux vers des valeurs réelles (terrains,
bâtiments, bijoux, or, argent, etc.). L’or est une monnaie réelle,
contrairement aux devises des différents pays qui sont des monnaies
fiduciaires et qui peuvent être dévalorisées par une monétisation de la
dette.
Depuis le début de l’Histoire l’or a occupé une place centrale dans la
géopolitique. L’Histoire raconte que l’Empire romain a envahi Dacia
(aujourd’hui la Roumanie) au début du 2ème siècle av. J.-C. pour prendre le
contrôle des riches mines d’or des Carpates. L’Empire avait épuisé toutes ses
mines d’or et ses dépenses augmentaient rapidement. L’économie romaine était
centrée sur la guerre et ces guerres coûtaient de plus en plus d'or, alors
qu’elles en rapportaient de moins en moins. Au même moment, les Romains
avaient pris goût aux produits chers qu’ils ne produisaient pas, comme la
soie de Chine, les perles du golfe Persique, les parfums d’Inde, l'ivoire
d’Afrique, etc. L’or romain était utilisé pour tout cela et il en fallait en
grande quantité. Plus tard, dans les années 1500, la recherche d’or est
devenue l'objectif de la conquête des Amériques après le retour de Christophe
Colomb et sa découverte de l’or Aztèque et Inca. Durant la Deuxième Guerre
mondiale, Hitler a formé une équipe qui avait pour mission de prendre
possession de l’or et des trésors des pays conquis. L’Allemagne Nazi a
utilisé toutes les ressources disponibles pour gagner la 2ème Guerre
mondiale, et l'or a été une arme très importante dans l’arsenal économique de
Hitler - l’or volé aux banques centrales des pays européens occupés entre
1939 et 1942. Fait historique intéressant, la possession privée de l’or a été
interdite par des dirigeants autant de droite que de gauche, totalitaires ou
démocrates, allant de Lénine en Russie, Hitler en Allemagne, Mussolini en
Italie, en passant par Mao en Chine et Roosevelt aux États-Unis.
En 1944, à la conférence de Bretton Woods, les
États-Unis ont profité de la grande faiblesse du monde, suite à la 2ème
Guerre mondiale, pour imposer un système monétaire basé sur le dollar, mais
soutenu par une couverture en or du dollar. Après une crise opposant les
États-Unis aux Européens, mais surtout à la France, la couverture en or du
dollar a été abandonnée en 1971. Le déficit et l’endettement engendrés par
une baisse de productivité et des guerres coûteuses (Corée, Vietnam) ont commencé
à peser lourd sur le dollar. Le dollar américain est devenu en 1971 le
standard monétaire international, mais sans aucune couverture en or. L’or est
resté tout de même dans l’ombre le standard « de facto » en cas de crise
monétaire majeure, guettant le premier faux pas pour bondir. Plusieurs pays,
comme le Canada, ont vendu leur stock d’or dans les années ’90 mais, au
total, le stock officiel, comme on peut le voir dans le graphique #1, a très
peu diminué.
Une nouvelle ère a commencé dans les années ’90 avec la fin de la Guerre
froide et, donc, un début de désarmement mondial. Une ère de paix et de
prospérité semblait avoir commencé sous la dominance presque absolue des
États-Unis. Durant cette période optimiste, l’or a chuté de $850 à $250.
Cette ère a été de courte durée, car l’attentat du 11 septembre à New York,
la guerre d’Afghanistan, l’invasion de l’Irak, la crise financière de 2008
et, récemment, l’annexion de la Crimée par la Russie ont tout changé.
Durant la crise de 2008, qui a presque fait s’écrouler l’actuel système
monétaire international, l’or a fait un retour foudroyant dans le système.
Durant la crise, l’or est devenu la seule garantie acceptée pour obtenir de
la liquidité. Après avoir été ignoré pendant des décennies, voilà l'or revenu
dans le système monétaire international via des règlements de la Banque des
règlements internationaux (BRI). Les transactions sont une confirmation du
retour de l’or dans le système. Celles-ci révèlent le mauvais état du système
financier avant la crise et démontrent comment l’or a été mobilisé
indirectement pour soutenir les banques commerciales. L’utilité de dernier
recours historique de l’or a refait surface, même si cela s’est fait derrière
des portes closes de la BRI à Bâle, en Suisse.
On observe, à partir de 2008, un arrêt des ventes d’or des banques
centrales occidentales et une accélération des achats des pays émergents.
