Rares sont les
penseurs contemporains qui ont marqué intellectuellement le XXe siècle
comme l’a fait Friedrich A. Hayek. Parmi bien d’autres, Margaret
Thatcher a reconnu sa dette intellectuelle à son égard.
Pour autant,
la pensée de Hayek n’était pas simple, loin s’en
faut. Il est difficile de le suivre sans avoir lu
l’intégralité de ses œuvres ou presque.
Une
pensée parfois hermétique, donc, et souvent sujette à
contradictions. Ce sont ces contradictions que révèle au grand
jour Timothy
Sandefur, chercheur associé au sein du Cato Institute, un think tank
américain.
Sandefur présente d’abord
l’œuvre d’Hayek et, notamment, une de ses théories
majeures : l’ordre spontané. L’ordre spontané
est un ordre qui émerge spontanément dans un ensemble comme
résultat des comportements individuels de ses éléments,
sans être imposé par des facteurs extérieurs aux éléments
de cet ensemble.
Hayek
était un virulent adversaire des « ordres
construits », à savoir des projets de société
émanant des hautes sphères étatiques. En cela, il
combattait les théories socialistes et scientistes. Il a
également souvent été considéré comme un
anti-conservateur, reprochant auxdits conservateurs de vouloir modeler la
société selon leurs vues.
Toutefois,
l’ordre spontané, ne lui en déplaisait, est une
théorie conservatrice en ce qu’elle s’oppose au
rationalisme et aux révolutions violentes. Les valeurs adoptées
par les sociétés contemporaines ne seraient, selon lui, que le
fruit d’un processus de sélection datant de plusieurs
siècles. Hayek est, en cela, une sorte d’« évolutionniste
social ».
Naturellement,
il était profondément libéral en ce qu’il
affichait une méfiance certaine envers l’État et sa
tentation constante de vouloir bouleverser ce processus de sélection
des valeurs et normes.
Mais la
théorie de l’ordre spontané est également porteuse
de nombreuses faiblesses. Elle s’écarte inéluctablement de
la théorie traditionnelle du droit naturel et on pourrait penser
(même si ce n’est pas exactement le cas, ainsi que le montre l’article de Sandefur)
qu’Hayek veut laisser le « marché du
droit » faire son travail sans lui imposer aucune règle
supérieure et intangible. Comme le fit remarquer Frank Van Dun, juriste
belge, Hayek tente naïvement d’importer les mécanismes du
libéralisme économique dans l’ordre juridique.
Il est vrai que
de nombreuses règles ne s’imposent qu’après avoir
été « testées ».
L’expérience en la matière est importante.
Néanmoins, la confiance accordée par Hayek à cet
« ordre spontané » est grande, sans doute trop
grande. D’autant qu’il insiste bien sur le fait qu’il
s’agit d’un ordre impersonnel : « Les vues et
opinions qui façonnent l’ordre d’une
société, aussi bien que l’ordre résultant de cette
société même, ne dépendent nullement d’une
décision personnelle quelconque » (Droit, Législation et Liberté). Ce sont pourtant
bien des hommes, fussent-ils en grand nombre, qui façonnent cet ordre
spontané, avec les dérives qui peuvent survenir.
Hayek,
libéral insoupçonné, a vécu au XXe siècle,
à savoir un siècle marqué par le rejet du
libéralisme et deux guerres mondiales particulièrement
meurtrières. Il est pour le moins curieux qu’il ait pu conserver
une telle once d’optimisme en cet ordre spontané. Car
c’est justement cet ordre spontané qui a pu mener le monde
à de tels massacres. Hayek aurait probablement rétorqué
que les multiples guerres entreprises par l’Occident viennent des
États et que la puissance de sa théorie n’est en rien
affectée. Néanmoins, seules des règles intangibles et
non modifiables par l’« opinion socialement dominante »
auraient pu faire rempart à l’étatisme sauvage.
Malheureusement,
il y a, en quelque sorte, certains ponts entre la théorie de
l’ordre spontané et le positivisme juridique. Hayek rejetait
cette idéologie-ci qu’il considérait être
d’essence socialiste. Mais le positivisme juridique, comme
l’ordre spontané, ne s’attellent pas à
définir un corpus de ces règles intangibles et non modifiables.
Hayek voue une confiance aveugle à l’ordre spontané, sans
lui imposer de véritables contraintes morales. Comme les tenants du
positivisme juridique qui ne s’embarrassent pas eux non plus de
considérations d’ordre moral.
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