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Ce texte est un « article presslib’ » (*)
Avons-nous
été proches de la fin du monde, dans la nuit européenne
? D’après les traders du New York Stock Exchange, cela a bien
été le cas pendant quelques minutes, vers 14 heures 30 heures
locales, lorsque la Bourse a effectué un plongeon comme jamais vu.
Faisant revivre à ceux qui l’ont accompagné les pires
instants de la crise financière, lorsque le monde de la finance
s’écroulait, nous précipitant à sa suite.
De
Tokyo, le jour s’étant levé, la cloche de Wall Street
ayant retenti et les transactions devenues litigieuses annulées, on
apprenait qu’une conférence téléphonique des 7
était dans l’urgence organisée, cet après-midi de
vendredi. Que s’est-il passé ? Que va-t-il se passer ?
La
journée et la soirée d’hier ont été
fertiles en événements, et il n’y a que l’embarras
du choix pour rechercher les causes de cet effondrement imprévu, si
l’on ne veut pas s’en tenir à l’explication
d’une simple erreur de saisie d’un trader.
Depuis
Lisbonne, la BCE décevait les attentes des marchés
n’annonçant aucune nouvelle mesure afin de faire face à
une crise européenne en plein dérapage, tandis que montait
irrésistiblement, comme une crise d’angoisse, la crainte
d’un inévitable défaut de la Grèce et d’une
contagion atteignant dans l’immédiat et ensemble le Portugal et
l’Espagne. Alors que les rues d’Athènes retentissaient
à nouveau des protestations de ceux qui sont sommés de
régler l’addition, accréditant l’idée que le
gouvernement n’allait pas respecter sa feuille de route. Au
Royaume-Uni, le scénario redouté d’une imparfaite
victoire des Conservateurs se confirmait, installant un vide politique dans
le pays, risquant de continuer à geler des décisions qui ne
peuvent plus attendre, la livre sterling sur une pente de plus en plus
glissante.
Au Japon, la
banque centrale, que l’on dénomme le plus souvent – comme
ses consoeurs – sous son nom d’institut
d’émission, mettait dans l’urgence 17,4 milliards
d’euros à disposition des banques japonaises zombie, sans
regarder les contreparties, afin de les prémunir d’une
déstabilisation qui les menaçait. Aux Etats-Unis, enfin, la
crise Grèce et Européenne avivait l’idée que la
crise de la dette américaine était elle aussi aux portes.
Mais
par qui le malheur est-il donc arrivé, si ce n’est par ce que le
Financial Times appelait ce matin « le mélange actuel de
cupidité, de peur et de confusion qui domine la mentalité des
investisseurs » ? Deux vecteurs
semblent avoir joué les détonateurs. En premier lieu, le High
Frequency Trading
(HFT), surnommé algo pour algorithme,
dont les programmes d’achats et de vente à grande vitese se seraient affolés et emballés et
qu’il a fallu maîtriser. Submergeant la bourse d’une
overdose d’ordres, en raison d’une erreur ou d’un
dysfonctionnement activement recherché, est-il expliqué. La
noyant sous cette volatilité tant recherchée et
revendiquée par les marchés, source du plaisir devenant
en un instant celui de la douleur.
En
second, cette bonne vieille télévision, qui a diffusé en
boucle sur les antennes du monde entier les images des manifestations
d’Athènes. Illustrant une intolérable intrusion dans les
palais de la finance, à l’image de ces hordes en colère
qui fracassent les portes des repaires des dictateurs et s’y
engouffrent pour les piller, annonçant le tout dernier épisode
avant la fin. La cupidité, la peur et la confusion…
Cet
accès brutal de fièvre intervient aussi, à s’y
attarder, dans un autre contexte moins spectaculaire mais tout aussi
perturbant pour les marchés. Les lobbies financiers ont
été ces derniers jours pris à contre pied par les
ultimes réglages de la loi de régulation financière au
Sénat. S’ils ont eu gain de cause en obtenant la suppression
dans le projet de loi du fond censé prémunir les pouvoirs
publics du financement d’un nouveau sauvetage des banques, lors de la
prochaine et inévitable crise (en brandissant l’argument non
sans fondement que cela renforcerait l’aléa moral…), ils
sont sur la défensive et pris à contre-pied dans deux autres
domaines considérés comme vitaux. Celui de la future agence de protection
des consommateurs, dont ils veulent que la responsabilité incombe
à la Fed, ce que Barack Obama
a annoncé ne pouvoir accepter. Ainsi que celui, éminemment
technique et complexe tel qu’il est abordé, de la
régulation des produits dérivés. Il occupe des dizaines
de pages denses dans un projet de loi qui en fait 1.600 et
nécessiterait à lui seul une somme pour en exposer les
ficelles.
