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Dans
un article d'août 1998 publié dans le Zagreb Journal of Economics
- actuellement disponible sur son site
-, R.A. Mundell, prix Nobel de science économique 1999 (photographie ci-contre), propose
une analyse des utilisations de la « loi de
Gresham » (peinture ci-dessous) dans l'histoire de la
monnaie et en dénonce les abus.
Il insiste d'abord sur les premières expressions de la loi, puis
s'intéresse aux interprétations malencontreuses dont elle a
fait l'objet pour en arriver à se poser la question : la bonne monnaie
chasse-t-elle la mauvaise ?, négation interrogative de
l'énoncé
de la loi.
Il peut expliquer alors que le vrai sens de la loi est que « la
monnaie pas chère chasse la chère si elles sont
échangées au même prix ».
Suivent une analyse du remplacement de l'or par le crédit ou la
monnaie papier et une théorie des « points de
marchandises», puis la présentation de faits historiques : la
rançon de Richard "Coeur de Lion" au XIIème
siècle et le grand « remonnayage » de la fin du
XVIIème siècle en Angleterre.
Mundell s'intéresse alors à la loi de Gresham en étalon
bimétallique, puis à la question de la monnaie
surévaluée et de l'institution du cours légal – de
fait forcé - de la monnaie.
Il conclut son article après avoir traité de l'évidence
des réserves.
1. Des oublis
malencontreux.
On ne peut que regretter que Mundell n'évoque pas ce qu'ont écrit
sur le sujet Vilfredo Pareto (1893 ou 1896), Ludwig von Mises (1949) ou
encore Murray
Rothbard (1962) ; il mentionne certes ce qu'a écrit
Friedrich von Hayek en 1967, mais pas ce qu'il a écrit en 1978 dans ce
livret oh combien intéressant.(1)
(1) Le paragraphe intitulé "La confusion sur la loi de
Gresham" a été traduit en
français par Hervé de Quengo.
Certes on ne peut pas toujours citer tous les auteurs pertinents, mais, dans
le cas présent, le choix n'est pas très éclectique
même s'il est imposant car il se limite à des économistes
du « mainstream » et si, le cas échéant,
il les critique avec raison.
En effet, rien ne justifie de ne pas rappeler que Pareto écrivait
à la fin du XIXème siècle :
"Il
existe en économie politique une loi qu'Aristophane connaissait, que
Gresham a formulé en 1558, et qui veut que la « mauvaise
monnaie » chasse la bonne.
Depuis si longtemps qu'elle existe, son « moment
historique » devrait bien être passé ; et pourtant
elle se vérifie encore chaque jour '" (Pareto, 1893, p.166)
Et surtout :
"Il
faut faire ici une observation que nous aurons lieu de répéter
maintes fois, et c'est que les mesures prises pour obtenir un
bénéfice en altérant l'équilibre
économique ont deux sortes d'effets.
Les premiers de ces effets sont ceux qu'on a directement en vue ; ils
consistent dans le transfert de la richesse de certains personnes à
certaines autres.
Les seconds, qui accompagnent nécessairement les premiers, consistent
en une perte sèche de richesse, dans une destruction de biens
économiques.
C'est ce qui explique comment il peut convenir aux gens favorisés par
ces mesures, et aux gens qui en souffrent, de conclure un accord moyennant
lequel les seconds, en payant une certaine somme, obtiennent que les premiers
renoncent à cette source de gain.
Les maux infligés ainsi aux populations rendent parfaitement
compréhensible la proposition faite par M. G. de Molinari et par
Herbert Spencer de laisser à la libre concurrence le soin du monnayage
[…]
nous devons observer, car ceci appartient aux théories
économiques, que l'on se trompe quand on croit qu'il suffit de citer
la loi de Gresham pour réfuter les arguments de M. G. de Molinari et
Herbert Spencer.
Ni l'un ni l'autre de ces auteurs n'ignoraient certes cette loi, mais ils
savaient aussi qu'elle agit surtout quand la valeur de la monnaie est
imposée par le gouvernement.
Un effet contraire a lieu dans le grand commerce international.
On y règles les affaires en traites sur la place qui a la meilleure
monnaie, c'est-à-dire sur Londres, et non sur une des places qui ont
la plus mauvaise monnaie.
Le grand commerce international a pour monnaie l'or.
C'est donc la meilleure monnaie qui a chassé les mauvaises.'"
