« Il y a une
différence entre démocratie et liberté.
La liberté ne se confond pas avec la possibilité de voter.
Elle doit être jugée en considérant la quantité de
sujets sur lesquels nous ne votons pas. »
John T. Wenders
L’affaire
Cahuzac pourrait nous faire penser que si les
choses vont mal dans nos démocraties, c’est parce que des hommes
mauvais sont au pouvoir. Changeons donc les hommes et tout ira mieux. Le
problème serait de nature uniquement morale. Cette thèse a le
mérite de la simplicité mais elle est fausse.
Posons-nous la
question suivante : Et si les difficultés de nos
sociétés (chômage, inflation, dette) n'étaient pas
dues à la méchanceté de certains hommes, ni à la
faillite de l’économie de marché (gouvernée par la
« cupidité » de certains hommes) mais à la
défaillance structurelle de nos institutions politiques ? Telle
est l’hypothèse iconoclaste de Dépasser la démocratie,
un livre de deux hollandais, Frank
Karsten et Karel Beckman, qui vient
d’être traduit en français par Benoît Malbranque sous l’égide de l’Institut
Coppet. Selon eux, c’est la démocratie elle-même qui
produit le déclin de la civilisation, au sens d’un
affaiblissement généralisé des idées de
liberté et de responsabilité.
La
démocratie est née à une époque où
l’État était relativement faible. Un siècle et
demi de démocratie a néanmoins conduit à une expansion
considérable de l'État dans tous les pays démocratiques.
Elle a également conduit à la situation dans laquelle nous ne
devons pas seulement craindre l'État, mais aussi nos concitoyens, qui
sont en mesure de nous asservir par les urnes. Bien entendu, si la démocratie
consistait à garantir les libertés individuelles, elle serait
une chose souhaitable. Mais malheureusement, ce n’est pas le cas. Il semble
bien que la démocratie ne produise pas le maximum de liberté
compatible avec l’ordre social mais tout au contraire le maximum de
servitude compatible avec l’ordre social.
Les auteurs montrent
en effet qu’un système de choix collectifs
fondé sur des votes à la majorité des voix ne permettra
jamais de dégager des solutions à long terme aux
problèmes soulevés par la vie en société. Au contraire,
il produira de plus en
plus de dépenses publiques et de contrôles sur les individus. En
effet, la démocratie est un système politique dans
lequel les candidats achètent des voix au moyen de promesses de biens
publics et de subventions. Ils cherchent à maximiser le nombre de
leurs électeurs en adaptant l’offre de biens publics à la
demande des groupes de pression. « Ce qui règne en démocratie n'est pas
« la volonté du peuple » mais la volonté
des hommes politiques, elle-même guidée par les groupes de
lobbyistes professionnels, les groupes d'intérêts et les
activistes. » (Dépasser la démocratie)
Dans notre société, la croyance aveugle en la démocratie
n'est pas si évidente. Il s'agit en fait d'un phénomène
assez récent. Cela pourra apparaitre comme une surprise pour beaucoup
de lecteurs, mais les pères fondateurs des États-Unis —
des hommes comme Benjamin Franklin, Thomas Jefferson et John Adams —
étaient sans exception opposés à la démocratie.
De même, le système politique que Benjamin Constant,
Jean-Baptiste Say et Frédéric Bastiat appelaient de leurs
vœux était une république constitutionnelle
limitée, restreinte à la protection des droits individuels.
Dans un tel système, la règle de la majorité s'applique
uniquement à la sélection des représentants. Mais la
majorité n'a rien à dire sur les principes fondamentaux
régissant la société comme le gouvernement. Elle n'a pas
le pouvoir de demander ou d’obtenir la violation des droits
individuels.
À
l’origine bien sûr, le rôle des institutions
démocratiques était de limiter et de contrôler
l'État. Malheureusement, la démocratie est devenue un
instrument de contrôle de la sphère privée. Les
totalitarismes du XXe siècle étaient le résultat de
l'emprise du pouvoir politique sur les individus et de la sphère
publique sur la sphère privée. Or la démocratie du XXIe
siècle s’inscrit dans la continuité de ce modèle.
Pas de manière sanglante, ni de façon abrupte. Mais
graduellement, petit à petit. C’est un totalitarisme « soft »,
d’autant plus insidieux qu’il est supportable et procure
l’illusion de la sécurité.
Ce livre est construit en trois parties
Dans la première partie, il étudie notre foi en ce dieu de la
démocratie parlementaire. Comme toute religion, la démocratie a
son ensemble de croyances — des dogmes qui semblent être des
faits indiscutables pour tout le monde. Ceci est présenté sous
la forme d’une liste de 13 mythes populaires sur la
démocratie :
Mythe 1. Chaque vote compte.
Mythe 2. Dans
une démocratie, le peuple gouverne.
Mythe 3. La
majorité a raison.
Mythe 4. La
démocratie est politiquement neutre.
Mythe 5. La
démocratie mène à la prospérité.
Mythe 6. La
démocratie est nécessaire pour assurer une juste distribution
des richesses et pour venir en aide aux pauvres.
Mythe 7. La
démocratie est nécessaire pour vivre tous en harmonie.
