Les débats relatifs à la stabilité ou
l’instabilité de la monnaie dégénèrent souvent pour devenir une dispute à la
« nous contre eux », avec d’un côté les avocats d’une monnaie
instable qui qualifient les défenseurs d’une monnaie stable de libertaires
vieux-jeu et irréalistes.
Défendre
un camp ou l’autre à la manière de supporters d’équipes de foot ne fait rien
pour établir un débat constructif, qui doit être abordé avec un esprit
ouvert.
C’est
quelque chose qui est désormais devenu crucial, parce que les politiques
monétaires conventionnelles et non-conventionnelles ont échoué à parvenir à
leurs objectifs. Il est donc temps d’observer le problème sous un autre
angle. C’est l’objectif de cet article, qui reviendra sur les implications du
paradoxe de Gibson, sur sa récente résolution, et sur son apparente
disparition depuis les années Volcker.
Introduction
Le
paradoxe de Gibson établit une corrélation entre le coût d’emprunt au gros et
le niveau de prix au détail, et une absence de toute corrélation entre le
coût d’emprunt au gros et le taux d’inflation des prix. Il a été évident au
Royaume-Uni pendant environ deux-cent ans, et son histoire est peut-être plus
longue encore. Il est une réalité contre laquelle il est impossible
d’argumenter. Vous pourrez le voir dans les deux graphiques suivants. Le
premier montre la corrélation entre le coût d’emprunt au gros et le
niveau de prix au détail :
Le
deuxième montre quant à lui l’absence de corrélation entre le coût d’emprunt
au gros et le taux d’inflation des prix. Elle n’est pas discutable, et elle
est importante, parce que les politiques monétaires d’aujourd’hui sont mises
en place dans l’idée que cette corrélation existe :
La
base même des politiques monétaires est donc erronée, peu importe ce qu’en
disent les macro-économistes. Mais revenons-en à la corrélation entre le coût
d’emprunt et le niveau de prix. Au Royaume-Uni, elle a été visible jusqu’en
1970, comme le montre ce troisième graphique :
Mais
à compter du milieu des années 1970, cette relation a pris fin, comme vous
pourrez le voir ci-dessous :
Aux
Etats-Unis, la corrélation entre le niveau de prix et les taux d’intérêt
s’est prolongée jusqu’à la fin des années 1970 :
Avant
de prendre fin et de ne plus réapparaître jusqu’à aujourd’hui :
Que
s’est-il donc passé ? En clair, le paradoxe de Gibson a été valable
jusqu’au milieu des années 1970 au Royaume-Uni, et jusqu’en 1980-81 aux
Etats-Unis. C’est une réalité qui est acceptée par les historiens économiques
ainsi que par Fisher, Keynes et Friedman. La différence entre la période
d’avant et la période d’après les années 1970 est que la Banque d’Angleterre
a porté ses taux d’intérêt jusqu’à des niveaux record en 1974, ce qui, en
parallèle à la seconde crise bancaire, a écrasé la demande commerciale en
monnaie. Aux Etats-Unis, la Fed de Paul Volcker a fait grimper les taux
d’intérêt en 1980-81 afin de mettre fin à l’inflation des prix, une politique
qui a aussi supprimé la demande commerciale en crédit. A cette date, le
marché libre du crédit commercial a été détruit par des taux d’intérêt
nominaux extrêmement élevés, et par la prise de contrôle des banques
centrales sur les prix des prêts industriels.
La
résolution du paradoxe de Gibson, qui a jusqu’alors beaucoup déconcerté les
économistes, a été très simple. Sur un marché libre, les taux d’intérêt ne
sont pas déterminés par des épargnants avares, comme le pensaient Fisher,
Keynes et Friedman, mais par la demande du capital d’investissement des
entrepreneurs et des hommes d’affaires. Les intérêts qu’ils pouvaient se
permettre de verser étaient déterminés par les prix qu’ils pouvaient obtenir
pour leurs produits, d’où la corrélation entre le coût d’emprunt et les prix
au gros.