C’est
le dernier acte qui est en train de se jouer, non sans une grande
nervosité, dans une ambiance électrique où se
multiplient les enquêtes, les poursuites ainsi que l’annonce de
nouvelles plaintes. A l’américaine, la justice est saisie et
joue son rôle d’institution de dernier ressort. Les commissions
d’enquête et les auditions interviennent. Ce qu’il reste de
démocratie et de foi dans la vérité tente de jouer son
rôle.
Certaines
agences gouvernementales, aux acronymes barbares, FDIC, CFTC ou SEC, jouent
leur partie, secondant les sénateurs qui mènent leur bataille
d’amendements. Bernie Sanders, qui cherche
à imposer un droit d’audit de la Fed par le Congrès ou
bien Ted Kauffman, qui mène la danse sur le HFT,
parmi d’autres … A la télévision, la
personnalité d’Elizabeth Warren, professeur
d’université en charge du Congressional
Oversight Panel, qui supervise l’application
du TARP au nom du Sénat, fait merveille à chacun de ses
passages. Dans la presse de référence, quelques plumes
incisives et bien documentées exercent quotidiennement leur talent. On
serait nerveux à moins, à Wall Street.
Sans
y voir nécessairement une relation de cause à effet, le
plongeon de la bourse new-yorkaise sonne comme un avertissement, dont
l’interprétation va être ressentie comme ambiguë.
Tonnerre d’un côté, signal menaçant d’un
cataclysme qui pourrait être déclenché par des Dieux de
la finance en colère ; faux-pas et trébuchement des
mêmes de l’autre, exprimant l’épuisement et
l’usure d’un système qui n’en peut plus. Quoi
qu’il en soit, son extrême fragilité vient à
nouveau d’être illustré faisant
des chefs d’Etat et de gouvernement qui vont se
téléphoner à 7 cet après-midi, et de ceux qui
vont dîner à 16 ce soir, des apprentis sorciers
dépassés par la danse endiablée des balais autour
d’eux.
« D’abord
les banques ont failli, forçant les Etats à mener des actions
de sauvetage. Elles ont plongé l’économie mondiale dans
le précipice, et nous avons dû engager des plans de relance. A
cause de ces plans de relance, nous nous sommes endettés, et
maintenant, elles spéculent contre ces dettes, c’est vraiment
très perfide » a déclaré hier à
l’antenne de la chaîne de TV Allemande WDR la chancelière
Angela Merkel, non sans de réels accents
d’indignation sincère. Elle a poursuivi en affirmant que
« La politique doit retrouver sa primauté sur les
marchés », reste à savoir laquelle.
Billet
rédigé par François Leclerc
Paul Jorion
pauljorion.com
(*) Un « article presslib’
» est libre de reproduction en tout ou en partie à condition que
le présent alinéa soit reproduit à sa suite. Paul Jorion est un « journaliste presslib’
» qui vit exclusivement de ses droits d’auteurs et de vos
contributions. Il pourra continuer d’écrire comme il le fait
aujourd’hui tant que vous l’y aiderez. Votre soutien peut
s’exprimer ici.
Paul Jorion,
sociologue et anthropologue, a travaillé durant les dix
dernières années dans le milieu bancaire américain en
tant que spécialiste de la formation des prix. Il a publié
récemment L’implosion. La finance contre l’économie
(Fayard : 2008 )et Vers la crise du capitalisme américain ?
(La Découverte : 2007).
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