(Pareto, 1896, § 381, pp.252-4)
Ces propos ne
méritent-ils pas d'être lus et médités ? Ne
faut-il pas savoir que l'arbitraire gouvernemental est à la base de la
loi contre nature dénommée « loi de
Gresham » ?
Pour sa part, trois quarts de siècle plus tard, Rothbard
développe un propos voisin, plus complet, sans référence
à Pareto, mais à Mises :
"The
standard argument against private coinage is that the minting business
operates by a mysterious law of its own – Gresham's law – whent
'bad money drives out good' -, in contrast to other areas of competition,
where the good product drives out the bad.
But Mises has brilliantly shown that this formulation of Gresham's law is a
misinterpretation, and the law is a subdivision of the usual effects of price
control by government :
in this case, the government's artificial fixing of an exchange rate between
two or more moneys create a shortage of the artificially undervalued money
and a surplus of the overvalued money.
Gresham's law is therefore a law of government intervention rather than one
of the free market" (Rothbard, 1962, pp.106-7)
Soit dit en
passant, et au détail important près que le yuan renminbi n'est
pas actuellement une monnaie échangeable internationalement comme
l'est le dollar des Etats-Unis, le propos de Mises repris par Rothbard est
illustré aujourd'hui par la relation actuelle entre le dollar des
Etats-Unis et la monnaie de la Chine populaire... (cf. par exemple ce texte)
Bref, en contrepoint de ce qu'a écrit Mundell sur la bonne
interprétation de la loi, il convient d'associer les
économistes « libéraux » qui s'attachent
aux méfaits des mesures gouvernementales, que celles-ci portent sur la
« valeur de la monnaie » ou sur les « prix
en monnaie des biens ».
2.
« Bon » économiste et
« mauvais » économiste.
En conclusion de l'article et revenant à Aristophane, le
"vrai" père de la loi, Robert Mundell insiste sur la
généralité de la loi en avançant que
« les mauvais hommes politiques chassent les bons »,
« la mauvaise théorie chasse la bonne », [...] « etc. ».
Curieusement, il est muet sur l'économiste. On se serait attendu
à ce qu'il y prêtât attention.
Ou bien alors on peut considérer que cela est implicite dans
l'« etc. ».
Ou alors n'y aurait-il que des bons économistes ? Ou bien … que
des mauvais économistes ?
Une chose est certaine : en 1850, Frédéric Bastiat n'avait pas
eu cette réserve. Il n'avait pas hésité à
écrire, « préparant le terrain » si l'on
peut dire :
« Entre
un mauvais et un bon économiste, voici toute la différence :
l'un s'en tient à l'effet visible ; l'autre tient compte et de l'effet
qu'on voit et de ceux qu'il faut prévoir.
Mais cette différence est énorme car il arrive presque toujours
que, lorsque la conséquence immédiate est favorable, les
conséquences ultérieures sont funestes, et vice versa.
D'où il suit que le mauvais économiste poursuit un petit bien
actuel qui sera suivi d'un grand mal à venir, tandis que le vrai
économiste poursuit un grand bien à venir, au risque d'un petit
mal actuel »
Je
complèterai ce qu'a écrit Bastiat en adoptant la position
extrême qui consiste à dire qu'en matière de monnaie,
l'un, le « mauvais », s'en tient à la
quantité de monnaie – malgré les problèmes de
mesure comptable qu'il sait et qu'on sait... - et l'autre, le
« bon », prend en considération la cause de la
monnaie qu'est la réduction du coût de l'action de
l'échange.
Tant pis pour les monétaristes libéraux, tant pis pour Milton
Friedman et ses amis de l'Ecole de Chicago !
Le « bon » a la capacité de procéder
ainsi car il prend comme élément d'analyse l'action humaine
alors que l'autre ne s'intéresse qu'aux résultats des actions
humaines – cela dans le meilleur des cas ; dans le pire, il ne donne
même pas droit de cité dans son analyse à l'être
humain -.
De fait, le « mauvais » ne connaît pas la cause
de l'existence de la monnaie ou la met de côté pour parvenir
à démontrer ce qu'il veut démontrer.
Il s'ensuit des antinomies dont il se moque et qui ne peuvent qu'être
condamnées.
Un premier exemple : le coût de l'échange.
De deux choses l'une : pourquoi la monnaie existe-t-elle s'il n'y a pas de
coût d'échange ? A cause des fonctions qu'il lui prête et
qu'il parachute en cours de raisonnement – moyen de paiement,
unité de compte, réserve de valeur - ? Mais ces fonctions ne
sont jamais que des aspects de la réduction du coût de
l'échange justifiant l'existence de la monnaie !
