La crise bancaire italienne perd les pédales avec élégance

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Published : March 25th, 2016
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Comment verser ses déchets toxiques sur le public de façon détournée

Pendant la crise de l'euro, alors que la BCE achetait de la dette gouvernementale aux Etats membres afin d'empêcher la dette italienne et espagnole d'imploser, les politiciens allemands se tracassaient ouvertement de la situation. Frank Schäffler, à l'époque membre du Parlement fédéral, était l'un d'entre eux. En septembre 2011, il a déclaré, avec une exactitude troublante, que :

« Si la BCE continue ainsi, elle achètera bientôt de vieilles bicyclettes pour lesquelles elle paiera avec de la nouvelle monnaie papier. »

C'est ce qui se passe aujourd'hui.

L'Italie, la troisième plus grosse économie de la zone euro, traverse aujourd'hui une crise bancaire de grande ampleur. Quatre de ses petites banques ont été refinancées l'année dernière. Les plus grosses commencent à vaciller. Les actions italiennes se sont effondrées. Le pays est aux prises avec des prêts non-performants (qui feront bientôt l'objet de défauts). Nous ne sommes même pas certains de l'étendue de ces prêts non-performants.

On nous parle aujourd'hui de 201 milliards d'euros. Mais même la BCE semble douter de ce chiffre. Son nouveau régulateur bancaire, le Mécanisme de surveillance unique, cherche désormais à obtenir plus d'informations quand à ces prêts, afin de mieux les contrôler.

Nous avons aussi pu entendre parler de plus de 300 milliards d'euros de prêts non-performants, soit 18% des prêts en cours.

Le FMI a mis en lumière un aspect plus effrayant encore de ce fiasco. Il a rapporté que l'année dernière, plus de 80% des prêts non-performants étaient des prêts aux entreprises. Parmi les prêts aux entreprises, 30% étaient non-performants. Les différences régionales sont très importantes, avec 17% dans certaines régions du nord du pays, contre plus de 50% dans des régions du sud. Voici ce que nous dit le rapport :

Les prêts non-performants des entreprises reflètent à la fois une faible profitabilité en période de forte récession et le surendettement de nombreuses firmes italiennes, notamment des petites et moyennes entreprises, qui sont dans le pays plus nombreuses que dans n'importe quelle autre nation de la zone euro. Voilà qui correspond aux données récoltées par les sondages menés auprès d'entreprises, qui montrent que 30% de la dette des entreprises doit être remboursée par des firmes dont les revenus (avant versement de taxes etd'intérêts) sont insuffisants pour couvrir leurs remboursements d'intérêts.

La raison pour laquelle ces prêts non-performants s'accumulent au fil des années est que les banques ont pris leur temps pour les annuler ou les vendre à des tiers partis aux taux du marché (ou simplement refusé de le faire). Une reconnaissance de ces dettes aurait rongé le capital des banques, qui se fait déjà rare. La réalité était bien trop moche pour être acceptée.

L'étude a découvert que le temps d'attente moyen pour une annulation de dette est passé à plus de six ans en 2014. Et nous montre également ceci :

En 2013, moins de 10% de la mauvaise dette, malgré un état d'insolvabilité évident, a été annulée ou vendue. Ces annulations de dette toxique varient significativement entre les grosses banques, celles dont le prêt non-performant est plus élevé ayant enregistré le taux d'annulation le plus faible. La lenteur des annulations de dette a joué un rôle important dans l'accumulation de dette non-performante.

Et aujourd'hui, pour éviter de voir les banques vaciller, la BCE a mis en place un projet ingénieux : utiliser ces actifs toxiques ou les accepter en tant que collatéral en échange de liquidités.

C'est ce qu'a annoncé le Trésor italien aux journalistes de Reuters. Oh ! Mais la BCE ne les achètera pas directement. Le faire violerait les règles établies; parce qu'elle ne peut qu'acheter des actifs dont la note de crédit est relativement élevée. Et ces actifs particuliers sont toxiques.

