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Ce texte est un « article presslib’ » (*)
On
ne comptait plus, hier mercredi, les confidences, communiqués et
déclarations ou bien les rencontres, déjeuners,
téléconférences et appels téléphoniques,
étourdi par la fébrilité dont ils témoignent et
impressionné par le peu de résultat qui en ressort. Seuls les
mails, les SMS et les tweets n’auront
pas pu être comptabilisés, les spectateurs de cette cohue
débordés. Cette journée aura été
l’occasion d’une sorte de mouvement brownien de conciliabules,
à propos de la crise de la zone euro ; ainsi que de la Grèce,
par qui le malheur est arrivé pour y avoir été
appelé avec légèreté, et du soutien qui va devoir
lui être accordé, après avoir sur tous les tons
juré que l’on ne s’y laisserait pas prendre.
Il
faudra attendre le sommet informel de demain, et peut-être même
au-delà, pour connaître les mesures de soutien qui seront
finalement décidées, car il semble que l’accouchement
soit difficile et que seule une déclaration politique
européenne, ronflante mais symbolique, soit pour l’instant au
programme, un recours au FMI n’étant même pas exclu. Pour
le reste, les formules à l’étude sont connues (pour
l’essentiel des aides bilatérales, sauf surprise), mais leur
mise au point tarde, sans que l’on soit certain qu’elle va
être obtenue au finish. On se croirait revenu au temps de ces sommets
bruxellois portant sur la taille des mailles des filets de la pêche au
maquereau.
Sans doute est-il
trop tôt pour épiloguer, alors que le dernier acte n’est
pas encore écrit. Mais comment ne pas s’interroger sur les
raisons de cette précipitation brouillonne de dernière heure,
venant après des jours et des jours de surplace, avant que
n’intervienne un tournant à 180 degrés ? Sur les
difficultés rencontrées à se mettre d’accord ? Sur
l’image d’improvisation que donne cette situation ? Les
gouvernements européens, décidément, ne vont pas sortir
grandis de cette aventure. Pour s’y être engagés sans
discernement et pour tenter de la conclure si confusément.
De
premières constatations peuvent cependant être tirées,
sans attendre. En premier lieu, les gouvernements de la zone euro ont
été les jouets des marchés, fondés à se
croire tout permis, seuls des seconds couteaux se risquant à les
mettre en cause. Comme s’il était définitivement acquis
que, tel une sorte de pouvoir surnaturel, ceux-ci ne
pouvaient être dénoncés, ne pouvant être combattus.
Exprimant une démission idéologique, politique et morale, ou
bien une totale connivence, au choix. Les marchés, disent leurs
adorateurs, ont toujours raison. A vaincre sans péril, ils viennent de
triompher. Certes sans gloire, mais non sans plus-values.
En
second, que ces mêmes marchés anonymes ne sont évidement
pas guidés par des pulsions d’ordre psychologique, mais
qu’ils sont tout au contraire de froids calculateurs et de vilains
raisonneurs. La preuve en a été donnée par le
soulagement subitement intervenu sur le marché de la dette souveraine
grecque, anticipant des mesures européennes de soutien sifflant la fin
de la récréation, dès lors qu’il est apparu vraisemblable
qu’elles allaient intervenir. Car elles étaient susceptibles
d’infliger des revers de fortune aux spéculateurs qui
n’auraient pas sauté du train à temps.
En
troisième lieu, cette crise dans la crise – qui n’est pas
terminée – a permis de constater à quel point les
systèmes bancaires étaient interconnectés entre eux et
fragiles, comment le sort d’un pays pouvait rejaillir sur les autres.
Que le sort de chaque pays, aussi, était lié à celui de
ses banques et réciproquement. Celles-ci étant gavées de
titres de la dette publique achetés avec les liquidités de la
banque centrale et risquant gros si elles venaient à perdre leur
valeur. On a parlé de l’offensive qui menaçait
l’Espagne, mais l’on a peu entendu, dans le charivari
d’aujourd’hui, Mervyn King, gouverneur de la Banque
d’Angleterre, énumérer tout ce qui différencie le
Royaume-Uni de ce pays, comme si cela n’allait pas strictement de soi,
dans le but de stopper une dangereuse contagion. Quant aux Allemands, qui ont
été à la manoeuvre pour
enfoncer la Grèce, puis pour lui tendre une main
intéressée, ils ont dû se rendre à
l’évidence qu’ils allaient finir par se brûler les
doigts à leur propre jeu.
Que
va-t-il rester du test qui a été engagé avec la
Grèce ? La journée de demain ne sera pas de trop pour
tenter de lui redonner tout l’écho que l’on en attendait.
De communiquer sur la rigueur qui s’abat sur la Grèce et,
grâce à un audacieux raisonnement tordant le cou à ce qui
s’est passé, de s’appesantir sur ce que l’on risque
à ne pas vouloir s’y résoudre. Le tout enveloppé
dans l’un de ces nouveaux plans européens, encore moins
crédible aujourd’hui que le précédent ne l’a
été (La stratégie de Lisbonne). Mais demain sera
un autre jour. Il faudra aussi vérifier sur les écrans que les
spéculateurs sont allés se coucher après avoir entendu
une belle histoire.
Les
gouvernements européens n’ont décidément pas la
main heureuse ces derniers temps. Afin de disculper le gouvernement
français, mis en cause par le rapport 2009 de la Cour des comptes qui
lui attribuait une responsabilité dans l’augmentation du
déficit public (passé en un an de 3,4 à 7,9% du PIB), le
ministre du budget a lundi soir dernier répliqué que celle-ci
était « en totalité » le résultat
de la crise. Comment ne pas en tirer la conclusion qui s’impose dans
ces conditions ? Que c’est aux responsables de la crise de payer en
totalité pour les dégâts qu’ils ont commis, et
qu’il n’est pas fondé de toucher à la santé,
aux retraites et aux programmes sociaux. Quand on cherche à trop
démontrer…
Billet
rédigé par François Leclerc
Paul Jorion
pauljorion.com
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le présent alinéa soit reproduit à sa suite. Paul Jorion est un « journaliste presslib’
» qui vit exclusivement de ses droits d’auteurs et de vos
contributions. Il pourra continuer d’écrire comme il le fait
aujourd’hui tant que vous l’y aiderez. Votre soutien peut
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Paul Jorion,
sociologue et anthropologue, a travaillé durant les dix
dernières années dans le milieu bancaire américain en
tant que spécialiste de la formation des prix. Il a publié
récemment L’implosion. La finance contre l’économie
(Fayard : 2008 )et Vers la crise du capitalisme américain ?
(La Découverte : 2007).
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