Ou bien il convient que la monnaie a réduit le coût de
l'échange à zéro et qu'il revient au même de dire
qu'il n'y a pas de coût de l'échange ou que le coût de
l'échange est nul. Tout cela est pour le moins tiré par les
cheveux et donc très critiquable.
Il est vrai qu'il fait aussi des raisonnements économiques où
la monnaie n'intervient pas et cherche à les vérifier
empiriquement – alors qu'en pratique la monnaie existe... -.
Autre exemple : le prix en monnaie d'un bien.
De deux choses l'une : le prix en monnaie d'un bien a été
fixé par l'échange ou bien il l'a été par
décret.
Dans un cas, il correspond à une quantité de monnaie
échangée, voire échangeable.
dans l'autre, il ne correspond à rien de précis au
départ et ne peut que donner lieu à un marché noir...
(considération qu'on laisse de côté en
général).
Le « bon » économiste articule l'économie
politique et ses raisonnements économiques aux actions des êtres
humains et à leurs conséquences étant donné le
cadre des règles de droit où se trouvent ceux-ci, et non pas
à quelques analogies avec d'autres sciences.
« Cette différence est énorme » car,
à l'occasion des conseils que les hommes de l'Etat leur demandent, non
seulement les économistes en question, les "mauvais", font
abstraction du processus d'innovation qu'est le processus de réduction
de coût, mais encore ils ne peuvent que donner à ceux qui les stipendient
la prétention de gérer la quantité de monnaie comme ils
le désirent.
En vérité, tout se passe comme s'ils tendaient à
anéantir la réduction de coût et, sans le savoir, ils
nourrissent la course poursuite historique, mais mal connue, et infernale
entre la réglementation et l'innovation dans le domaine
monétaire.
La loi de
l'économie.
Soit dit en passant, si l'économie politique est en définitive
la reine des sciences, n'en déplaise aux historicistes et autres
scientistes de tout bord qui en arrivent à lui refuser le statut de
science, c'est que son fond a, entre autres, comme élément,
l'étude de la loi de l'économie.
Mundell souligne le point dans la conclusion de son article en ces termes :
"It
is, perhaps, fitting to close on an extension of Gresham's Law to the theory
of money itself.
The motivating force underlying Gresham's Law is economy:
we settle a debt or transaction with the cheapest means of payment.
But
that is what money is!"
La monnaie,
à elle toute seule, est une illustration de la loi de
l'économie, elle réduit le coût de l'échange.
Et cette loi de l'économie, peu mystérieuse pour le bon
économiste, est riche d'applications autres qui méritent
d'être brièvement relevées.
Appliquée à l'action de la nature, elle a, en particulier,
inspiré les développements des sciences physiques au
XVIIIème siècle avec les succès qu'on sait, à
savoir la mécanique classique.
Aujourd'hui encore, sous le nom de « principe de moindre
action », elle interroge apparemment jusqu'aux physiciens de la
mécanique quantique pour qui on ne peut pas exclure que le
« principe de moindre action » soit au coeur de …
la nature (cf. Omnès, R. (1994), Philosophie de la
science contemporaine, Gallimard (coll. Folio)), point que ne
relève pas certain commentateur.
3. Les banquiers
centraux.
Muet sur les économistes, Mundell l'est a fortiori sur les banquiers centraux.
En relation avec la monnaie, on se serait pourtant attendu à ce qu'il
leur prêtât davantage attention qu'aux économistes.
Mais là encore, on peut considérer que cela est implicite dans
l'« etc. ».
Ou alors n'y aurait-il que des bons banquiers centraux ? Ou bien … que
des mauvais banquiers centraux ?
Une chose est certaine : en 1850, Frédéric Bastiat était
lui aussi muet sur les banquiers centraux ; et pour cause : la mode des
banques centrales n'avait pas encore envahi la planète des hommes de
l'Etat, il n'y avait que quelques précurseurs au nombre desquels la
Banque d'Angleterre.
Il n'empêche que les banquiers centraux actuels devraient être
conscients de l'économie dont ils relèvent et des dangers
à quoi ils sont exposés et exposent (certains ont eu le courage
de le faire dans le passé, par exemple, Per Jacobsson en 1979 ou
William Poole en 1998...).
Ils n'ont jamais apporté quoi que ce soit à l'innovation
monétaire, mais beaucoup à l'annihilation des
conséquences de celle-ci.