Alors ces prêts vont être regroupés dans le cadre de titres adossés à des actifs, et divisés en différentes tranches structurées. Les tranches supérieures seront les dernières à absorber les pertes. Une note de crédit élevée sera appliquée à ces tranches supérieures afin de les rendre éligibles à un achat par la BCE, bien qu'elles soient toujours garanties par les mêmes prêts toxiques, dont une majorité ne sera jamais remboursée.

La BCE achètera ces tranches dans le cadre de son programme d'assouplissement quantitatif de 62,4 milliards d'euros par mois, dont officiellement 2,2 milliards d'euros par mois de titres adossés à des actifs (bien qu'elle en ait jusqu’à présent acheté moins). Par ailleurs, la BCE peut accepter ces titres toxiques en tant que collatéral contre des devises dans le cadre de ce qu'on appelle des accords de rachat.

Mais racheter même les tranches supérieures de ces titres violerait les règles établies par la BCE, qui stipulent que :

Au moment de son inclusion dans la titrisation, une prêt ne doit pas être objet de dispute, de défaut ou susceptible de ne pas être remboursé. L'emprunteur lié à l'emprunt ne doit pas être qualifié comme étant en situation de crédit difficile (voir IAS 36).

Il est amusant de noter que, par définition, une dette non-performante fait l'objet d'un défaut ou a peu de chances d'être remboursée, possiblement depuis des années; et que son emprunteur est déjà qualifié comme étant en situation de crédit difficile, même si l'entité existe encore. La BCE fait ce qu'elle veut, personne ne peut l'en empêcher. Reuters :

La décision pourrait donner du poids à un projet italien récemment approuvé, qui vise à aides les banques à se débarrasser d'une partie de leurs 200 milliards d'euros de crédit toxique et à libérer des ressources pour octroyer de nouveaux prêts.

Mais le projet limiterait les achats de la BCE aux tranches supérieures de titres adossés à des actifs, et donc à une portion limitée des prêts toxiques. Là-aussi, il y a un moyen de contourner cette limite artificielle.

Pour vendre des tranches de titres inférieures à la BCE, les banques peuvent en améliorer la note de crédit en achetant une garantie au gouvernement italien qui, grâce à la garantie de la dette italienne par la BCE, a une note de crédit de BBB-, juste au-dessus de ce qui est considéré comme toxique, et donc « de qualité d'investissement ».

C'est suffisant pour la BCE. Une garantie par le gouvernement italien transfèrerait la note de crédit de BBB- de l'Italie aux tranches de titres même les plus inférieures.

Reuters a contacté Standard & Poor, qui cherche à affecter une note de crédit à ces titres, parce que c'est ainsi que la société fait rentrer de l'argent. Reuters a ensuite rapporté ceci quant au « projet italien » :

« L'évaluation faite par Standard and Poor des accords précédemment garantis par des prêts non-performants a typiquement dépendu de nombreux facteurs, parce que des collatéraux différents peuvent présenter des risques uniques, a écrit l'agence.

En général, notre analyse de crédit vise à déterminer l'échéance attendue des flux de trésorerie et le produit net de la liquidation d'actifs. »

Reuters cite également une source de la BCE qui aurait dit en novembre dernier que l'achat de dette non-performante pourrait être considéré en cas de situation extrême si la situation économique de la zone euro devenait « très mauvaise ».

Il semblerait que la situation soit devenue « très mauvaise ». Alors que la crise bancaire italienne perd les pédales avec élégance, la BCE tente de prendre le contrôle de la situation en achetant de « vieilles bicyclettes », ou devrais-je dire des titres adossés à des actifs dont les prêts sous-jacent ont, en moyenne, fait l'objet d'un défaut il y a six ans. Ce qui permettra aux intermédiaires financiers de tirer beaucoup d'argent. Les citoyens d'autres pays auront à absorber ces prêts toxiques ainsi que la monnaie extraite par ces intermédiaires. Et les propriétaires d'obligations italiennes auront fait un pas de plus vers leur plan de refinancement personnel.

Ces maudites banques ! Lisez ceci : Hounded by NIRP: Global Bear Market Progress Report



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