Mythe 8. La
démocratie est nécessaire pour créer un sentiment de
communauté.
Mythe 9. La
démocratie signifie la liberté et la tolérance.
Mythe 10. La
démocratie favorise la paix et aide à lutter contre la
corruption.
Mythe 11. Dans
une démocratie, les gens obtiennent ce qu'ils désirent.
Mythe 12. Nous
sommes tous favorables à la démocratie.
Mythe 13. Il
n'y a pas de (meilleure) alternative.
Dans la seconde partie, les auteurs décrivent les
conséquences pratiques du système démocratique. Ils
montrent pourquoi la démocratie mène inévitablement
à la stagnation économique et quels sont les éléments
qui la rendent inefficace et injuste. « Il est temps pour les gens
d’ouvrir les yeux sur le fait que la démocratie ne conduit pas
à la liberté ni à l'autonomie. Elle ne résout pas
les conflits et elle ne libère pas les forces productives et
créatives. Bien au contraire. La démocratie crée des
antagonismes et des restrictions. Les aspects centralistes et compulsifs de
la démocratie provoquent un chaos organisé, alors que la
liberté individuelle et la dynamique du marché
désorganisé provoquent un ordre spontané et la prospérité. »
Dans la troisième partie, ils posent les bases d’une alternative à
la démocratie, un système politique basé sur
l’autodétermination de chaque individu,
caractérisé par la décentralisation, la gestion locale
et la diversité. Dans une société libre, la règle
principale serait de ne commettre ni fraude, ni violence, ni vol. Tant que
les gens s'en tiennent à cette règle, ils pourraient offrir
tous les services, y compris ceux qui sont aujourd’hui
considérés comme des « services publics ». Ils
pourraient également créer comme ils l’entendent leurs
propres communautés — monarchiste, communiste, conservatrice,
religieuse ou même autoritaire, pour peu que leurs « clients
» adhérent volontairement et pour peu qu'ils laissent les autres
communautés tranquilles. En fait, une société
idéale et libre serait semblable au modèle sur lequel est
basé Internet. Avec Internet, seules quelques règles
s’appliquent. Elles sont simples à respecter. Pour le reste,
chacun peut participer à sa guise.
Dans une société libre, le vote est un mécanisme
approprié pour la sélection de ses représentants
politiques mais non, comme le veut la démocratie, de ses principes
éthiques et politiques. Il faut donc limiter le pouvoir du
gouvernement à une seule fonction : la protection des droits
individuels. C'est le vrai sens de la liberté, tel qu’il a
été si bien compris et exposé par Frédéric
Bastiat au XIXe siècle.
L’approche libertarienne de la
démocratie
Dépasser la démocratie a été écrit dans
une perspective libertarienne. Le libertarianisme est une philosophie politique
fondée sur la propriété de soi, c'est-à-dire sur
le droit que chaque individu a sur son propre corps et sur sa vie, et donc
sur les fruits de son travail. L'alternative à
l’autogouvernement est que les gens décident de la vie et du
travail des autres (ou — mais cela est tout à fait
irréaliste — que tout le monde décide pour tout le
monde). Selon le libertarianisme, une telle
situation est injuste. Il est basé sur le principe que les individus
n'ont aucune obligation de se sacrifier pour le collectif, comme c'est le cas
dans les systèmes socialistes, fascistes ou démocratiques.
Pour les libertariens, la liberté individuelle
(propriété de soi) ne signifie pas le « droit » au
travail, à l'éducation, aux soins de santé, au logement
ou à quelque autre bien, étant donné que ces « droits
» impliquent pour les autres le devoir de fournir ces prestations. Si
une personne est obligée de se sacrifier pour les autres, ce n'est pas
la liberté, mais l'esclavage. La liberté signifie que chacun a
le droit de faire ce qu’il souhaite avec sa vie et ses biens, tant
qu'il n'interfère pas avec la vie et la propriété
d'autrui. En bref, les libertariens sont contre
l’initiation de la force physique.
En définitive, ce que montre ce livre,
c’est que la ligne de clivage qui séparait jadis les partisans
de la monarchie et ceux de la démocratie s’est
déplacée. Où passe-t-elle désormais ? De nos jours, le véritable clivage est celui qui oppose les défenseurs de l’association volontaire aux défenseurs du
collectivisme forcé, ceux
qui ont confiance en la
capacité des individus à s’organiser librement par eux-mêmes et ceux
qui pensent que le collectivisme social-démocrate est la fin
de l’Histoire. Toute la troisième partie de Dépasser la démocratie est justement
consacrée à l’élaboration des grandes lignes de
cette alternative à la démocratie : « Nous croyons que l'État-nation et la
démocratie qui va avec sont des institutions du XXe siècle, pas
du XXIe siècle. Le chemin vers l'autonomie et l’autogouvernement
continuera, mais il ne passera pas par les larges démocraties. Il
passera par la décentralisation et par l'organisation des personnes en
plus petites unités administratives, conçues par les gens
eux-mêmes. »
Lire
l’introduction du livre
Mythes
1 et 2
Voir le
site : http://depasserlademocratie.fr
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