L’erreur
commise auparavant par les économistes qui ont tenté d’expliquer le paradoxe
était leur inconsistance avec la théorie subjective des prix, selon laquelle
les prix sont déterminés par les acheteurs. En empruntant du capital, les
entrepreneurs louent de la monnaie aux épargnants ; ils sont donc les
acheteurs, et les épargnants les vendeurs. Ce loyer, qui prend la forme
d’intérêts versés par les entrepreneurs, doit être lié aux profits que les
entrepreneurs pensent pouvoir enregistrer en empruntant leur argent à des
épargnants. C’est pourquoi les taux d’intérêt négatifs n’ont aucun sens. Ils
s’opposent à la théorie des prix et reviennent à déclarer que l’usage de
monnaie autrement qu’en tant qu’espèces n’a aucune valeur.
Quelles
implications pour les politiques monétaires
Comme
je l’ai mentionné plus haut, la relation établie par le paradoxe de Gibson a
été brisée par les taux d’intérêt exceptionnellement élevés imposés par les
banques centrales entre 1974 et 1981, du moins sur les marchés anglo-saxons.
Comme nous avons pu le voir au travers de l’absence de corrélation entre les
taux d’intérêt et le taux d’inflation des prix, les politiques monétaires qui
tentent de plafonner l’inflation en manipulant les taux d’intérêt ne peuvent
pas fonctionner. Les banques centrales ne disposent que d’un instrument mal
aiguisé à déployer si elles portent les taux d’intérêt au-delà du niveau que
les entrepreneurs sont prêts à payer. Elles n’ont rien d’autre pour en
contrôler les conséquences.
Le
problème avec l’établissement des taux d’intérêt à un niveau inférieur à
celui que les entreprises viables sont prêtes à accepter est qu’ils
encouragent aussi les entreprises moins robustes à emprunter, une conclusion
qui a été confirmée par les cycles économiques autrichiens. Le fait que,
depuis les années 1980, les économistes autrichiens ont pu affiner leur
théorie des cycles économiques de croissance et de récession n’est peut-être
pas une coïncidence. En revanche, de récentes récessions ont été évitées, et
une majorité de la dette non-productive s’est retrouvée accumulée d’un cycle
à un autre.
Bien
que les banques centrales aient pris le contrôle des taux d’intérêt aux
dépens du marché, la relation de Gibson existe encore aujourd’hui, bien
qu’elle ne soit plus apparente. Aucun emprunteur sensé n’accepterait de
verser plus d’intérêts qu’il ne pourrait le justifier par rapport au prix de
son produit. De la même manière, lorsque les taux se trouvent réduits par les
banques centrales, les opportunités d’emprunt deviennent commercialement
viables.
Plutôt
que d’avoir un équilibre des coûts d’emprunt déterminé par la demande sur le
marché, nous avons des taux d’intérêt déterminés par des banques centrales
qui n’ont aucune idée de ce qu’elles devraient être. Cela permet aux banques
centrales de favoriser un taux d’intérêt très bas pour faciliter leurs
politiques monétaires. La conséquence en est que les entreprises qui
devraient faire faillite peuvent éviter cette réalité commerciale, et sont
capables de reporter le remboursement de leur dette alors qu’elles devraient
faire défaut. Elles empruntent dans le seul objectif de ne pas mettre la clé
sous la porte, plutôt que pour investir sur le progrès économique. Les taux
de retours de certaines entreprises ne sont justifiables que par la faiblesse
des taux d’intérêt. Ces conditions soutiennent souvent des entreprises basées
sur le travail et qui n’ont pas su évoluer avec les besoins de leur
clientèle, n’ont pas investi sur des systèmes de production plus rentables,
et sont en conséquence devenues inefficaces.
Ces
entreprises toxiques ont recours à une main-d’œuvre qui serait plus efficacement
utilisée ailleurs, et ne sont capables que de verser des salaires qui
soulignent ce manque de productivité. Nous voyons en conséquence apparaître
un nombre croissant de travailleurs qui, en tant que consommateurs, trouvent
de plus en plus difficile de satisfaire leurs besoins de la vie de tous les
jours, et ont tendance à reposer sur le crédit.
