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Le mot qui ne sort pas de l'esprit de ceux qui aiment cogiter
sur des problèmes économiques est ‘croissance’. Celle-ci est devenue
extrêmement problématique au cours de ces dernières
années, notamment à mesure que la population mondiale
s’élargit et que l’écologie s’en trouve
affectée. Souvenons-nous que Thomas Carlyle (1785-1881) surnommait
l’économie la ‘science sombre’ en
référence aux travaux de Thomas Malthus, parce que la
conclusion Malthusienne était pour le moins pessimiste :
tôt ou tard, le gonflement de la population mondiale dépasserait
la capacité de la planète à satisfaire ses besoins.
Il se trouve que
l’essai du Révérend Malthus, intitulé Essay on the Principle
of Population, a été
publié pour la première fois en 1798, juste au moment de la
révolution industrielle. Ce
mélodrame extravagant consistait liait le développement de
l’invention mécanique et l’énergie fossile. Le
premier développement a été alimenté par le
charbon et a permis à la population de s’élargir parce
qu’il permettait aux nations colonialistes de poursuivre leur
extraction de ressources. Et puis est apparue la production de
pétrole, plus puissant et plus versatile que le charbon. Il
était notamment plus utile que le charbon dans la mesure où il
était convertible en nourriture. Le pétrole a permis de faire
fonctionner des machines agricoles, mais aussi à la création
d’herbicides, de fertilisants et d’insecticides à base de
pétrole et de gaz (un dérivé du pétrole), et au
transport de marchandises sur de longues distances… C’est lui qui
a permis au nombre d’humains sur Terre de passer de 2 milliards dans
les années 1900 à plus de 7 milliards aujourd’hui.
Alors que le pic pétrolier est derrière nous, nous
nous trouvons aujourd’hui dans la troisième phase de ce
mélodrame. Malgré la propagande qui s’empare des
médias, nous sommes désormais face au point
problématique de toute cette histoire : la fin du pétrole
peu cher. Le public ne le comprend pas encore, et il faut croire que ce soit
également le cas des spécialistes de la politique, des
entreprises et des médias. Personne ne comprend ce qui se passe parce
que tout le monde continue de croire que le pic pétrolier fait
référence au moment où il n’y aura plus de
pétrole du tout. Mais ce n’est pas vrai. Tout n’est
question que de la capacité économique d’extraire du
pétrole des entrailles de la Terre – à un prix que nous
puissions supporter en termes de capital et d’énergie investis
(mais aussi de destruction écologique). Cette dynamique exerce
désormais une influence très importante sur la civilisation
moderne. Nous nous efforçons de l’ignorer – même
parmi les intellectuels – parce que nous ne savons pas comment
gérer nos complexes opérations de la vie de tous les jours sans
lui, et parce que les manifestations de cette dynamique se présentent
en premier lieu dans la sphère financière, dominée par
des vizirs économiques et des opportunistes qui
bénéficient d’une dissimulation de réalité.
Ce qu'il y a de plus triste est que le pétrole est
désormais trop cher pour permettre à l’économie et
à la population de continuer de s’étendre. Un pétrole cher
renverse la structure de coût du système sur lequel nous nous
reposons pour notre vie de tous les jours : moyens de transport,
commerce, production de nourriture, gouvernement… Un pétrole
cher détruit notamment la structure de coût du système
bancaire et financier parce qu’il est impossible de
générer assez de richesses pour rembourser la dette
accumulée, et que le crédit ne peut être étendu
sans que plus de richesses soient créées pour le rembourser.
Tout au long de l’ère industrielle, notre monnaie n’a fait
que devenir de plus en plus abstraite et complexe. Comme Chris Martenson l’a expliqué succinctement dans The Crash Course, la monnaie est
créée en étant prêtée. Ainsi, la croissance
de la dette (qui permet la croissance de la monnaie) a joué un
rôle crucial dans nos opérations bancaires, et le mot
‘croissance’ est devenu la manière de faire
référence à ce processus dans notre univers
économique actuel.
Il est clair que le système bancaire a beaucoup
souffert du passage du prix du pétrole de 11 dollars le baril en 1999
à 140 en 2008. Depuis 2010, il varie entre 75 et 110 dollars le baril.
Ces effets
sont pour la plupart les résultats des tentatives de compenser
l’échec de créer de la richesse réelle par la
génération de richesse factice grâce à la fraude
comptable, aux tours de passe-passe, aux positions à découvert
à nu et à la construction d’un réseau de paris sur
les produits dérivés qui présente tous les signes
d’un piège. Toutes ces opérations privées ont
été encouragées par l’intervention, la
manipulation de marché, l’irresponsabilité fiscale, les
pots-de-vin politiques en échange de législations, la
falsification des rapports statistiques et l’échec de faire
appliquer la loi en cas de mauvaise conduite (par exemple à la suite
de la confiscation des comptes de ses clients par MF Global ou encore
l’arnaque ‘Timberwolf’ de Goldman
Sachs…).
