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La danse endiablée des balais

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Paul Jorion.
Published : May 07th, 2010
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Category : Editorials





Ce texte est un « article presslib’ » (*)


Avons-nous été proches de la fin du monde, dans la nuit européenne ? D’après les traders du New York Stock Exchange, cela a bien été le cas pendant quelques minutes, vers 14 heures 30 heures locales, lorsque la Bourse a effectué un plongeon comme jamais vu. Faisant revivre à ceux qui l’ont accompagné les pires instants de la crise financière, lorsque le monde de la finance s’écroulait, nous précipitant à sa suite.

De Tokyo, le jour s’étant levé, la cloche de Wall Street ayant retenti et les transactions devenues litigieuses annulées, on apprenait qu’une conférence téléphonique des 7 était dans l’urgence organisée, cet après-midi de vendredi. Que s’est-il passé ? Que va-t-il se passer  ?

La journée et la soirée d’hier ont été fertiles en événements, et il n’y a que l’embarras du choix pour rechercher les causes de cet effondrement imprévu, si l’on ne veut pas s’en tenir à l’explication d’une simple erreur de saisie d’un trader.

Depuis Lisbonne, la BCE décevait les attentes des marchés n’annonçant aucune nouvelle mesure afin de faire face à une crise européenne en plein dérapage, tandis que montait irrésistiblement, comme une crise d’angoisse, la crainte d’un inévitable défaut de la Grèce et d’une contagion atteignant dans l’immédiat et ensemble le Portugal et l’Espagne. Alors que les rues d’Athènes retentissaient à nouveau des protestations de ceux qui sont sommés de régler l’addition, accréditant l’idée que le gouvernement n’allait pas respecter sa feuille de route. Au Royaume-Uni, le scénario redouté d’une imparfaite victoire des Conservateurs se confirmait, installant un vide politique dans le pays, risquant de continuer à geler des décisions qui ne peuvent plus attendre, la livre sterling sur une pente de plus en plus glissante.

Au Japon, la banque centrale, que l’on dénomme le plus souvent – comme ses consoeurs – sous son nom d’institut d’émission, mettait dans l’urgence 17,4 milliards d’euros à disposition des banques japonaises zombie, sans regarder les contreparties, afin de les prémunir d’une déstabilisation qui les menaçait. Aux Etats-Unis, enfin, la crise Grèce et Européenne avivait l’idée que la crise de la dette américaine était elle aussi aux portes.

Mais par qui le malheur est-il donc arrivé, si ce n’est par ce que le Financial Times appelait ce matin « le mélange actuel de cupidité, de peur et de confusion qui domine la mentalité des investisseurs »  ? Deux vecteurs semblent avoir joué les détonateurs. En premier lieu, le High Frequency Trading (HFT), surnommé algo pour algorithme, dont les programmes d’achats et de vente à grande vitese se seraient affolés et emballés et qu’il a fallu maîtriser. Submergeant la bourse d’une overdose d’ordres, en raison d’une erreur ou d’un dysfonctionnement activement recherché, est-il expliqué. La noyant sous cette volatilité tant recherchée et revendiquée par les marchés, source du plaisir devenant en un instant celui de la douleur.

En second, cette bonne vieille télévision, qui a diffusé en boucle sur les antennes du monde entier les images des manifestations d’Athènes. Illustrant une intolérable intrusion dans les palais de la finance, à l’image de ces hordes en colère qui fracassent les portes des repaires des dictateurs et s’y engouffrent pour les piller, annonçant le tout dernier épisode avant la fin. La cupidité, la peur et la confusion…

Cet accès brutal de fièvre intervient aussi, à s’y attarder, dans un autre contexte moins spectaculaire mais tout aussi perturbant pour les marchés. Les lobbies financiers ont été ces derniers jours pris à contre pied par les ultimes réglages de la loi de régulation financière au Sénat. S’ils ont eu gain de cause en obtenant la suppression dans le projet de loi du fond censé prémunir les pouvoirs publics du financement d’un nouveau sauvetage des banques, lors de la prochaine et inévitable crise (en brandissant l’argument non sans fondement que cela renforcerait l’aléa moral…), ils sont sur la défensive et pris à contre-pied dans deux autres domaines considérés comme vitaux. Celui de la future agence de protection des consommateurs, dont ils veulent que la responsabilité incombe à la Fed, ce que Barack Obama a annoncé ne pouvoir accepter. Ainsi que celui, éminemment technique et complexe tel qu’il est abordé, de la régulation des produits dérivés. Il occupe des dizaines de pages denses dans un projet de loi qui en fait 1.600 et nécessiterait à lui seul une somme pour en exposer les ficelles.

