C’est avec un grand ouf de soulagement et le petit chuintement de satisfaction que seul un retour à la normale sirupeuse peut offrir que tous les journalistes du pays (ou presque) ont récemment découvert le résultat du baromètre de la confiance des Français dans leurs médias. Et les résultats sont là, rassurants : les médias traditionnels ont retrouvé leur crédibilité auprès de leur lectorat.
Beau résultat que celui-ci. On le doit d’ailleurs à l’institut Kantar-TNS-Sofres, dont le « senior vice-président » est – très commodément – un certain Sébastien Auzière, le fils de Brigitte Macron : grâce à un sondage commandité par La Croix et réalisé avec brio par l’institut, le petit train-train quotidien des médias français peut reprendre, sans plus s’inquiéter des bosses et des nids de poules qu’il avait rencontrés les années précédentes.
On apprend en effet avec force petits graphiques colorés que là où, les années précédentes, les interwebs et autres réseaux sociaux semblaient gagner du terrain en terme d’importance et de crédibilité pour l’information, cette année, la radio, la presse et la télévision regagnent quelques couleurs. La tendance est inversée, mes petits amis !
Certes certes, mes braves lecteurs, l’étude oblige quand même à remarquer que si la confiance remonte, l’intérêt des Français pour l’actualité est, lui, plutôt en berne. En pratique, il n’a jamais été aussi faible depuis trente ans : 38% des sondés affirment n’avoir qu’un intérêt assez ou très faible pour les calembred actualités que les médias actuels nous débitent pourtant avec un enthousiasme qui rappelle la production de saucisses industrielles pour choucroutes de supermarché.
En somme et comme le titre avec une pudeur de violette Fransph Incter, les Français sont apparemment moins friands d’actualité mais nettement plus exigeants sur la qualité des saucisses qu’on leur débite.
On se demande bien d’où vient ce besoin aussi soudain qu’étonnant d’une information de qualité alors que le paisible troupeau de contribuables français, qui subventionne ces productions jusqu’à présent sans broncher, ne s’est jamais vraiment agacé de l’invraisemblable bouillie qu’on leur fournit.
Quitte à tenter des hypothèses extrêmement hardies, peut-être peut-on se dire que ces Français veulent absolument donner le change lors des sondages, sur le mode : oui, certes, la propag les informations que vous me donnez ne m’intéressent guère, mais au moins, lorsque je me penche dessus, je tiens à ce qu’elles soient solides, bien moulées et pas trop odorantes, m’voyez ?
Ce ne serait pas si étonnant quand on sait que, quelques semaines avant le sondage, une vaste campagne (à l’habileté discutable) avait été lancée pour bien faire comprendre que les Français ont une fâcheuse tendance à verser dans le complotisme.
Le lien n’est en fait pas si ténu : dans un premier temps, on prépare les Français en les traitant, en loucedé, d’aimables imbéciles complotistes. Au besoin, on en profitera pour rappeler (avec toute l’instance habile que les médias français savent déployer) que le complotisme est l’anti-chambre de l’extrémisme, de la radicalisation et de l’amalgamisme fulgurant que toute la société française s’emploie à combattre.
Dans un second temps, on pousse (tout aussi habilement) un agenda visant à combattre les « fake news » et autres rumeurs puantes sur les réseaux sociaux et autres opuscules non sanctionnés par le pouvoir. Ce sera d’autant plus facile que a/ les réseaux sociaux déviants sont connus, b/ les opuscules nauséabonds aussi et c/ que je vous ai à l’œil, toi et toi et toi aussi.
Dans un troisième temps, on découvre, avec un bonheur difficile à cacher par une titraille presque humide que, ô joie, la relation quasi-charnelle des Français avec leurs médias d’information (mais si, mais si) n’est pas rompue et que les petits bisous peuvent reprendre de plus belle.
C’est vraiment trop mignon.
Ce qui aboutit le 23 janvier avec une vague probablement pas déferlante mais tout de même très insistante de petits articles bien remontés pour expliquer que oui, les Français retrouvent confiance dans leurs médias traditionnels.
Par exemple, 20 Minutes nous propose sa version de la vérité officielle, dans laquelle on en profitera pour glisser l’importance de l’éducation aux médias, cette dernière étant apparemment suffisamment spécifique pour qu’il soit vaguement demandé à l’Éducation Nationale de participer à la bonne formation des élèves. Vu l’historique flamboyant de cette institution en matière de formation, il n’y a absolument pas lieu de s’inquiéter.
Malheureusement, le 22 janvier, soit à peine une journée avant, le même média, 20 Minutes, nous proposait l’analyse de l’étude annuelle Edelman (que j’ai déjà évoqué dans ces colonnes) portant sur (je vous le donne en mille) le jugement des médias par les citoyens.
Manque de pot, mauvais cadencement des fake news informations, collision d’actualité ? Le résultat n’est pas beau à voir puisqu’au contraire de Kantar et de la Croix, l’étude conclut que, pour la première fois depuis 18 ans que l’étude paraît, les médias sont jugés l’institution la moins fiable du monde. Ainsi, en France, 67% des Français sont résolument sceptiques face à leurs médias.
Sapristi de saperlipopette, on dirait vraiment que certains se payent ouvertement la bobine des Français. Voilà en effet qui fait tache : une information donnée le 22 janvier se trouve contredite dans les mêmes médias le 23. Et cette information porte sur la confiance dont on crédite les médias. Le tout alors qu’une campagne bat son plein contre les méchantes informations qui discréditent les médias.
À n’en pas douter, tout ceci inspire réellement confiance, ne trouvez-vous pas ?