En France, ce qui est à l’État est, définitivement, à l’État, sans discussion. Et ce qui est à vous est négociable. Tous les jours qui passent apportent une preuve flagrante de ce fait simple et un tantinet terrifiant qui règle la vie dans le pays et qui explique pourquoi, petit-à-petit, il court à la catastrophe dans des piscines de guimauve.
Tenez. Prenez par exemple ce brave Manu Macron, l’actuel dépositaire du maroquin anciennement détenu par Nono la Bricole. Toute la presse s’est mise d’accord, tous les journalistes ont acquiescé et toutes les fines études chimiques l’ont prouvé : lorsqu’on plonge un petit échantillon du ministre dans un soluté de sulfite d’Hayek, il se développe rapidement un dépôt caractéristique de capitalisme colloïdal qui prouve de façon certaine que le ministre est à cathode turbolibérale, et anode socialiste. C’est magique.
C’est donc avec cette donnée essentielle qu’on analysera ses dernières déclarations au sujet, justement, des entreprises. Pour lui, c’est évident, il n’est pas interdit d’être « de gauche et de bon sens », ce qui est probablement une excellente nouvelle, que dis-je, un soulagement pour tous ceux qui, jusqu’à présent, bien que de gauche, refusaient peureusement de s’exprimer en laissant toute la place aux débris communistes à la Filoche, et pourront, on n’en doute pas, pousser un soupir et enfin prendre la parole dans le pays. Nous attendons le déferlement de leur parole (de bons sens) avec impatience.
En attendant, la parole, c’est Manu Macron qui l’a et qui colporte la bonne nouvelle pro-business à qui veut l’entendre. Et ça donne ceci :
« L’entreprise est le cœur de notre économie, c’est elle qui emploie, exporte, innove. Et la SCOP illustre très bien l’idée que je me fais de l’entreprise : une collectivité humaine qui est aussi la propriété de ceux qui la font. »
Vlan. Emballez, c’est pesé, tout est bien résumé : une entreprise, ce n’est pas le résultat de la prise de risque d’un capitaliste, ce n’est pas la propriété d’une personne ou d’un groupe de personnes qui vont mettre en commun leurs ressources financières, de temps et de compétences, mais c’est aussi la propriété de ceux qui y travaillent tous les jours. L’idée de l’entreprise pour Macron, c’est la SCOP, pas l’entreprise unipersonnelle à responsabilité limité, la société anonyme ou la SARL. Ce n’est pas l’artisan et son atelier, mais c’est ce grand tout collectif où tout le monde est à la fois salarié et actionnaire et dans lequel tout se termine toujours en chansons.
Pour notre ministre turbo-libéral, qui marquerait à lui seul le coup de barre définitif et violent du gouvernement vers les eaux mouvementées du socialisme de marché avec des bouts de capitalisme dedans, cet aveu ressemble beaucoup soit à un gros bobard sucré pour endormir les plus dogmatiques de ses camarades, soit à une confession de foi navrante sur sa conception du monde du travail, conception qui n’est en réalité pas franchement partagée par le reste des Français…
Car rappelez-vous : ce n’est pas la première fois qu’on parle de SCOP et autres coopératives au niveau des ministres français. Les précédentes tentatives étaient par exemple l’objet des petites agitations médiatiques de nul autre que Benoît Hamon, dont le dogmatisme, pour le coup, cadrait très bien avec l’amour affiché de ce genre de structures. Mais malgré toutes les incitations françaises à utiliser ce mode alternatif de propriété industrielle ou commerciale, les SCOP, en France, ne représentent qu’une extrême minorité des structures en place.
Et s’il est louable et souhaitable que SCOP et COOP existent (après tout, pourquoi pas ?), leur nature parfaitement anecdotique dans le paysage entrepreneurial français devrait indiquer aux ministres qu’aussi parées de vertus soient-elles, ces structures n’intéressent pas les entrepreneurs, les salariés, les industriels ou les commerçants. L’idée que Macron se fait de l’entreprise est donc particulièrement biaisée ou particulièrement bidon. Parce qu’il n’est en poste que depuis une semaine, je vais prudemment écarter l’idée que Macron croirait réellement à ce qu’il raconte, et opter pour un petit pipeau consensuel de sa part, tant le côté baratineur d’un ministre est, quasiment, un prérequis pour le poste. L’avenir nous permettra de trancher. Notez que si le pire n’est pas certain, il n’est pas impossible.
Et ce comportement, qu’on trouve donc au plus haut niveau de l’État pour les entreprises, est répliqué de façon similaire dans d’autres domaines et à d’autres niveaux. Le cas le plus flagrant (et le plus amusant) actuellement est celui des loyers, dont plusieurs maires se sont emparés pour rappeler à tous que là aussi, ce qui est à vous est ouvert à négociation.
On se rappelle en effet que la loi ALUR, navrant dérapage législatif en rase campagne qui s’était terminé par l’attelage ministériel de Duflot retourné dans la glaise fraîche, envisageait très sérieusement un bon gros contrôle des loyers, façon bombardement. Effroi des investisseurs. Contraction des commandes. Réflexe glutéal massif des constructeurs et, par voie de conséquence, du gouvernement qui sent que lorsque le bâtiment ne va pas, ça va moyen moyen pour tout le reste et qu’il vaut mieux détricoter tout ça bien vite. Ce fut donc sans surprise que Valls, armé d’une petite paire de ciseaux (à peine usagée par une réforme territoriale décidée sur le pouce) s’est donc décidé à découper les morceaux les plus croustillants de ce qu’on appellera désormais la Performance Duflot.
Rigolisme et blague pouët-pouët, certains maires, malins comme un fil à couper de l’eau chaude, ont finalement décidé que les petites manoeuvres du premier ministre ne changeraient rien à leur belle détermination à imposer cette lumineuse idée de contrôle des loyers dans leur ville. Paris, qui devait être l’unique ville d’expérimentation de cette thérapie mortifère, est rapidement rejointe par Lille, dont la maire calculatrice sent qu’elle a là l’occasion de se payer une tranche de fun politicien à bon compte électoral, puis par Grenoble, et que Marseille semble sur le point d’en faire autant.
La suite, on peut la deviner : comme toutes les expériences passées de contrôle des loyers, et, plus généralement, tous les précédents contrôles des prix, le résultat sera catastrophique, allant de la pénurie de biens à la déliquescence de ceux qui existent, et une paupérisation galopante des quartiers de centre ville. Ceux qui le pourront vendront aussi vite que possible, les autres subiront une perte douloureuse. Les problèmes de logement ne seront pas résolus, du tout, par cette mesure liberticide et en seront même aggravés. Rassurez-vous, le coupable est déjà connu : ce sera Macron l’ultra-libéralisme sauvage, et l’avidité sans borne des propriétaires privés.
Honteuse propriété privée qui interdit aux plus faibles de se loger ! Il fallait bien que l’État intervienne pour remettre de l’ordre, voyons ! Après tout, cette propriété n’est pas si privée puisque l’état peut influer, décider à la place de ceux qui se sont directement investis dedans (que ce soit l’immobilier ou l’entreprise ou n’importe quoi d’autre), non ? Alors, pourquoi ne pas imposer les SCOP ? Pourquoi, au lieu de ne laisser cette panacée qu’aux grandes villes françaises honteusement favorisées, ne pas réguler tous les loyers, partout en France ?
Allons, continuons à combattre cette odieuse propriété privée ! Tous ensemble, on peut y arriver. À nous les lendemains qui chantent !
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