Entrer une légende
« La garantie des droits politiques protège la libre formation de
l’opinion des citoyens et des citoyennes et l’expression fidèle et sûre de
leur volonté. » (Art. 34 al. 2 de la Constitution fédérale)
« La liberté de la formation de l’opinion exclut par principe toute
prise d’influence directe des autorités qui serait de nature à fausser la
libre formation de la volonté des citoyens avant des votations et des
élections. »1 (Tribunal fédéral suisse)
La Suisse est le seul pays à connaître une démocratie directe. Ses
citoyennes et ses citoyens peuvent se prononcer sur des sujets spécifiques.
Des études scientifiques montrent que la démocratie directe conduit à des
solutions politiques porteuses dans la durée et augmente la satisfaction de
chacun.2 En particulier, la possibilité de participer activement à des
initiatives accroît le sentiment de satisfaction de chacun. Ce modèle
pourrait être repris dans d’autres pays – après avoir été adapté aux
spécificités locales. Ainsi la démocratie directe est « moderne, efficace,
elle peut être perfectionnée et exportée ».3
Conception personnaliste de l’homme et
démocratie directe
La démocratie directe est fondée sur une conception personnaliste
de l’homme. Elle implique que l’homme est considéré comme un être
complet, social et raison- nable. Etant doué de volonté, il est en mesure de
déci- der et d’agir de façon éthiquement responsable. Cette conception
de l’homme est d’ailleurs inscrite dans la Constitution fédérale :
« Tous les Suisses et toutes
les Suissesses […] ont les droits
politiques en matière fédérale. Tous ont les mêmes droits et devoirs
politiques. Ils peuvent prendre part à l’élection du Conseil national et aux
votations fédérales et lancer et signer des initiatives populaires et
des demandes de référendum en matière fédérale. » (CF Art.
136)
Des droits politiques similaires existent en Suisse au niveau cantonal et
communal. Cette forme de participation de tous les citoyens a acquis à la
Suisse une considération internationale.
Mais la démocratie directe ne se maintient pas d’elle- même. Elle ne
fonctionne que si nous l’entretenons. Chacun doit prendre ses
responsabilités dans la vie publique. C’est alors que les questions et les
problèmes liés à la vie en société peuvent être résolus
ensemble dans le dialogue. Cela nécessite une participation intellectuelle
active ainsi que la volonté de trouver des solutions dans le sens
du bien commun.
La séparation des pouvoirs, protection contre l’arbitraire
Depuis le siècle des Lumières, les hommes se sont demandé comment vivre
ensemble dans l’État et la société de façon juste et
correspondant à la nature humaine.
A cette fin, la séparation des pouvoirs a été reconnue comme principe
fondamental. Elle est consubstantielle à l’État de droit et constitue un
rempart contre la dictature. Elle protège contre la concentration des
pouvoirs et l’arbitraire. Ce n’est que lorsque les pouvoirs législatif,
exécutif et judiciaire sont séparés qu’ils peuvent se contrôler réciproquement.
Dans la démocratie directe suisse, le peuple et les cantons sont au-dessus
des autres pouvoirs. Le peuple et les cantons sont le souverain. Ce sont eux
ou leurs représentants au Conseil national et au Conseil des États qui
exercent le pouvoir suprême de l’État :
« L’Assemblée fédérale [Conseil national et
Conseil des États] est l’autorité suprême de la Confédération, sous
réserve des droits du peuple et des cantons. » (CF, Art. 148)
Le peuple et les cantons constituent le législatif, qui adopte les lois et
détermine la Constitution fédérale. Le peuple et les cantons se prononcent
aussi sur d’importantes questions de gouvernement comme la participation à
des alliances militaires.
