L’un des
mythes que nous entendons beaucoup aujourd’hui veut que le prix de l’or chute
à chaque fois que les taux d’intérêt grimpent.
La logique voudrait que lorsque
les taux d’intérêt grimpent, le cout de détention de l’or, un métal qui ne
rapporte aucun intérêt, devienne plus cher. Et parce que les marchés prennent
en compte les attentes futures, l’or devrait avoir tendance à baisser
lorsqu’une hausse des taux d’intérêt est attendue. Puisque le Fed’s Open
Market Committee discute actuellement d’une possible hausse des taux pour
2016, il n’est donc pas surprenant aux yeux des observateurs du marché de
voir l’or poursuivre son marché baissier. Mais ce mythe n’est en fait rien de
plus que ce qu’indique son nom. Un mythe rejeté par des preuves empiriques.
Le graphique ci-dessous
remonte à une époque où le contraire était considéré comme vrai. Entre mars
1971 et décembre 1979, les taux d’intérêt et le prix de l’or ont grimpé puis
baissé en tandem. Il est important de souligner que ce phénomène a pu être
observé pendant plus d’un cycle économique, et n’est donc pas une relation
dépendante aux cycles.
Le mythe de corrélation
inverse est donc facilement discrédité. Pour comprendre pourquoi cette
relation entre les taux d’intérêt et l’or n’est pas aussi simple qu’on
pourrait le croire, il nous faut aller un peu plus loin et observer les
matières premières en général pour nous pencher sur le sujet difficile qu’est
le paradoxe de Gibson. Ce paradoxe est basé sur des preuves empiriques de
longue date, qui remontent à l’époque où l’or était utilisé comme monnaie –
de 1730 à 1930. Il observe que les niveaux de prix de gros et les taux
d’intérêt sont positivement corrélés. Ce n’est pas là une relation de prix
qui va de pair avec la théorie quantitative de la monnaie, qui présuppose que
les taux d’intérêt sont corrélés au taux d’inflation des prix plutôt qu’au
niveau de prix. C’est possiblement la raison pour laquelle les monétaristes
pensent, à tort, que les banques centrales peuvent contrôler le taux
d’inflation au moyen de leurs politiques de taux d’intérêt. Les marchés
d’aujourd’hui pensent pour beaucoup que la relation entre les taux d’intérêt
et l’inflation des prix est contraire à ce que voudrait le paradoxe de
Gibson, et lui préfèrent la théorie quantitative aujourd’hui bien plus en
vogue.
Gibson et son paradoxe (selon
lequel le taux d'intérêt et le niveau général des prix varient dans le même
sens). ont été largement oubliés aujourd’hui, et ceux qui contrôlent nos
marchés et notre argent ne semblent pas comprendre les problèmes qu’ils
posent pour leurs préconceptions monétaristes. Keynes a décrit le paradoxe de
Gibson en 1930 comme le « fait empirique le plus complètement établi en
matière d’économie quantitative ». Irving Fisher a également écrit en
1930 qu’ « aucun problème économique n’a jamais été plus débattu ».
Même Milton Friedman a admis en 1976 que « le paradoxe de Gibson demeure
un phénomène empirique sans explication théorique ».*
Mais résoudre ce paradoxe peut
être laissé à plus tard. Nous devrions en attendant en considérer les
implications en observant les relations entre les prix de gros et les taux
d’intérêt dans un monde qui n’utilise plus l’or comme monnaie. Ce deuxième
graphique montre les prix aux producteurs mesurés en or et comparés aux
rendements des bons du Trésor sur un an.
J’ai eu recours à l’
« indice des prix aux producteurs par marchandise pour les matières
premières avant transformation » publié par la Fed de Saint Louis afin
de refléter au mieux les tendances de prix, et réduire les changements
additionnels en termes de marges de transformation au fil du temps. Les taux
d’intérêt sur un an sont ici préférés aux méthodes d’analyse originales du
paradoxe de Gibson, qui utilisent les rendements d’actions non-datées du
gouvernement britannique en tant que seule information continuelle
disponible, parce que nous nous intéressons aux politiques modernes de taux
d’intérêt.
En observant ce graphique, il
est difficilement surprenant de voir que le paradoxe de Gibson a cessé suite
au choc de Nixon en 1971, alors que les Etats-Unis lançaient une flambée du
prix de l’or en mettant fin aux accords de Bretton Woods. Le prix de l’or a
ensuite suivi son propre cours, et influencé à la baisse les prix de gros
indiqués en or au cours des neuf années qui ont suivi. La hausse de l’indice
entre 1980 et 2000 reflète le marché baissier de l’or qui l’a vu plonger
depuis 800 jusqu’à 250 dollars, mais l’influence du paradoxe de Gibson semble
être réapparue ensuite.
Cette conclusion pourrait être
perçue comme suspecte, mais le graphique nous indique non seulement que les
prix des producteurs sont désormais au plus bas sur trente-cinq ans en termes
de monnaie saine, mais aussi que le niveau de prix coïncide avec des taux
d’intérêt de zéro pourcent. En théorie, elle s’accorde parfaitement avec le
paradoxe de Gibson. Que devrions-nous donc en retenir ?
Les taux d’intérêt de zéro
pourcent ne pourront plus aller que dans une direction, et il n’est plus
question que de temps, un temps qui selon la Fed commence à manquer. Si le
paradoxe de Gibson était valide, les prix des marchandises en tant que
matières premières devraient grimper en parallèle aux taux d’intérêt. De
plus, les preuves suggèrent que les prix de gros sont supprimés plus encore
que le prix de l’or. Ceci étant le cas, lorsque les taux d’intérêt
repasseront à la hausse, le potentiel de hausse des prix des marchandises en
dollars pourrait s’avérer spectaculaire, et plus encore si le prix de l’or
venait lui aussi à grimper, ce qui serait fort possible si les marchés
financiers étaient déstabilisés par des taux plus élevés.
Il est nécessaire de garder à
l’esprit que le consensus économique, qui adhère à la théorie quantitative de
la monnaie et se conforte devant l’absence apparente d’inflation des prix à
la consommation depuis l’expansion monétaire qui a fait suite à la
catastrophe Lehman, s’oppose complètement au paradoxe de Gibson. Le possible
retournement du cycle des taux d’intérêt est donc perçu comme ayant une
influence haussière sur le taux de change du dollar, et baissière sur les
prix des marchandises et de l’or. Pour reprendre la langue courante des
financiers, « tout le monde est du même côté du marché », ce qui
signifie que le dollar est techniquement suracheté et les marchandises
survendues.
Le paradoxe de Gibson indique
cependant que les choses se passeront autrement, et il pourrait être capital
d’observer la relation cyclique entre les taux d’intérêt, les marchés des
actions et les prix des marchandises. Il est facile de voir comment se forme
cette relation. Une hausse des taux d’intérêt serait certainement accompagnée
d’un déclin important des marchés des actions et des obligations surachetées
à mesure que les positions se trouveraient liquidées, et affecterait dans le
même temps les ratios de solvabilité des banques.
Le capital spéculateur qui
fuira les marchés en déclin devra bien finir quelque part, notamment si les
réserves des banques encourent un risque croissant de défaut systémique. Le
paradoxe de Gibson nous indique que ce sont là les conditions qui seront
nécessaires pour que les matières premières deviennent les valeurs refuge de
choix pour le plus gros niveau de spéculation enregistré depuis que les
devises fiduciaires ont été détachées de l’or. Le paradoxe de Gibson est
encore valide aujourd’hui.