Mes chères contrariées, mes chers contrariens
!
Aujourd’hui, deux grandes informations dominent
l’actualité et marqueront sans doute chacune à leur
façon le monde.
La première, c’est évidemment la sortie de David
Cameron, le Premier ministre britannique, sur justement la sortie du
Royaume-Uni d’une Europe dans laquelle il n’est jamais
rentré complètement.
Cette décision anglaise montre que le processus de
décomposition, de « déconstruction » européenne
vient de commencer et qu’il va profondément modifier le monde
dans lequel nous vivons.
Je reviendrai très longuement sur ce sujet qui est
fondamentalement structurant, encore plus pour nous autres Européens,
mais je vais d’abord aborder un sujet qui m’amuse beaucoup qui
est celui d’Apple.
Après
l’iPod, l'iPhone et l’iPad, voici
l’iBaffe boursière !
Apple s’est effondré en Bourse de plus de 10 % lors de la
séance d’hier et perd plus de 25 % depuis ses plus hauts
d’il y a trois mois. Une bonne dégringolade qui est parfaitement
logique, normale et rationnelle. Alors je ne vous dirai pas que « je
vous l’avais dit », mais je le pense très fort.
Apple, malgré une technologie attirante mais surtout un
marketing efficace, reste avant tout un mirage boursier et une bulle
financière à lui tout seul. Cela, encore une fois, ne retire
rien à la qualité des produits de la marque à la pomme.
Les déboires d’Apple étaient donc parfaitement
prévisibles et pour plusieurs raisons.
La première tient à son activité : les produits
high-tech. Il y a quelques années, Apple était dans les limbes
et à deux doigts de la disparition pure et simple. En 2003, Nokia
était porté aux nues par la presse économique mondiale.
À cette époque, tout le monde « rêvait » du
dernier 3310 bleu marine de Nokia, qui fabriquait les
téléphones les plus solides du monde (nous en avons fait tous
tomber quelques uns avec succès).
Au moment où Nokia semble sortir la tête de l’eau
après avoir passé une période de quelques années
extrêmement difficiles, c’est au tour d’Apple de voir le
succès lui échapper.
C’est donc normal, car sur des marchés à la
rotation rapide des produits et aux effets de mode importants, une marque en
chasse régulièrement une autre. Ce sera le cas d’Apple.
Mais il y a une deuxième raison. Elle tient dans le business
model même d’Apple qui est une entreprise de conception et de
marketing mais plus du tout de production. Résultat des courses : ce
sont les concurrents d’Apple, qui eux disposent d’usines, qui
fabriquent ses appareils et sont donc capables d’acquérir le
savoir-faire technologique pour développer des produits en propre ou
pour d’autres fabricants.
Apple avait anticipé ces problèmes majeurs en se
lançant dans une guerre des brevets qui était de toutes les
façons vouée à l’échec pour une simple et
bonne raison… C’est que tout n’est pas « brevetable
», et que lorsque l’on est sans usine… on est
dépendant de ses fournisseurs qu’il est difficile de faire
condamner en permanence tout en continuant à les faire travailler efficacement
pour vous.
Apple a voulu pousser la logique de la création de valeur
(boursière) à son paroxysme. Un marketing efficace, des
produits de qualité mais vendus très cher, aucune usine et une
fabrication sous-traitée dans des pays low cost.
Aujourd’hui, le plus grand vendeur de smartphones
est… Samsung, alors que c’est Apple qui a créé et
ouvert ce marché qui n’a que… 3 ans !
En privilégiant la rentabilité à court terme avec
le moins d’investissements industriels possible, Apple est devenu une
machine à cash condamnée à une disparition rapide car,
finalement, Apple n’est propriétaire de rien. Apple est
copié, dépassé par des concurrents dont il a
facilité l’émergence.
Comme le dit si bien Olivier Berruyer à qui je vais emprunter
cette image, imaginez une copropriété où tous les
habitants ne resteraient qu’une année. Personne n’aurait
intérêt de faire des travaux puisqu’ils seront partis
d’ici quelques mois. Ils font tous le bon calcul économique.