L’extrême endettement des pays de l’Ouest et la renaissance des économies des
pays émergents ont déstabilisé encore plus un système monétaire international
centré sur un dollar américain déjà fortement affaibli.
Réserves d’or globales vs production minière globale
Une crise de confiance est aussi réapparue entre les pays, surtout entre
les pays émergents et les États-Unis. Nous sommes dans une période de
transition géopolitique et nous assistons à un transfert économique et de
richesse de l’Ouest vers l’Est. Les nouveaux détenteurs de richesse demandent
aussi une redistribution du pouvoir politique au niveau international dans
toutes les institutions où l’Union européenne et les États-Unis dominent.
Pour protéger le système monétaire actuel basé sur le dollar, qui privilégie de
façon exorbitante le dollar, les États-Unis manipulent le prix de l’or,
l'unique alternative possible en cas de remplacement du dollar (avec un DTS
soutenu par l’or). Les États-Unis essayent de décourager les États et les
particuliers à vendre le dollar à coup de déclarations, mais aussi des ventes
sur les marchés à court terme. 40-60% des dollars américains existants circulent
à l’extérieur des États-Unis. Au même moment, les pays émergents craignent, à
juste titre, que leurs réserves, majoritairement composées de dollars, soient
confisquées par une dévaluation du billet vert. Il est aussi possible que
leurs réserves d’or entreposées aux États-Unis soient confisquées pour des
raisons politiques soi-disant de « force majeure » et dans l’intérêt de «
l’État » américain.
L’or est une monnaie « in extremis », et c'est pourquoi il ne devrait pas
être stocké en dehors des frontières du pays. À part en cas de situation
exceptionnelle comme une guerre, et ce seulement pendant une courte période.
À mon avis, la seule motivation ayant poussé les pays à stocker leur or à New
York a été leur avidité à spéculer au risque de perdre cette réserve de
dernier recours. C’est d’ailleurs ce qui est arrivé au Portugal : durant la
crise de 2008 et la faillite de Lehman Brothers, le pays a perdu l'or qu'il avait prêté. En
période de guerre ou de crise, il est très important d’avoir non seulement la
propriété légale mais aussi la possession de l’or. Les alliances
géopolitiques peuvent changer et l’accès à cette monnaie « in extremis »
qu’est l’or peut être restreint ou même refusé.
Dans le cadre géopolitique actuel que Ian Bremmer
a si bien appelé G0 (aucun pays ne domine; chacun a des atouts, mais aussi
des faiblesses), une lutte de pouvoir sur la scène internationale est en
train d'avoir lieu entre les États-Unis, l’Union européenne, la Russie et la
Chine. Dans cette nouvelle Guerre froide, mais dans un environnement G0
plutôt que G2 (États-Unis et Union soviétique) où la Communauté européenne
n’est pas vraiment alliée aux États-Unis et où la Chine n’est pas vraiment
avec la Russie, l’incertitude règne. D’autres acteurs peuvent influencer la nouvelle
Guerre froide qui vient de se déclencher, depuis l’adhésion de la Crimée à la
Russie. Dans un article précédent sur la guerre de l’or, j’ai mentionné
le rôle d’accélérateur, d’agitateur ou de faiseur de troubles que pourraient
jouer des tiers pays comme la Russie ou l’Arabie Saoudite. C’est ce qui s’est
produit avec la Russie, en Crimée, un mois plus tard. Il y a une guerre
contre le prix de l’or menée par les pays occidentaux, mais aussi une guerre
de possession de l’or entre tous les pays, les pays orientaux étant ceux qui
veulent échanger leurs réserves de dollars pour de l’or au plus vite.
Dans cette nouvelle Guerre froide qui est également une guerre des
devises, le rôle de l’or est devenu primordial dans les stratégies de
politique internationale de tous les pays impliqués. Durant cette période de
risques majeurs et d’incertitude, et jusqu’au retour d’un nouvel ordre
géopolitique, économique et monétaire, l’or va briller. L’or est une monnaie,
la monnaie de dernier recours, et la seule devise réelle sans risque de
contrepartie. C’est pour cela que l’or est considéré à juste titre comme un
métal géopolitique.
Réserves officielles d’or en tonnes – pays développés vs pays émergents
Réserves officielles d’or en pourcentage des réserves totales de devises
étrangères – pays développés vs pays émergents
Réserves officielles d’or en pourcentage du PIB – pays développés vs pays
émergents
Dette publique en pourcentage du PIB – pays développés vs pays émergents