Ступор !*
Le 21
novembre 2013, le conseil des ministres ukrainien a décidé
à l'unanimité d’arrêter le processus de signature
de l'accord d'association entre l'Ukraine et l'Union européenne (UE).
Pourtant, avant ce jour, tout indiquait que Kiev avait l'intention de signer
cet accord à Vilnius le 28 novembre.
L'Ukraine
manque ainsi une occasion historique de s’ancrer en Europe, de
moderniser et libéraliser son État et de sauver son
économie. L'accord d'association n'est pas à jeter aux
oubliettes mais un changement de direction politique en Ukraine serait sans
doute nécessaire pour qu’il soit à nouveau
d’actualité.
La
situation politique évolue rapidement. Alors prenons un peu de recul
pour comprendre pourquoi ce rebondissement politique est important pour
l'Ukraine.
Une économie en chute libre
L'Ukraine
est désormais une économie sinistrée. Il y a vingt ans,
le revenu moyen par habitant en Ukraine était égal à
celui de ses voisins bulgares, lettons et roumains. Plus aujourd’hui : le
revenu moyen ukrainien représente la moitié de celui de ses
voisins.
Le PIB
devrait chuter de 1,5 % cette année, la production industrielle a
baissé de 5,2 %, les taux d'intérêt élevés
tuent l'investissement, le déficit budgétaire explose et la
banque centrale est à court de réserves.
À
cause de cette récession, il est urgent d’instituer des réformes
structurelles afin d’éviter une contraction plus forte de
l'économie.
S’ancrer à l’ouest est
dans l’intérêt du pays...
À
long terme, la signature de l'accord
d’association avec l'UE est dans l'intérêt de l'Ukraine.
Cet accord pourrait stimuler le PIB de l’Ukraine de 6 à 12 % et servirait
de point d'ancrage pour un programme de réformes politiques et
économiques. L’Estonie et la Lettonie pourraient servir de
modèles à des réformateurs ukrainiens. Impossible de
trouver de telles réformes en Biélorussie, au Kazakhstan ou en
Russie.
La comparaison ne s’arrête pas là. Rejoindre une
zone de libre-échange de 500 millions de clients potentiels (l'Union
européenne) fait plus sens que rejoindre un espace de 170 millions
d'habitants (l’Union douanière « eurasienne »
Russie-Biélorussie-Kazakhstan). Le soutien populaire
est clairement marqué : 60 % des ukrainiens veulent que leur pays rejoigne
l'UE.
Enfin, l'Union douanière eurasienne n’est pas une
véritable zone de libre-échange étant donné que
la Russie a mis en place des sanctions commerciales contre la
Biélorussie et le Kazakhstan et puisque l’intégrer
conduirait l’Ukraine à doubler ses droits de douanes sur les
importations de marchandises venant de l'UE, ce qui pourrait coûter aux
Ukrainiens quatre points de PIB.
… mais pas dans l’intérêt
politique de son président
Le
contexte politique est cependant de plus en plus désavantageux pour le
président ukrainien. Plus de la moitié de l’électorat
ne le soutient plus. Mettre en place des réformes à
l’estonienne pourrait être politiquement coûteux à
court terme étant donné que les prochaines élections
présidentielles auront lieu dès 2015.
Une
alliance avec la Russie est un bon moyen pour Viktor Ianoukovitch
de s’assurer que Moscou ne financera pas un candidat de
l’opposition contre lui et que le candidat sortant pourra
s’arranger avec les règles électorales le jour venu.
Les
pressions politiques venant de Moscou et de Bruxelles n'aident pas à
prendre une décision dans l’intérêt à long
terme de la société ukrainienne. Moscou a déclaré
qu'il limiterait l'approvisionnement en gaz de l'Ukraine (en plein hiver) si
Kiev signait l’accord avec Bruxelles. Le gouvernement russe a
déjà imposé des restrictions commerciales envers
l'Ukraine, qui envoie environ 25 % de ses exportations vers la Russie. De son
côté, Bruxelles a fait pression sur Kiev pour que le
régime libère le leader de l'opposition Ioulia
Timochenko, ce qui ajouterait à la pression politique sur le futur
président sortant Ianoukovitch.
Le dilemme du prisonnier
Tous
attendent maintenant la prochaine action du président ukrainien. Pour
l’instant, c’est la confusion. Le 25 novembre, il déclarait
« qu'il n'y a pas d’autre alternative pour l'Ukraine que de
construire une société sur des normes européennes ».
Le premier ministre ukrainien a nié que la Russie a promis un soutien
financier à l’Ukraine en cas d’aggravation de la crise économique.
Le ministre des Affaires étrangères a annoncé lundi
dernier que M. Ianoukovitch irait à Vilnius
le jeudi 28 novembre.
Pour le
bien de l’Ukraine, développer de bonnes relations avec à
la fois la Russie et l'UE devrait être l’objectif politique
prioritaire de son gouvernement. Aucune autre capitale ne devrait essayer de
contrôler la politique étrangère de l'Ukraine, mettant en
danger le développement économique et l’unité
politique du pays.
Avec
une situation économique et financière aussi misérable,
et étant donné que l'opposition ukrainienne semble soudain
avoir retrouvé l'esprit de décembre 2004, l'Ukraine semble sur
le point de basculer dans une crise politique majeure.
*Stupeur!
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