C’est le dernier acte qui est en train de se jouer, non sans une grande nervosité, dans une ambiance électrique où se multiplient les enquêtes, les poursuites ainsi que l’annonce de nouvelles plaintes. A l’américaine, la justice est saisie et joue son rôle d’institution de dernier ressort. Les commissions d’enquête et les auditions interviennent. Ce qu’il reste de démocratie et de foi dans la vérité tente de jouer son rôle.

Certaines agences gouvernementales, aux acronymes barbares, FDIC, CFTC ou SEC, jouent leur partie, secondant les sénateurs qui mènent leur bataille d’amendements. Bernie Sanders, qui cherche à imposer un droit d’audit de la Fed par le Congrès ou bien Ted Kauffman, qui mène la danse sur le HFT, parmi d’autres … A la télévision, la personnalité d’Elizabeth Warren, professeur d’université en charge du Congressional Oversight Panel, qui supervise l’application du TARP au nom du Sénat, fait merveille à chacun de ses passages. Dans la presse de référence, quelques plumes incisives et bien documentées exercent quotidiennement leur talent. On serait nerveux à moins, à Wall Street.

Sans y voir nécessairement une relation de cause à effet, le plongeon de la bourse new-yorkaise sonne comme un avertissement, dont l’interprétation va être ressentie comme ambiguë. Tonnerre d’un côté, signal menaçant d’un cataclysme qui pourrait être déclenché par des Dieux de la finance en colère ; faux-pas et trébuchement des mêmes de l’autre, exprimant l’épuisement et l’usure d’un système qui n’en peut plus. Quoi qu’il en soit, son extrême fragilité vient à nouveau d’être illustré faisant des chefs d’Etat et de gouvernement qui vont se téléphoner à 7 cet après-midi, et de ceux qui vont dîner à 16 ce soir, des apprentis sorciers dépassés par la danse endiablée des balais autour d’eux.

« D’abord les banques ont failli, forçant les Etats à mener des actions de sauvetage. Elles ont plongé l’économie mondiale dans le précipice, et nous avons dû engager des plans de relance. A cause de ces plans de relance, nous nous sommes endettés, et maintenant, elles spéculent contre ces dettes, c’est vraiment très perfide » a déclaré hier à l’antenne de la chaîne de TV Allemande WDR la chancelière Angela Merkel, non sans de réels accents d’indignation sincère. Elle a poursuivi en affirmant que « La politique doit retrouver sa primauté sur les marchés », reste à savoir laquelle.



Billet rédigé par François Leclerc


               

Paul Jorion

pauljorion.com




(*) Un « article presslib’ » est libre de reproduction en tout ou en partie à condition que le présent alinéa soit reproduit à sa suite. Paul Jorion est un « journaliste presslib’ » qui vit exclusivement de ses droits d’auteurs et de vos contributions. Il pourra continuer d’écrire comme il le fait aujourd’hui tant que vous l’y aiderez. Votre soutien peut s’exprimer ici.


Paul Jorion, sociologue et anthropologue, a travaillé durant les dix dernières années dans le milieu bancaire américain en tant que spécialiste de la formation des prix. Il a publié récemment L’implosion. La finance contre l’économie (Fayard : 2008 )et Vers la crise du capitalisme américain ? (La Découverte : 2007).





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Paul Jorion, sociologue et anthropologue, a travaillé durant les dix dernières années dans le milieu bancaire américain en tant que spécialiste de la formation des prix. Il a publié récemment L’implosion. La finance contre l’économie (Fayard : 2008 )et Vers la crise du capitalisme américain ? (La Découverte : 2007).
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