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En
ce début de semaine sur le marché obligataire, suite à
de nouvelles émissions espagnoles et italiennes, ainsi que sur les
places boursières, où les valeurs financières ont
à nouveau dégringolé lundi, l’ambiance n’est
pas à la fête. Généralement l’un va bien
quand l’autre va mal, les investisseurs suivant le mouvement de balance
en l’amplifiant, mais ce n’est même plus le cas. La chute
du gouvernement de centre-droit hollandais, l’un des piliers
européens de la rigueur, ainsi que les résultats
électoraux français n’y sont pas pour rien.
Le
ministre espagnol du budget, Cristobal Montoro,
vient de reconnaître que le pays vivait « un moment
extrêmement délicat », tandis que la Banque de
Grèce prévoit une nouvelle aggravation de la récession
pour cette année (un taux frisant désormais -5%) et la
poursuite de la baisse de l’inflation, qui pourrait n’être
que de 0,5% en 2013. Au bord de la déflation.
Dans
ce contexte chargé, Olivier Blanchard, l’économiste en
chef du FMI, en appelle aux autorités allemandes afin qu’elles
acceptent l’émission d’euro-obligations, qui pourraient
dans un premier temps se limiter à des maturités d’un an,
dont les bénéficiaires seraient soumis au strict respect du
traité budgétaire. Mais, témoignant d’une grande
rigidité, Guido Westerwelle, le ministre
libéral des affaires étrangères allemand, a de son
côté rejeté toute renégociation de celui-ci, que
François Hollande a assuré ne pas pouvoir présenter en
l’état au parlement pour ratification.
Lorsque
la situation est désespérée et qu’il n’y a
plus rien à attendre, un dernier espoir subsiste toujours : celui de
l’arrivée inopinée de la cavalerie annoncée par
une trompette sonnant dans le lointain. Bien que nous ne soyons pas au
cinéma, les banques centrales jouent ce rôle dans le
scénario d’encerclement financier que nous subissons. Le
problème est que la même scène a déjà
été dû être rejouée
plusieurs fois !
Les
banques centrales sont d’une double nature. Destinées aux
sauvetages du système financier, elles en sont également les
protectrices. Venant de se voir confiée la
mission de régulation par le Congrès, la Fed américaine
exprime au mieux cette dualité en la poussant jusqu’au bout.
Mais
elles ne sont pas toutes-puissantes, ne disposant pas des bons outils.
Gardiennes du Temple de la monnaie, elles en ont les attributs, qui sont
inadaptés à une panne ayant comme origine la crise de
solvabilité – due à une bulle d’endettement
massive. En raison également du socle idéologique sur lequel
elles ont été bâties, auquel elles ne cessent de faire
référence. Ce qui ne les empêche pas de faire preuve du
plus grand pragmatisme, quand elles y sont contraintes, tentant de compenser
l’inadaptation de leurs mesures par leur effet de surprise.
Tout
en se tenant par la main, et parfois en la tendant, les banquiers centraux
s’interrogent et ne sont pas d’accord entre eux et dans leurs
maisons respectives. Au fil de leurs réunions transparaissent leurs
divisions et retentissent de temps en temps leurs éclats. Leurs
ébats et interrogations tournent toujours autour des mesures non
conventionnelles, signe qu’ils ont franchi un Rubicon, que certains
d’entre eux comparent d’ailleurs à une navigation sur le
Styx, réfugiés dans leur orthodoxie. Elles ont pour nom baisse
des taux directeurs, montant des réserves obligatoires, injections de
liquidités, achats obligataires de toutes natures et de toutes
qualités… Mais au sein de cette petite famille, la petite
dernière, la banque centrale européenne, fait figure de parent
pauvre n’ayant pas été pourvue de
l’intégralité de l’arsenal.
Confrontés
à leur indécision, et pour tout dire menacés
d’impuissance, les banquiers centraux se sentent bien seuls. Ce
n’est pas à la lecture du dernier communiqué du
Comité monétaire et financier international du FMI qu’ils
vont pouvoir trouver leur inspiration : « Dans la zone euro, une
poursuite des progrès vers la viabilité de la dette, la
stabilité financière et des réformes structurelles
ambitieuses sera cruciale pour améliorer la confiance et la
productivité, faciliter le rééquilibrage au sein de
l’union monétaire et promouvoir une croissance forte et
équilibrée ». Oui, certes ! Mais encore ?
