Mes chères contrariennes, mes chers contrariens !
Le titre de cet article peut vous inquiéter par sa complexité mais vous allez voir, il n’en est rien car au bout du compte, beaucoup de choses même compliquées peuvent s’exprimer clairement.
Écoutez Thomas Piketty… sur la Grèce. Et dire que je le trouve « trop » libéral !!
Tout d’abord, je vous invite à écouter Thomas Piketty, notre dernier prix Nobel d’économie qui était l’invité de Jean-Jacques Bourdin.
Pour ceux qui ne pourront pas voir la vidéo immédiatement, il raconte sans ambiguïté qu’il avait été expliquer aux Grecs que s’ils se serraient suffisamment la ceinture et qu’ils atteignaient « un excédent primaire », c’est-à-dire le fait de payer plus d’impôts que d’occasionner de dépenses (ce qui n’est même pas le cas en France depuis 1974, dernière année budgétaire excédentaire), alors les Européens renégocieraient la dette grecque. L’engagement fut tenu par les Grecs (quoi que l’on vous raconte actuellement) mais l’Europe refusa de renégocier la dette et proposait aux Grecs d’attendre encore et de continuer à faire encore plus d’efforts alors que nous ne parlons plus de crise économique en Grèce mais de crise humanitaire.
Piketty y explique aussi que l’Allemagne, oui l’Allemagne, le parangon de vertu, est le pays qui n’a jamais payé ses dettes au 20e siècle. Non, l’Allemagne n’a pas été vertueuse après la guerre de 14/18 et elle n’a pas payé ses dettes, de la même façon qu’elle ne les paiera pas non plus après la Seconde Guerre mondiale. Piketty explique très justement, et je peux vous assurer que Piketty n’est pas vraiment un « communiste » dans l’âme, que vouloir faire payer la Grèce, passez-moi l’expression, c’est aussi con que d’avoir voulu faire payer l’Allemagne en 1920. Au bout du compte, en ruinant l’Allemagne de l’époque, nous avons fait le lit du nazisme et nous avons nous-mêmes créé les conditions de notre débâcle de 1940, de notre occupation et de notre humiliation.
Une grande conférence sur la dette… pour annuler les dettes qui ne seront jamais remboursées… En réalité, Piketty évoque là ni plus ni moins que la mise en place d’un grand effacement. Christine Lagarde du FMI parle, elle, d’un « global reset ». N’oubliez pas les conséquences éventuelles d’une telle conférence. Les dettes SONT l’épargne.
La France doit mettre son veto à une expulsion de la Grèce de la zone euro et s’opposer frontalement à l’Allemagne…
Ce n’est pas rien non plus cette sortie de notre prix Nobel d’économie qui dénonce l’amateurisme gouvernemental et présidentiel ainsi que les erreurs multiples d’un François Hollande totalement dépassé.
Pour Piketty, rien ne peut se faire si la France s’oppose de façon frontale. Car si on ouvre la boîte de Pandore de la sortie de la zone euro, alors à chaque élection dans chaque pays ce sera la spéculation jusqu’à la destruction totale de l’euro.
D’ailleurs, il explique également que cela pousse la Grèce dans les bras de la Russie, sans oublier que la politique d’austérité imposée par l’Europe fait le jeu des mouvements nationalistes de droite qu’il considère plus dangereux que les gens d’extrême gauche de type Syriza.
Le gâchis collectif
Enfin, pour lui, il ne faut pas asphyxier davantage la Grèce puisqu’elle n’a pas le niveau d’activité suffisant pour s’en sortir et ce n’est pas en faisant fermer ses banques, en lui refusant de l’aide que l’on va l’aider à s’en sortir et, in fine, à retrouver de la solvabilité. C’est donc un gâchis pour tout le monde y compris pour les créanciers.
Voici donc en résumé la position de notre dernier prix Nobel d’économie et cela vaut le coup de l’entendre et remet quelques pendules à la bonne heure !
Mais ce n’est pas tout. Vous ne le savez peut-être pas mais le ministre des Finances grec Yanis Varoufakis, que j’avais eu le plaisir d’interroger il y a quelques mois à peine en exclusivité pour le Contrarien Matin, est un expert de la théorie des jeux. La théorie des jeux, c’est un peu l’art de la stratégie poussé à son paroxysme.
Je reproduis ci-dessous la définition de Wikipédia.