Familiers de la loi de Gresham, ils devraient prendre en considération
que, « bons », ils ne peuvent rien contre la situation
que leur font les « mauvais », dans le cadre
étatique où ils se trouvent.
La gestion par leurs soins de la quantité de monnaie comme la fonction
de prêteur en dernier ressort sont des illusions dont ils se
convainquent peut-être encore, mais c'en est fait vraisemblablement de
celle de la supervision bancaire depuis les événements de ces
dernières années même si aux Etats-Unis, une loi vient d'être votée dans ce sens.
Elles sont surtout des illusions coûteuses qu'ils infligent depuis
qu'ils existent aux gens peu au fait des questions monétaires, des
gens en nombre immense au début du XXème siècle, et
encore en nombre très élevé en ce début de
XXIème siècle .
En effet, ce furent, hier, des inflations nationales ou mondiale, ce sont,
aujourd'hui, des crises « financières »
à répétition , des faillites potentielles qui
ne sauraient cacher les pertes supportées dès à
présent par vous et moi.
Bref, c'en est vraiment assez de leurs actions pernicieuses.
A chacun de ces banquiers centraux de préconiser l'abolition du
privilège de monopole que leur ont accordé récemment -
à l'échelle de l'histoire – les législateurs
nationaux en matière de monnaie, à chacun d'eux d'avoir en
contrepartie le droit de refuser l'achat de dettes de l'Etat, de mettre ainsi
fin au cartel qu'ils forment avec leurs homologues et de mener une action
libre et responsable de banquier « lambda »,
concurrentiel, dans un cadre de vrai droit, pour passer pour de
« bons » banquiers et pour chasser les « mauvais »
banquiers centraux étant donné que, répétons-le:
« la
loi de Gresham est par conséquent une loi de l'intervention
gouvernementale plutôt qu'une loi du marché libre ».
Ma
traduction de :
« Gresham's law is therefore a law of government intervention
rather than one of the free market »
Tout le monde ne
pourra qu'en bénéficier.
A l'inverse, la réforme en route de la banque centrale des Etats-Unis,
la « Federal Reserve », à savoir :
« 7. Federal Reserve
The Federal Reserve will have a broadened supervisory scope and be subject to
the most transparency in its 96-year history after negotiators rejected
threats to its political autonomy and bank-oversight powers.
Chairman Ben S. Bernanke will have a seat on a newly created Financial Stability Oversight
Council. That board will deputize the Fed to set tougher
standards for disclosure, capital and liquidity.
The rules will apply to banks as well as non-bank financial companies, such
as insurers, that pose risks to the financial system.
Earlier drafts of Senate legislation would have curtailed the Fed’s
bank supervision.
Lawmakers approved an amendment by senators Kay Bailey Hutchison, a Texas
Republican, and Amy Klobuchar, a Minnesota Democrat, maintaining the powers.
That avoided a clash with House members over the issue.
Under the bill, the Fed will keep supervising larger banks including Bank of
America and Goldman Sachs and smaller firms such as Central Virginia
Bankshares Inc., with assets of $471 million.
U.S. central bankers face a one-time audit of emergency loans and other
actions taken to combat the financial crisis since 2007.
Under another change, the central bank, after a two- year delay, will have to
identify firms that borrow through its discount window and participate in the
Fed’s purchases or sales of assets, such as mortgage-backed securities.
Senators and House members voted down a tougher audit measure, which would
have removed the Fed’s 1978 shield from examinations of interest-rate
decisions.
That plan, previously approved by the House, was opposed by Bernanke and
other Fed officials, who said it risked politicizing monetary policy.
Fed governance will also change.
Commercial banks will be ineligible to participate in selecting all 12
regional Fed chiefs, leaving the task to non-bankers chosen by lenders and
the Fed’s Board of Governors.
One of the seven Fed governors will be a second vice chairman in charge of
supervision.
Conferees rejected a Senate plan to make the New York Fed president a
political appointee. -
cette
nouvelle
réforme n'y changera rien, bien au contraire, car elle
s'inscrit dans la droite ligne de la "loi de Gresham"..
Georges Lane
Principes de science économique
Georges Lane
enseigne l’économie à l’Université de
Paris-Dauphine. Il a collaboré avec Jacques Rueff, est un membre du
séminaire J. B. Say que dirige Pascal Salin, et figure parmi
les très rares intellectuels libéraux authentiques en France.
Publié avec l’aimable
autorisation de Georges Lane. Tous droits réservés par
l’auteur
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