Agustín
Carstens, le gouverneur de la banque centrale du
Mexique a un plan : « il faut en avoir un » pour s’y tenir,
a-t-il expliqué à ses collègues qui se sont
retrouvés à Washington avec lui, précisant toutefois
ensuite qu’il convient de « renforcer la croissance aussi vite
que possible ». Mais Massaaki Shirakawa, le patron de la Banque du Japon,
considère du haut de sa longue expérience que « il est
dangereux d’agir en tant que prêteur en dernier ressort pour les
gouvernements », ce qu’il n’a pas cessé de faire
pour essayer sans succès de faire sortir le Japon du trou de la
déflation dans lequel le pays se trouve.
Toujours
inspiré, Christian Noyer, le gouverneur de la Banque de France, met en
garde contre toute perte de crédibilité d’une banque
centrale qui baisserait la garde à propos de la lutte contre la
stabilité des prix, laissant peu de place à des injections
monétaires renouvelées de la BCE. Sans les exclure
formellement, car on est trop prudent… Vitor Constancio, le vice-président de la BCE, montre le
bout du nez en évoquant la création de «
mécanismes collectifs », une incitation destinée aux
dirigeants européens pour qu’ils se penchent sur le dossier des
euro-obligations, ce qui exonérerait la BCE de toute nouvelle
intervention à l’égard des États. S’appuyant
sur le constat que « le risque de déflation est
négligeable », il se drape dans la seule mission de
stabilisation des prix, unique mandat de la BCE qui la différencie de
ses consœurs.
En
plein dilemme, pris entre les dangers de l’inflation et de la
récession, les banquiers centraux européens continuent de
suivre la ligne de plus grande pente, celle qui les conduit à agiter
le spectre de l’inflation pour justifier leur immobilisme.
Jusqu’au jour où ils se résoudront à nouveau à
agir, une nouvelle fois au bord du gouffre. L’indécision
n’est pas une politique.
Aux
États-Unis, le comité de politique monétaire de la Fed
(FOMC) fait preuve de la même indécision. Au gré de la
publication des indicateurs économiques et de son appréciation
de la conjoncture, la Fed poursuit sur sa lancée, maintenant son taux
directeur proche de zéro et poursuivant jusqu’à fin juin
son programme destiné à faire baisser les taux longs de la
dette américaine. Mais toute activation d’un nouvel assouplissement
quantitatif, destiné à favoriser la relance, est remis
à après les élections présidentielles de novembre
prochain. « Les États-Unis ne sont toujours pas tirés
d’affaire » a encore proclamé dernièrement William
Dudley, le vice-président du FOMC, mais le surplace s’impose
pour le moment.
C’est
également ce qui peut être constaté du côté
britannique, avec le maintien du taux directeur proche de zéro de la
Banque d’Angleterre et le maintien d’un programme
d’injections de liquidités (d’assouplissement quantitatif)
qui n’est ni annulé ni réactivé. La banque est
soumise à des impératifs contradictoires, face à la
double menace de l’inflation et de la stagnation, un des pires
phénomènes possibles dénommé stagflation.
La
Banque du Japon s’efforce de son côté de relancer
l’économie et de lutter contre la déflation, en adoptant
l’objectif classique d’une inflation de 2% mais se donnant celui
de 1% dans une première étape, au nom d’un
réalisme encore très optimiste. Elle vient également
d’adopter de nouvelles dispositions non conventionnelles, en
décidant à nouveau de procéder à l’achat de
100 milliards d’euros de titres de la dette souveraine, après
l’avoir déjà fait en février dernier pour un
montant de 92 milliards d’euros. L’enveloppe de son programme
d’achat d’actifs atteint désormais et au total 700
milliards d’euros en bons du Trésor et en titres douteux. Son
taux directeur continuant par ailleurs d’évoluer entre 0% et
0,1%…
Les
prêts des banques centrales, à l’exception de ceux de la
BCE, ont donc atteint la quasi gratuité dans
un monde où cette notion est reçue comme une injure. Les achats
de dette souveraine varient selon les banques centrales, au gré des
pays ou des régions et des circonstances politiques, témoignant
au mieux d’une grande indécision et au pire de l’impuissance.
Prêteurs en dernier ressort des banques, les banques centrales le sont
aussi des États, mais avec quel résultat à terme quand
elles s’y engagent ? Eternels sujets d’interrogations, les
banques centrales n’apportent pas de remèdes, ne parvenant
qu’à repousser les échéances, sans toutefois les
régler. Comme des illusionnistes contraints de répéter
les mêmes tours, avec le risque supplémentaire
d’éventer leurs trucs.
La
stratégie de désendettement qui a été
adoptée s’est déjà effondrée, il ne suffira
pas de l’assouplir ou de renforcer les matelas destinés à
absorber les chocs à venir. Ces deux parades ont en commun de
sous-estimer la dynamique de la crise financière. En fin de compte, la
seule cavalerie dont les banques centrales favorisent l’arrivée
est financière.
Billet rédigé par
François Leclerc
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