Théorie des jeux
« La théorie des jeux est un ensemble d’outils pour analyser les situations dans lesquelles l’action optimale pour un agent dépend des anticipations qu’il forme sur la décision d’un autre agent. Cet agent peut être aussi bien une personne physique, une entreprise ou un animal. L’objectif de la théorie des jeux est de modéliser ces situations, de déterminer une stratégie optimale pour chacun des agents, de prédire l’équilibre du jeu et de trouver comment aboutir à une situation optimale. La théorie des jeux est très souvent utilisée en économie, en sciences politiques, en biologie ou encore en philosophie.
Les fondements de la théorie moderne des jeux sont décrits pour la première fois en 1928 dans une publication de John von Neumann. Les idées de la théorie des jeux sont ensuite développées par Oskar Morgenstern et le même John von Neumann en 1944 dans leur ouvrage Theory of Games and Economic Behavior ».
La Grèce négocie pour son avenir, n’a pas grand-chose à perdre et ses dirigeants appliquent la théorie des jeux dans le cadre de la « raison d’état ».
Une question que personne ne pose est « quel est l’objectif de la Grèce ? ».
Une autre devrait être « quel est l’objectif de l’Europe, du FMI et de la BCE ? ».
Maintenant, croisez ces deux questions. Essayons de jouer ensemble à la théorie des jeux !
Vous êtes Grecs, quel est votre objectif ? Idéalement, la situation optimale pour vous, Grec, serait de pouvoir :
1/ Rester dans l’euro.
2/ Assouplir l’austérité et répondre à la crise humanitaire qui épuise votre peuple.
3/ Obtenir une renégociation de votre dette pour que vos efforts ne soient pas effectués en vain.
4/ Que l’accord s’inscrive dans la durée et pas sur une période de trois mois encore une fois qui ne donne aucune visibilité au peuple et qui ne correspond à aucun projet crédible à part celui de faire gagner du temps aux créancier.
Il est donc assez facile, avec du bon sens, de lister les objectifs de la Grèce dans cette négociation. La Grèce sait donc ce qu’elle veut et ce qu’elle peut ou ne peut plus.
Maintenant, faisons la même chose pour l’Europe. Quels sont les objectifs de l’Europe ? Sauver et préserver l’euro ? Dans ce cas, il faudrait être plus constructif avec les Grecs…
Se faire rembourser les dettes par la Grèce ? Dans ce cas, comme le dit très justement Piketty, il est nécessaire de ne pas plus enfoncer la Grèce mais au contraire de lui donner de l’air pour qu’elle puisse améliorer son niveau d’activité. Il faut donc favoriser la stabilité, la visibilité… et accessoirement éviter de faire fermer les banques…
Alors je repose la question parce que là, je ne comprends pas. Quels sont les objectifs de l’Europe ? Et vous savez pourquoi les objectifs de l’Europe ne sont pas clairs ?
Les objectifs de l’Europe ne sont pas clairs parce qu’ils sont inavouables !
Et Piketty le sait tout aussi bien que moi, mais lui étant prix Nobel, il a une parole légèrement moins libre que la mienne !!
Au moment où j’écris ces lignes (et nous sommes mardi soir), la Grèce a proposé à l’Europe un nouveau projet d’accord.
« La Grèce a proposé mardi à ses créanciers de conclure avec le Mécanisme européen de stabilité (MES) un accord sur deux ans permettant de couvrir ses besoins financiers tout en restructurant sa dette, a indiqué le bureau du Premier ministre Alexis Tsipras. »
« La chancelière allemande a fait savoir qu’elle attendait le référendum de dimanche avant toute négociation. Athènes a aussi annoncé qu’il ne rembourserait pas le FMI ce soir… »
Quels sont donc les objectifs de l’Europe car pour le moment, tout ce que fait l’Europe pointe dans une seule direction. L’Allemagne veut forcer la Grèce à sortir de l’euro et de l’Europe. L’Allemagne y gagnerait et préserverait ses finances, son argent et sa puissance au détriment de tous les autres pays européens. L’Allemagne prendrait dès lors la tête de l’Europe et exercerait un pouvoir sans partage et nous devrions tous suivre.
Et c’est exactement ce risque que Thomas Piketty a dénoncé dans son intervention et la raison pour laquelle il a demandé à François Hollande de taper du poing sur la table.
Nous sommes dans une situation infiniment plus grave que ce que l’immense majorité des gens pense ou perçoit.
Il est déjà trop tard, préparez-vous.
Charles SANNAT
(pour m’écrire charles@lecontrarien.com)
« À vouloir étouffer les révolutions pacifiques, on rend inévitables les révolutions violentes » (JFK)