Le Conseil fédéral n’est au contraire que l’organe exécutif. En tant que tel,
il exécute la volonté du peuple et des cantons. Ce faisant, il est très
étroitement lié à la Constitution et aux lois. Il ne dirige pas le
gouvernement ; il dirige l’administration.4
Rôle du Conseil fédéral lors de votations
Le rôle du Conseil fédéral lors de votations est clairement réglementé :
il élabore les projets de loi puis les présente au Parlement. Il lui explique
le contenu et l’objectif desdits projets. Au début d’une campagne de
votation, il présente et explique le projet au public. L’information
que le Conseil fédéral fournit aux médias est reprise et diffusée par les
journaux, la radio et la télévision dans les quatre régions du pays et
rencontre un large écho :
« La séance d’information rencontre généralement un large écho. La
plupart des médias rendent compte des principales déclarations des
conseillers fédéraux, qui marquent par leur présence, à ce moment crucial du
processus de formation de l’opinion, l’importance qu’ils attribuent à l’objet
de la votation et peuvent présenter leurs arguments à
la population. »5
La brochure fédérale,
source d’informations la plus importante
Le Conseil fédéral informe tous les citoyens une deuxième fois au moyen
d’une brochure fédérale d’informations qui est envoyée en même temps que le
matériel de vote. La « Neue Zürcher Zeitung » considère que cette brochure
constitue la source d’information la plus importante pour les
citoyens.6 Elle doit être équilibrée, factuelle et neutre et le
Conseil fédéral doit être bref et objectif. Il doit en outre « exposer l’avis
d’importantes minorités ».7
Le Conseil fédéral doit faire preuve de retenue durant la campagne de
votation en tant que telle. Celle-ci a lieu entre groupe d’intérêts sociaux
et politiques :
« La jurisprudence du Tribunal fédéral demande aux autorités de
faire preuve de retenue dans leurs activités d’information avant une votation
parce que la formation de la volonté doit appartenir aux forces sociales et
politiques. »8
Ce « devoir de neutralité »9 des autorités se base sur le
droit des citoyens de former leur opinion et leur volonté librement et sans
influence :
« La garantie des droits politiques protège la libre formation de
l’opinion des citoyens et des citoyennes et l’expression fidèle et sûre de
leur volonté. »10
A ce sujet, le Tribunal fédéral a arrêté ce qui suit :
« La liberté de la formation de l’opinion exclut par principe toute
prise d’influence directe des autorités qui serait de
nature à fausser la libre formation de la volonté des citoyens avant des votations
et des élections […]. Il est en outre condamnable que des autorités
interviennent dans une campagne de votation par une utilisation
disproportionnée de moyens publics. »11
La Neue Zürcher Zeitung commente :
« Ce n’est […] pas la tâche du Conseil fédéral ni de
l’administration trop zélée de ‹mener› directement eux- mêmes des campagnes
de votations. »12
La Confédération contrevient à la liberté de vote
Il fut un temps où les autorités respectaient généralement ces principes
de droit. Mais aujourd’hui, on note de plus en plus d’infractions à ces
dispositions légales et constitutionnelles sur la liberté de vote.
La votation fédérale du 21 mai 2006 relative à de nouveaux articles
constitutionnels sur la formation est un exemple d’infraction à la libre
formation de l’opinion. Lors de cette votation, le Conseil fédéral n’a pas
tenu compte de l’opinion d’importantes minorités. Bien au
contraire ! Au lieu de faire état des arguments critiques de façon
appropriée, il a étalé son avis sur
six pages complètes. Il n’a pas accordé une seule ligne aux
opposants ! Les personnes critiques à l’égard de ces
nouveaux articles sur la formation ont d’emblée été qualifiées «
d’infime minorité »,13 ce qui était dépréciatif.
Mais premièrement, les minorités doivent aussi trou- ver une écoute en
Suisse, deuxièmement, personne ne sait avant une votation qui est minoritaire
et troisièmement, tous les citoyens ont le droit de connaître les
arguments de la partie adverse.
Par son « information » unilatérale concernant les
nouveaux articles sur la formation, le Conseil fédéral a clairement
contrevenu au droit à la libre formation de l’opinion et ceci dans le but
d’inciter les citoyens à adopter l’objet qui leur était soumis. Mais c’est
justement ce qu’il n’a pas le droit de faire :
« Les autorités » ne doivent « intervenir dans les campagnes qu’à
titre exceptionnel […], [Elles ne doivent pas] inciter les citoyens à
accepter un projet soumis à votation. »14
Malgré cette situation juridique claire – confirmée par la Chancellerie
fédérale – le Conseil fédéral intervient de façon réitérée et massive dans
les campagnes de votations et tente, au moyen d’une propagande unilatérale,
d’inciter les citoyens à adopter les projets qui leur sont proposés. Par exemple,
en février 2008 :
« Le 2 février, le ministre de la défense Samuel Schmid a plaidé
pendant cinq minutes à 19h25 au
téléjournal de SF2 contre l’initiative contre le bruit des avions de
combat. Le 5 février, il a fait de même peu après 12h00 à
la radio romande (RSR I). Le même jour, Doris Leuthard, ministre de
l’économie, a plaidé, sur la radio DRS
1, pour la réforme fiscale. […] Il en va ainsi presque sans
interruption depuis le début février ; le Conseiller fédéral socialiste Leuenberger
à la radio DRS contre l’initia- tive contre le bruit des avions de combat, le
Conseiller fédéral radical Merz à la radio tessinoise pour sa réforme fiscale
[…]. Propagande d’État gratuite. Mais il ne saurait
être question ‹d’information complète› dans les interventions des conseillers
fédéraux. […] Ce sont simplement cinq minutes de propagande unilatérale et
sans contradiction. »15
Si des autorités communales ou cantonales manipulaient les citoyens de la
sorte, on pourrait déposer des recours en matière de votation. Mais ce n’est
pas possible au niveau fédéral. Il n’y a pas d’instance judiciaire auprès de
laquelle il soit possible de recourir contre une infraction de la
Confédération à la liberté de vote.
