Cofondateur et directeur de la Bank Rotschild AG, Ferdinand
Lips a fait autorité en matière d’or. Ses nombreux
articles l’ont fait connaître aux lecteurs d’Horizons et
débats. Par ailleurs, il a prononcé des conférences
remarquées au Congrès de «Mut zur Ethik». En 2002,
son ouvrage «Gold Wars» a suscité un intérêt
mondial. Dans son édition du 22 juillet 2002, Zeit-Fragen a
consacré un article complet et élogieux à cet ouvrage sous
le titre «Die Bedeutung des Goldstandards» (l’importance de
l’étalon-or). Le livre a été traduit en plusieurs
langues. En allemand, il a déjà été
édité cinq fois.1 D’ici peu, les Japonais
pourront aussi le lire. Ferdinand Lips avait écrit l’ouvrage aux
Etats-Unis, dans le cadre d’un mouvement populaire pour «une
monnaie saine».
Il
était un partisan de l’étalon-or classique.2
Connaisseur de l’histoire, il a prouvé que l’or
était devenu la forme la plus stable et la plus sûre de la
monnaie au cours des derniers deux mille cinq cents ans, si bien qu’il
est considéré aujourd’hui encore en de nombreux endroits
comme synonyme de monnaie. Cette évolution n’a pas
découlé de quelque conférence monétaire, mais est
le résultat d’une longue expérience pratique.
Ces dernières
années, l’or a subi de nombreux mouvements inquiétants
sur le plan mondial, dont fait partie la décision contestée de
la Suisse de vendre la moitié de ses réserves. Ferdinand Lips a
décidé alors de monter sur les barricades. Son action a pris la
forme d’un livre, d’articles de journaux et de
conférences. C’est ainsi qu’il a tenu une
conférence à l’Université de Saint-Gall en juin
2004. Le présent article a pour objectif d’indiquer quelles
valeurs essentielles figuraient parmi les convictions de Ferdinand Lips.
Elles se trouvent dans ses livres et conférences et forment les
caractéristiques d’une personnalité impressionnante.
Combattant
pour la liberté, la paix, la démocratie et le bien-être
Ferdinand Lips
décrit de manière frappante le changement radical qui a eu lieu
en 1914 dans le système monétaire mondial. Il y avait des
monnaies nationales, telles que le franc suisse, le florin, le mark et le
dollar. Toutes les monnaies importantes circulaient sous la forme de monnaies
d’or dans la vie quotidienne et dans la vie des affaires. Elles
pouvaient être échangées aisément les unes contre
les autres, car elles étaient toutes d’or. Le système
fonctionnait sans l’apport du gouvernement ni de l’institut
d’émission. L’or était la monnaie du citoyen. A
l’époque, les citoyens se sentaient beaucoup plus responsables
de la société que ce n’est le cas actuellement. La
Confédération et les cantons n’avaient pas de dettes.
Le citoyen
suisse, par exemple, avait un «vreneli d’or» dans son
porte-monnaie, à la place du billet de 100 francs actuel. Cette
pièce était pour le moins aussi maniable et aussi peu sujette
à contrefaçon que le billet actuel. Œuvre d’art,
elle réjouissait son possesseur non seulement à cause de son
pouvoir d’achat.
La monnaie du
citoyen garantit une propriété, car l’or lui
confère une valeur intrinsèque. Elle est synonyme de
liberté et ne dépend pas de l’arbitraire étatique.
Le «vreneli d’or» a aujourd’hui encore – 100
ans après – à peu près la même valeur
qu’à l’époque. L’or conserve toujours sa valeur,
ce que l’on ne saurait prétendre du papier-monnaie. Une
pièce d’or du temps d’Alexandre le Grand brille
aujourd’hui comme jadis. Le «vreneli d’or» aura
encore sa valeur dans 100 ans. En revanche, personne ne peut garantir que
l’on puisse encore se procurer un café en remettant ce billet.
Ferdinand Lips
est parvenu à expliquer de façon magistrale l’importance
de l’étalon-or pour la liberté, la paix et le
bien-être.