En
conséquence, ce ne sont pas que les entreprises non-profitables qui ont
accumulé de la dette, mais un grand nombre de consommateurs. De plus, les
gouvernements se sont joints à eux, et bénéficient de la même manière des
politiques de suppression des taux des banquiers centraux qu’ils nomment. La
conséquence en est une accumulation de dette non-productive sur tous les
secteurs de l’économie, au point qu’une légère hausse des taux d’intérêt soit
tout ce qui serait désormais nécessaire pour déclencher une nouvelle crise de
la dette. J’estime qu’aujourd’hui, un taux d’intérêt américain légèrement
supérieur à 2% au niveau des taux des fonds fédéraux génèrerait une liquidation
générale de la dette. Et ce niveau se réduit à mesure que gonfle la dette.
Remarques de
conclusion
Les
défenseurs de la monnaie instable ont enfin commencé à accepter le fait qu’il
y a des problèmes avec leurs solutions monétaires. La réponse, disent-ils,
est de prendre des mesures plus radicales encore, comme par exemple le pardon
de dettes, la frappe d’une pièce de platine de 10 trillions de dollars ou
encore le Plan Chicago. Ce dernier implique la nationalisation des actifs des
banques par le gouvernement dans le cadre d’un swap d’espèces contre de la
dette, et de l’abolition de la fonction bancaire de dépôt sur le secteur de
l’investissement. Le système bancaire de réserve fractionnaire serait ainsi aboli,
les banques centrales fermeraient leurs portes, et la création monétaire
ainsi que les taux d’intérêt deviendraient la responsabilité directe du
gouvernement. Compte tenu de l’échec des politiques monétaires actuelles, je
me méfierais beaucoup de ce Plan Chicago en tant que solution à la crise
monétaire.
Le
succès ou l’échec d’un tel plan dépendra de l’honnêteté des gouvernements
futurs, qui en tant que base d’action est franchement naïve. L’idée est que
les taux d’intérêt puissent être établis par les gouvernements selon une
formule basée sur des règles, et sans l’intervention de banques centrales.
L’objectif du projet, selon le FMI, est d’abolir la borne du zéro (P.38-39).
La conséquence en sera certainement le remplacement des politiques monétaires
actuelles par des mesures plus inflationnistes encore.
Mais
il est évident que les banques centrales s’opposeront à de telles mesures. Je
me souviens de Milton Friedman, qui dans les années 1970, est apparu à la
télévision britannique pour en dénoncer le côté très peu pratique. C’est un
sujet qui avait déjà été discuté dans les années 1930 avant d’être rejeté. Il
a aussi été considéré et rejeté pendant la crise de l’inflation, quarante ans
plus tard. La même chose a de nouveau été proposée plus récemment par les
économistes du FMI, et sera certainement proposée une nouvelle fois dans un
avenir proche.
Le
fait est que les planificateurs centralisés en soient arrivés au-delà du
point de non-retour avec leurs politiques monétaires, c’est pourquoi nous
avons désormais de plus en plus de propositions désespérées destinées à
échapper à la réalité. Il est clair que la dernière option qui sera
considérée sera le retour à une détermination des taux d’intérêt par la
demande des entrepreneurs et des entreprises. La relation de marché naturelle
entre les taux d’intérêt et le niveau de prix exprimée par le paradoxe de
Gibson continuera d’être ignorée par la macroéconomie, qui n’est pas
intéressée par l’étude des taux d’intérêt au-delà d’un effet de premier
ordre.
Ils
pensent également que la résolution du problème de la dette qu’ils ont
eux-mêmes créé en supprimant les taux d’intérêt mènera à une résolution des
problèmes de l’économie. Ils oublient le fait que l’économie a été lourdement
affectée par les mal-investissements et les entreprises qui ont manqué de
faire faillite. La monnaie et le crédit ne sont pas toute l’étendue du
problème, et une solution purement monétaire ne pourra pas résoudre les
difficultés créées par les politiques monétaires du passé.
Si
seulement ils avaient prêté plus d’attention au message du paradoxe de
Gibson, et dépensé plus de temps à essayer de le comprendre. Le cours de
l’histoire économique aurait pu être fondamentalement différent. Mais plutôt
que de favoriser les marchés libres, ils leur ont porté un coup fatal.
Les
pertes généralisées et les conséquences des politiques monétaires employées
auront des conséquences, et c’est là la réalité à laquelle les avocats d’une
monnaie instable essaient désespérément d’échapper.