Mais le dernier entré devra finalement payer le coût des travaux
et c’est exactement ce qu’il se passe pour Apple et de
façon générale pour toutes les entreprises qui
préfèrent définir leur stratégie sur le cour de Bourse au prochain trimestre que la
construction d’une entreprise sur le long terme.
Apple montre que ces entreprises vont mourir par là où
elles ont péché… C’était prévisible
pour Apple, comme c’est prévisible pour toutes les grandes
entreprises occidentales qui ont décidé d’être des
entreprises sans usine. Vous savez donc sur quels critères purger
votre portefeuille boursier si vous en avez encore un… ce qui
n’est pas une bonne idée, mais c’est un autre sujet.
Alors, revenons maintenant sur l’Europe.
Cameron : un
référendum sur une sortie de l'Europe
Les Anglais ont donc jeté un véritable pavé dans
la marre de la construction européenne qui est désormais remise
en cause dans sa forme actuelle.
La déclaration de François Hollande, sans grande
surprise, a donné encore une fois une confirmation du peu
d’imagination des élites françaises. « L’Europe
ne se discute pas. »
Si, Monsieur le Président, la construction européenne
doit impérativement se discuter, sinon d’une part c’est un
déni de démocratie et d’autre part il faut être
autiste pour ne pas se rendre compte qu’avec l’effondrement
économique du Vieux Continent cela ne peut qu’être suivi
d’une immense crise politique européenne.
Nous sommes des impuissants politiques incapables de trouver le
moindre accord transcendant un tant soit peu de petits intérêts
nationaux. Nous sommes en train de construire une Europe stupide, celle de
l’argent et du libéralisme sans contrepartie, ce qui n’est
pas le cas en Chine et encore moins aux États-Unis qui font du
protectionnisme lorsque cela les arrange.
Nous avons construit une Europe contre les peuples et non pas pour les
peuples. Comme je l’ai déjà dit et écrit, cette
Europe-là doit pouvoir se discuter.
La seule façon de sauver l’idée européenne,
à un moment où ceux qui ont connu les affres de la guerre
s’en vont progressivement, c’est justement de discuter de
l’Europe, c’est de proposer aux peuples des alternatives
d’Europe.
Mais cela ne se fera pas.
Ce qui se fera c’est que d’ici quelques années ou
quelques mois, et parce que rien, strictement rien n’est
réglé, l’Europe dans sa forme actuelle explosera. Cela
entraînera une reconfiguration de notre organisation avec sans doute
plusieurs cercles concentriques. Pour certains, des Unions plus
étroites mais à deux ou trois pays. Pour d’autres, des
statuts de simples « associés », le tout certainement sur
fond de mise en place de plusieurs monnaies communes et/ou un retour aux
monnaies nationales.
Les Britanniques viennent d’enterrer le rêve
européen. Je tenais à les remercier. Avec leur pragmatisme
coutumier, ils ont pris acte les premiers que l’Europe est un
échec, car elle est un échec, jusqu’au programme
d’échange Erasmus qui va bientôt disparaître.
Il ne reste plus rien de l’idée européenne
à part la souffrance de peuples qui ont déjà
manifesté leur refus à travers de multiples consultations mais
qui n’ont jamais été entendus.
L’Europe est devenue une dictature
économico-juridico-libérale. Elle disparaîtra avec la
tourmente actuelle et ce sera à nous de réinventer ce
rêve.
L’Europe est indispensable mais elle peut se discuter, elle
n’est pas une et indivisible. D’abord, comme tout le reste, il
faudra qu’elle s’effondre avant que nous reconstruisions.
La structure politique ne pourra pas survivre à la fin de la
structure économique.
L’État-providence disparaît sous vos yeux.
Désormais, l’Europe aussi. C’est tout un monde qui se
délite. Il ne faudra pas le regretter et espérer que nous
serons capables du meilleur… même si le meilleur n’est
jamais sûr.
Charles
SANNAT
Directeur des Études Économiques Aucoffre.com
http://www.lecontrarien.com/
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