L’or
empêche la guerre
La
rapacité des chercheurs d’or a déclenché certaines
guerres. En revanche, la monnaie-or a stimulé la paix. Ferdinand Lips
a insisté de manière convaincante sur le fait que la
Première Guerre mondiale se serait terminée après
quelques mois seulement – et ce pour des raisons bien simples –
si les pays avaient maintenu le système de l’étalon-or
classique en 1914: les munitions auraient fait défaut aux troupes qui
se faisaient face dans les tranchées, sur des milliers de
kilomètres. Les caisses de guerre étaient vides. Les soldats
auraient pu rentrer dans leurs foyers et des millions d’entre eux
auraient eu encore une vie complète devant eux au lieu
d’affronter la mort. Toutefois, les instituts d’émission
fondés peu auparavant ont aidé les généraux. Les
banques centrales ont mis en marche les planches à billet. Elles ont permis
ainsi aux généraux de poursuivre leur abattage cruel et
meurtrier jusqu’à l’épuisement des peuples.
Le
système de l’étalon-or empêche les grandes crises
économiques
Après
la guerre, l’indépendance des instituts d’émission
est resté un vœu pie. Les banques centrales sont devenues
l’instrument docile des gouvernements. Bien que le système de
l’étalon-or ait été rétabli partiellement,
les grandes puissances ne se sont plus laissées priver de la possibilité
de créer de l’argent à partir du néant pour influer
sur le cours de l’économie et financer leur politique. Ferdinand
Lips s’oppose à la thèse selon laquelle la grande crise
économique des années trente s’explique par le
rétablissement partiel du système de l’étalon-or.
D’après les partisans de cette thèse, celui-ci aurait
empêché de créer de la monnaie et de stimuler la
conjoncture en imprimant à temps de la monnaie.
Ferdinand Lips
est d’un autre avis. D’une part, il n’y avait plus alors de
système classique de l’étalon-or, d’autre part,
l’économie et la bourse des Etats-Unis avaient été
gonflées artificiellement, dès les années vingt,
d’une monnaie créée à partir du néant. Ce
n’est pas un hasard si les historiens nomment cette époque les
flambantes années vingt. A un essor artificiel succède
inévitablement une chute désastreuse comme il s’en est
produit dans les années vingt.
Le
système classique de l’étalon-or n’aurait pas
permis une telle évolution, et la grande crise n’aurait pas non
plus eu lieu. Lips était convaincu que les fluctuations conjoncturelles
inévitables et les adaptations structurelles auraient
été plus modérées si l’Etat n’avait
pas gonflé l’économie par des «piqûres
monétaires». Le rôle de celles-ci est uniquement de
perturber l’économie.
Le krach de
1929 et la récession qui a suivi résultaient
d’excès et d’une politique monétaire
débridée. Contrairement à une affirmation
fréquente, ce ne sont pas les bas prix qui ont accentué la
crise, avec ses millions de chômeurs, mais la perte de confiance dans
les banques et les autorités ainsi que, en dernière analyse,
les doutes de l’homme en lui-même. En Allemagne, cette situation
a généré le national-socialisme.
Ferdinand Lips
analyse les situations économique et politique en tant que praticien.
Il démontre ainsi que beaucoup moins de guerres et des guerres
nettement plus courtes ont eu lieu durant l’«âge
d’or», c’est-à-dire avant 1914, qu’au XXe
siècle avec ses monnaies de papier et ses grandes catastrophes.
Le pouvoir d’achat de la «monnaie du citoyen» s’est
préservé. L’évolution économique des
décennies antérieures à 1914 a été plus
régulière et a généré la
prospérité.
«Guerre»
contre la monnaie du citoyen
Durant l’entre-deux-guerres, divers gouvernements ont
mené une véritable bataille contre la «monnaie du
citoyen». Par l’une de leurs premières mesures
gouvernementales, Lénine, Mussolini et Hitler ont interdit la
possession de pièces d’or par les particuliers. Theodor D.
Roosevelt, le président des Etats-Unis, ne leur a
cédé en rien. En 1934, les citoyens des Etats-Unis ont dû
vendre leurs pièces d’or contre remise de papier-monnaie
imprimé par l’Etat. Peu après, celui-ci a
été dévalué de plus d’un tiers.
Révolté, Lips a écrit qu’il s’agissait
d’une véritable escroquerie, de la plus grande rapine de
l’histoire. Dans le pays de la liberté et des droits du citoyen,
on avait affaire à une intrusion massive dans la sphère
privée, ce qui a ébranlé durablement la confiance du
citoyen en sa propre monnaie. De nombreux Américains ne pardonnent pas
encore à Roosevelt. Aux Etats-Unis, l’interdiction n’a
été levée qu’en 1974. Telle était
l’une des raisons pour lesquelles des mouvements populaires «pour
une monnaie saine» se sont développés depuis longtemps
dans ce pays.
