Ils
n’ont sans doute pas lu Stéphane Hessel (du moins leur souhaite-t-on),
mais ils s’indigent aux quatre coins de l’Espagne, de la
Grèce, sans doute demain de la France, et de tous les pays qui
s’enfoncent tranquillement dans les sables mouvants de la dette
publique.
Les
commentateurs ont du mal à déchiffrer ces tremblements, et sont
tentés de réunir des mouvements tout à fait
différents sous la grande bannière de la lamentation
générale. Il y a en réalité peu de points communs
entre les jeunes désœuvrés de la Place de la Bastille et
les bataillons de syndicalistes qui embrasent les rues
d’Athènes.
Une
constante est toutefois identifiable dans cette colère qui ne sait pas
trop vers qui se tourner :la conscience un peu
confuse qu’il n’existe pas de solution miracle, et que devant la
situation inextricable dans laquelle se sont embourbés les États
et qui risque de provoquer de nouvelles secousses, il ne reste que
l’indignation.
La
révolte désabusée d’une « Génération
sacrifiée ». Le
slogan des jeunes Grecs ne saurait être plus clair. Cette
génération qui n’a pas choisi l’endettement et qui
hérite d’une facture énorme, crie toute sa rage sans
savoir qui blâmer. Le FMI ? L’Europe ? Le gouvernement
aux mains liées ? L’Euro ? « La
finance » ?
Leur
pays souffre d’un endettement public colossal, et de déficits
abyssaux. Or, même le rabotage des déficits ne règle pas
la question du remboursement de la dette, dont la charge est devenue tout
simplement insupportable.
La
chute est douloureuse et inexorable et les revendications qui germent ci et
là font un peu penser à celles d’un drogué qui
accuserait son dealer d’être responsable de sa crise de manque. Des
idées impraticables circulent ainsi largement sur les ondes :
« il faut organiser un retour au Drachme, pour donner un peu
d’air à l’économie grecque » (oubliant
que la dette a été contractée en Euro, et que la stratégie
de l’appauvrissement général par la monnaie n’a
jamais enrichi personne), « il faut faire jouer la
solidarité européenne » (sur le dos des
contribuables ?), ou encore « il faut impliquer le
marché privé » (par la force ?)…
Beaucoup
de « il faut », qui contournent malheureusement le
problème central de la taille et du coût de l’État,
qui ont progressivement noyé le pays dans la dette publique et plongé
l’économie dans la dépendance.
Cette
crise obligataire des pays surendettés annonçait finalement la
crise, beaucoup plus sourde, d’un État-providence qui n’en
peut plus, pris en étau entre des peuples qui ne veulent pas renoncer
à leurs acquis sociaux, et des créanciers qui tournent la
tête.
Quand
plus personne ne voudra prêter aux États prodigues, le
« volontarisme politique » s’effondrera comme un
vieux mensonge. Et les indignés de la terre devront aller au bout de
cette douloureuse gueule de bois. Ils découvriront alors que
l’État, vers lequel ils se tournent aujourd’hui pour
demander de l’aide, « cette grande fiction à travers
laquelle chacun s’efforce de vivre aux dépends de tout le
monde », aura été le sinistre artisan de leur
naufrage. Ils se rendront compte qu’à force de tout attendre de cet
État nounou, comme l’appelle malicieusement Mathieu Laine, on
n’attend effectivement plus rien de soi et l’on glisse sur la pente
de la dépendance, insidieusement privé de
responsabilité, et assez mécaniquement, de liberté. Ce
jour-là, il faudra espérer que la liberté
l’emporte sur les colonels.
En
attendant, les Allemands grondent, la France s’obstine, les Grecs aboient
et la caravane passe.
Renaud Dozoul
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