En clair, une société au sein de laquelle le
mauvais fonctionnement de la création de capital s’est
transformée en crime, en corruption, en supercheries et en
falsifications afin de prétendre que la ‘croissance’
– ou l’expansion de capital – n’est pas encore morte.
Les
conséquences en sont nombreuses et profondes. La principale
étant que la fabrication de fausse richesse est une activité
séduisante à laquelle s’adonnent aujourd’hui
certaines des personnes les plus intelligentes de notre société
dans le but d’en tirer profit. Elle absorbe toute leur énergie
et leur empêche de se concentrer sur quoi que ce soit d’autre,
comme l’élaboration d’un moyen de faire fonctionner la civilisation
en l’absence d’énergie peu chère. Ajoutons à cela les efforts
de l’administration nécessaire à la poursuite de cette
corruption et de cette malhonnêteté, qui occupe les heures
éveillées de ceux qui peuplent notre gouvernement, notre
académie, nos relations publiques et nos médias. Cette cohorte de parasite subsiste aux
dépens du reste de la société, aux dépens de ceux
qui ne trouvent pas d’emploi ou ne parviennent pas à gagner
suffisamment pour payer leurs factures, et qui se trouvent
découragés, démoralisés et
désengagés face au combat de la vie quotidienne. Voilà
pourquoi le public ne tente même pas d’établir le dialogue
sur ces problèmes. Voilà pourquoi le résultat final en
est un échec d’établir un consensus cohérent pour
faire face à ce qui nous arrive.
Une autre conséquence de ces désordres de capital
est le mauvais investissement dirigé vers des produits sans avenir, ou
pire encore, des produits qui mettent en danger le futur de ce qui nous est
nécessaire pour supporter la vie civilisée. Citons par exemple
l’innovation qu’est la sécurisation des prêts
immobiliers – qui continue de représenter un grand avantage pour
les grosses banques et les entreprises ‘sponsorisées par le
gouvernement mais techniquement en banqueroute’ que sont Fannie Mae et
Freddie Mac – qui se traduit par l’activité que nous appelons
‘mise en chantier’. Les économistes sont d’accord
sur le fait qu’un grand nombre de mises en chantier soit une
bénédiction pour l’économie et donc par extension
pour la société. Mais que représentent réellement
ces mises en chantier ? De nos jours, elles prennent la forme de
subdivisions suburbaines, qui sont inévitablement rejointes par une
série de centres commerciaux et de divers magasins de meubles le long
de voies rapides. En clair, cette ‘innovation glorieuse’ des
banques produit plus
d’étendue suburbaine et détruit plus de territoire rural,
ce qui est la dernière chose dont notre pays ait besoin dans un
contexte de prix du pétrole en hausse, parce que toutes ces choses
deviendront bientôt obsolètes. Que le capital nominal –
nominal parce qu’il est certain de représenter une perte pour un
détenteur d’action ou d’obligation – soit investi
dans la construction d’un immeuble de trente étages ne fait rien
pour arranger la situation, parce qu’au contraire de ce que pensent
certains, les gratte-ciels n’ont aucun futur pratique pour des raisons
que j’ai déjà développées.
De la même manière, les investissements du public
sont dirigés vers des projets sans avenir, bien que les
dépenses fiscales soient basées de manière plus
transparentes sur de la monnaie qui n'existe pas réellement. Le public, de la même
manière que les dirigeants, vit heureux dans la matrice automobile
qu'il pense pouvoir durer toujours, et pour laquelle nous devons faire
quelques provisions, sans parler de la création d’emplois que
cela engendre. Et pourtant, la dynamique est évidente : il
n’y aura plus jamais de pétrole peu cher, et cela affectera la
formation de capital future. Il y aura moins de prêts automobiles,
moins de fonds publics pour maintenir les rues en état, et il
n’existe aucun substitut au carburant dont a besoin notre
système actuel – sans parler du problème qu’est le
déversement de carbone dans l’air.
Si tous ces points que je viens de mentionner –
autoroutes, maisons de banlieue, gratte-ciels et centres commerciaux –
représentent notre idée actuelle de ‘croissance’,
et s’ils sont clairement de mauvais investissements, il est clair que
notre concept actuel de ‘croissance’ ne s’applique plus
à un modèle réaliste d’avenir économique. Il nous faut nous
débarrasser du terme et de ce qu’il implique pour la vie
quotidienne de l’Humanité. Il nous faut imaginer un autre moyen
de comprendre le monde dans lequel nous vivons.
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