En Suisse également, le franc a été
dévalué dans les années trente. La Banque nationale a
cessé définitivement d’échanger les billets des
citoyens contre de l’or. Le «vreneli d’or» a disparu
des porte-monnaies. Toutefois, cette tête de femme gracieuse n’a
pas dû être remise aux autorités comme aux Etats-Unis.
Dans de nombreuses familles, elle est restée un moyen de conservation
de la valeur jusqu’à aujourd’hui, où elle sert de
monnaie de réserve.
Papier-monnaie,
puissance et guerre
Dans son ouvrage, Ferdinand Lips explique avec précision,
à plusieurs reprises, le rapport entre le papier-monnaie, la puissance
et la guerre. Tel est le cas à l’époque de la guerre du
Vietnam, dans les années soixante. L’escalade de la guerre avait
rapidement vidé le trésor de guerre des Etats-Unis, et la guerre
aurait dû être terminée au fond. Cette fois également,
l’institut d’émission américain a commencé
à imprimer massivement des dollars. En raison des changes fixes, le
cours du dollar ne pouvait cependant pas baisser. En 1971, le scandale a
éclaté et l’on a pris congé définitivement
de l’or. Le cours du dollar a baissé rapidement de plus de
moitié. Tous ceux qui avaient mis leur confiance dans la monnaie
clé ont perdu beaucoup d’argent. A l’époque, la
Banque nationale suisse possédait quelque 13 milliards de dollars,
qu’elle avait reçus en contre-valeur des exportations suisses
aux Etats-Unis. Ces biens et services ont été utilisés
en partie pour la guerre. Par rapport au franc, la valeur de ces dollars
atteignait juste la moitié du montant antérieur, de sorte qu’un
Suisse ne se voyait rembourser que 50%. En termes simplifiés, il avait
financé la guerre jusqu’à concurrence de 50%. On pourrait
faire des réflexions analogues à propos de la guerre
d’Irak.
A maints
égards, les statistiques ont donné raison à Ferdinand
Lips. Le dollar de 1914 a perdu 95% de sa valeur. Les monnaies
européennes ne sont pas allées mieux. A deux reprises, la
monnaie allemande a perdu complètement son pouvoir d’achat.
La
tragédie des ventes d’or en Suisse
Dans un
chapitre de son dernier livre, Ferdinand Lips examine ce qui a incité
la Suisse à vendre la moitié de ses réserves d’or.
Ce chapitre s’intitule «La trahison de la Suisse». La
décision politique de vendre cet or l’a touché
personnellement. Ses tiroirs contenaient les plans d’une initiative
populaire. Il voulait stopper ce projet funeste. Finalement, il n’en a
rien été. Le temps aurait probablement fait défaut. En
fin de compte, il a envoyé un exemplaire de «Die
Gold-Verschwörung» à tous les parlementaires, ainsi qu’aux
organes dirigeants de la Banque nationale suisse et de la Banque
centrale européenne, malheureusement avec peu d’écho.
L’étalon-or
incompatible avec la politique actuelle
Ferdinand Lips était un penseur peu orthodoxe et un praticien
qui défendait des points de vue convaincants, que l’on ne
rencontre plus guère en faculté. Le système classique de
l’étalon-or – Ferdinand Lips en était certain
– constitue la monnaie du citoyen. Il assure sa propriété
et lui confère la liberté, notamment face aux humeurs du
gouvernement. Lips rappelait toujours le célèbre exposé
qu’Alan Greenspan a publié en 1967 sous le titre
de «Gold and Economic Freedom» (L’or et la liberté
économique).3 Cet écrit est un véritable
hymne à l’or. Greenspan y déclare que le système
de l’étalon-or est le garant de la prospérité et
de la liberté. Seul ce système peut empêcher que les
déficits des finances publiques ne se creusent toujours davantage et
que le monde financier ne soit amené à spéculer de
manière toujours plus excessive. Greenspan a analysé les
rapports entre la monnaie, l’économie et la politique avec une
logique implacable. Toutefois, il ne l’a fait – comme Lips le
souligne – qu’«avant de vendre son âme».
Ferdinand Lips cite aussi fréquemment Fritz Leutwiler, qui a
longtemps présidé la Direction générale de la
Banque nationale suisse. Leutwiler avait qualifié le système de
l’étalon-or comme le meilleur système monétaire de
l’histoire.