L’exemple de Laufon
L’exemple de Laufon montre que les recours devant le Tribunal fédéral en
matière de votation ont des chances de succès. A l’époque, les habitants de
Laufon devaient dire s’ils étaient d’accord de quitter le Canton de Berne et
de rejoindre le Canton de Bâle-Campagne.
Le gouvernement bernois voulait absolument garder le district de Laufon.
Il a secrètement détourné des fonds et mandaté une agence de publicité pour
faire de la propagande probernoise cachée. Les Laufonnais ont alors voté pour
Berne.
Mais la manipulation de cette votation a été révélée par
la suite. Lorsque les Laufonnais
l’ont apprise, ils se sont indignés et certains
d’entre eux ont déposé un recours en matière de votation. Après une enquête
approfondie, le Tribunal fédéral a constaté que la campagne du gouvernement
bernois avait enfreint la loi et l’a blâmé.
« Un tel comportement d’une autorité […] est indéfendable. »16 Le
Tribunal fédéral a ordonné que la votation ait lieu à nouveau. La seconde
fois, les Laufonnais – sans être influencés – ont voté pour Bâle-Campagne. Le
taux de participation a atteint le record de 93,6 % ! Aujourd’hui, Laufon
fait partie de Bâle-Campagne.
Cet exemple nous donne plusieurs leçons. Il montre clairement que les
autorités ont toujours tendance à étendre leurs prérogatives sans y être
autorisées. Les barrières prévues par la Constitution fédérale et les lois
sont vitales pour la démocratie ; elles doivent donc être maintenues.
L’exemple laufonnais montre que les campagnes de vota- tion menées avec des
techniques de relations publiques sont tout à fait en mesure d’orienter un
vote dans une certaine direction. Et la participation record lors de la
deuxième votation montre clairement que la population n’aime pas que l’on
cherche à la berner. Des campagnes d’influence telles que celles du
gouvernement bernois dans le district de Laufon ne sont pas appréciées.
Elles sont en contradiction avec la démocratie directe.
Le porte-parole du Conseil fédéral avoue la manipulation
Le Conseil fédéral et son administration ont influencé des votations de
façon inadmissible et répétée. Même Achille Casanova, ancien porte-parole du
Conseil fédéral et vice-chancelier de la Confédération, le reconnaît
aujourd’hui :
« Les techniques de ‹spin doctoring› [techniques
manipulatrices] ne sont pas admises dans
la politique de communication officielle ; néanmoins des chargés
de communication des départements fédéraux les utilisent. »17
Casanova ne dévoile toutefois pas que c’était lui-même,
dans sa position influente
de chef du Service médias et porte-parole du Conseil
fédéral, qui a influencé des votations de façon inadmissible.18 C’est lui qui
a utilisé le slogan fatal d’« initiative muselière »19 pour connoter
négativement une initiative qui voulait justement endiguer de telles pratiques
: manipulation sans pareille !20
Annemarie Huber-Hotz, chancelière de la Confédération, a immédiatement
utilisé l’étiquette négative de « muselière » inventée à dessein par M.
Casanova ; les médias l’ont immédiatement répandue.21 Cette manipulation a eu
pour conséquence que de nombreux citoyens ont cru que l’initiative visait à
abolir la brochure fédérale.22 En réalité, elle ne voulait qu’inscrire le
droit en vigueur dans la Constitution fédérale.
Les exemples de manipulations cités, ainsi que de nombreux autres qui le
seront par la suite, montrent que ce livre est nécessaire. Il dévoile des
pratiques manipulatoires, les analyse et propose des contre-mesures.
Judith Barben, extrait du livre « Les Spin Doctors du Palais
fédéral », éd Xénia
PS LHK: Pour des raisons de lourdeur de présentation, les notes
n’ont pas été reprises. Elles correspondent à des sources datées et liens
web.
|