Sous prétexte de soutenir l’investissement productif, le
gouvernement a décidé d’accentuer son aide aux entreprises dans le
financement des machines susceptibles de remplacer la main d’œuvre humaine.
Non, il ne s’agit pas du dernier complot à la mode, ni même d’un scénario
de science-fiction visant à établir une société dominée par les machines.
Plus simplement, mais tout aussi inquiétant, l’État est en train
d’inciter toutes les entreprises manufacturières à s’automatiser. À
commencer par celles qui emploient moins de 250 salariés, c’est à dire la
majorité des PME qui créent habituellement plus de 90% des emplois en
France.
Une mesure fiscale en faveur des “robots manipulateurs”
C’est le ministère de l’Économie, de l’Industrie et du Numérique qui vient
de l’annoncer : un dispositif fiscal d’amortissement exceptionnel
a été reconduit par le loi de finances 2016 pour les robots industriels
acquis ou créés par les PME jusqu’au 31 décembre prochain. Objectif : inciter
les PME de l’industrie manufacturière à s’équiper en robots “manipulateurs
multi-applications reprogrammables”. Le dispositif consiste en une facilité
de récupération des coûts d’acquisition ou de fabrication de ces machines qui
peuvent désormais être amortis sur 24 mois seulement, à
compter de la date de mise en service. Et compte tenu des sommes souvent
considérables engagées dans ce type d’investissement, on imagine sans peine
l’intérêt que pourraient y voir un certain nombre de petites et moyennes
entreprises.
Car ce sont principalement à elles que la mesure s’adresse, l’État
souhaitant par ce biais amener les entreprises de taille moyenne à
automatiser leur production.
Un dispositif qui semble s’opposer au marché de l’emploi
Si on peut saluer l’intention du gouvernement d’amener les PME à se
moderniser, on ne peut en revanche passer à côté de l’aspect ambigu
de la démarche. En effet, alors même que l’État dit se
battre depuis des années contre l’érosion du marché de l’emploi, et
notamment en faveur des populations souffrant d’un déficit d’employabilité,
on peut s’étonner que cette mesure fiscale vise en premier lieu les
entreprises manufacturières, c’est à dire celles qui emploient de la
main d’œuvre souvent spécialisée mais généralement difficile à reconvertir en
cas de perte d’emploi.
On le sait, la robotisation des entreprises répond à un impératif global
de réindustrialisation de la France, motivé par une ancienne
conception voulant que la croissance viendra de la production industrielle,
des usines, des cheminées qui fument… Une conception qui ne correspond hélas
plus à la réalité du monde d’aujourd’hui mais qui reste fermement ancrée dans
les esprits de nos responsables politiques, pour la plupart issue de cette
élite technocratique formée durant la seconde moitié du XXe siècle.
Suivre le progrès en marche ?
En novembre 2015, la société Shaanxi Jiuli Robot Manufacturing Co.
Humanoid a présenté ses nouveaux robots humanoïdes, censés préfigurer
l’entreprise de demain. Une entreprise sans employés qu’on
nous présente comme inéluctable alors qu’elle résulte uniquement d’un choix
purement économique, créant du même coup une certaine uniformisation des
productions.
Sur ce plan au moins, l’industrie manufacturière (qui tire son appellation
de la main d’œuvre souvent importante qu’elle emploie) semblait tirer son
épingle du jeu, en ce sens qu’elle pouvait continuer à proposer une
alternative à l’uniformité, favoriser le sur-mesure, miser sur la
qualité et le savoir-faire d’un personnel spécialisé, à la fois difficile et
peu rentable à remplacer. Aujourd’hui, en visant spécifiquement ces
entreprises, le gouvernement semble vouloir délibérément accélérer le
remplacement de l’homme par la machine.
Le remplacement a déjà commencé
Or, selon une étude de l’Université d’Oxford, cette révolution
pourrait faire perdre leur emploi à près de 35% des travailleurs
britanniques, et jusqu’à 50% aux États-Unis. Combien en France…?
Sans oublier que l’un des risques majeurs de l’adoption des robots et des
intelligences artificielles réside dans la concentration croissante de la
main-d’œuvre sur les emplois de moins en moins qualifiés et de plus en plus
mal rémunérés, avec la disparition progressive des emplois manuels à revenu
intermédiaire.
Pourtant, il semblerait qu’une cohabitation entre machines et travailleurs
humains soit possible, comme semble le démontrer l’exemple de la société japonaise Glory qui, depuis près de
trois ans déjà, a confié certains postes à des robots humanoïdes sans
avoir licencié aucun de ses employés. Leader sur le marché des
appareils de traitement de la monnaie, Glory affirme que son
équipe de robots ouvriers est capable d’atteindre 80 % de la
productivité d’une équipe qui serait composée d’humains. Mais qu’en
sera-t-il lorsque la productivité des machines dépassera celle des ouvriers ?
Chaque humanoïde coûtant environ 60.000 € (7,4 million de yens précisément),
soit une somme équivalente au paiement du salaire et des charges d’un ouvrier
travaillant un an dans l’usine Glory, on peut supposer que la tentation sera
grande d’envisager un remplacement progressif de la main d’œuvre humaine par
des machines rentabilisées en à peine un an à productivité égale…