Le
système classique de l’étalon-or n’est pas
compatible avec le système financier actuel. Inapte à une
politique de puissance et de guerre qui empêche l’humanité
de se calmer aujourd’hui, il est source de paix. Ferdinand Lips
prononce un jugement sans appel à propos de la politique
d’endettement que mènent la plupart des Etats, Suisse comprise.
Il ne serait pas du tout possible d’accumuler de telles montagnes de
dettes si les banques centrales n’émettaient pas
artificiellement et constamment de la nouvelle monnaie. – Or les dettes
impliquent le versement d’un intérêt. Le contribuable
supporte ainsi une charge toujours plus lourde. Chacun sait aujourd’hui
que ces dettes considérables ne peuvent plus être
remboursées et que les responsables en diffèrent simplement le
paiement. – Avec le système de l’étalon-or, la
politique serait beaucoup plus franche, car elle renoncerait à toute
cette «magie monétaire» et reposerait sur ce qui est
vraiment produit. En permettant d’émettre de la nouvelle monnaie
à volonté, le système actuel a corrompu les politiciens.
L’honnêteté et la franchise sont devenues rares.
Renaissance
de la «monnaie du citoyen»?
Les pays
retourneront-ils au système classique de l’étalon-or?
Même Ferdinand Lips ne pouvait pas le prédire. Il ne partageait
pas l’avis selon lequel il n’y aurait aujourd’hui pas assez
d’or pour couvrir le trafic des paiements et les besoins des affaires.
Il a souligné que la masse n’était pas du tout
décisive. Si l’or en circulation ne suffit pas, sa valeur
augmente. La valeur de la monnaie étant liée à celle de
l’or, le pouvoir d’achat de la monnaie progresse et les prix
baissent d’autant.
Peut-être
le système monétaire actuel et la possibilité
qu’il donne d’émettre de la monnaie à
volonté nécessiteront-ils un jour une réforme. A ce
sujet, Lips décrit le comportement des grandes puissances. Il est
frappant à cet égard que l’institut
d’émission américain, la Fed, contrairement
à la Banque nationale suisse et à d’autres banques
centrales, ne vend pas un gramme d’or de ses immenses réserves.
Les instituts d’émission de Chine et de Russie achètent
de l’or. Lors d’une réforme du système
monétaire, de tels pays joueraient un rôle majeur, car leurs
réserves d’or ont une valeur réelle qui leur donnerait
des atouts. Les pays qui vendent aujourd’hui leur or contre du
papier-monnaie en subiraient les conséquences négatives.
Comment les
citoyens se comporteront-ils? – Assistera-t-on à une renaissance
de la «monnaie du citoyen», qui fonctionne également sans
banque centrale et sans gouvernement? Il se peut que l’or soit de
nouveau utilisé comme moyen de paiement dans certaines régions
ou certaines branches. Il demeure monnaie de substitution à titre de
conservateur de la valeur.
Ferdinand Lips a eu le mérite d’attirer l’attention
de beaucoup de lecteurs d’Horizons et débats sur le
problème de l’or. Il laissera un grand vide comme homme et comme
penseur en matière économique. Ses idées perdurent. La
fondation d’un institut Ferdinand Lips est en préparation. Ce
sera un centre de ren-contres qui organisera des séances de formation
et diffusera des informations sur l’histoire de l’or ainsi que
sur les avantages économiques et sociaux du système de l’étalon-or.
•
1 Lips, Ferdinand, Die
Gold-Verschwörung, Rottenburg 2003; en anglais: Gold Wars – The
Battle Against Sound Money as Seen from a Swiss Perspective, New York 2002
2 Les
régimes monétaires internationaux adoptés après
la Première et la Seconde Guerres mondiales par les accords de
Gêne, en 1922, et de Bretton Woods, en 1944, ont instauré un
système de change-or, puis de dollar-or. Il ne faut pas les confondre
avec le système classique de l’étalon-or qui régnait
jusqu’en 1914. Si les nouveaux systèmes se fondaient sur des
réserves d’or dans un système de banque centrale, ils
admettaient simultanément l’émission de papier-monnaie
non couvert. Le système classique de l’étalon-or ne
comprend pas cette possibilité et fonctionne sans banques centrales ni
gouvernements. C’est pourquoi cette monnaie-or est aussi appelée
«monnaie du citoyen».
3
Greenspan, Alan: «Gold and Economic Freedom, Capitalism: The Unknown
Ideal», New York 1967
(Horizons
et débats, numéro 34, décembre 2005)
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