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Chaque fois que le gouvernement
intervient dans un dossier quelconque, que ce soit par une subvention, la
création d'un programme, l'octroi d'un privilège légal,
une incitation fiscale ou une mesure protectionniste, il privilégie
une partie des citoyens qui en bénéficient au détriment
de l'ensemble des autres. Les premiers ont intérêt à se
mobiliser pour obtenir cette faveur de l'État, parce que
l'intervention a un impact important sur leur situation, alors que ça
ne change pas grand-chose pour les autres, qui par conséquent s'y
intéressent peu. C'est cette dynamique de l'intérêt
concentré pour les uns versus l'intérêt dispersé
pour les autres que la théorie des choix publics a expliquée il
y a quelques décennies.
Cela explique que les débats
politiques tendent à dégénérer en dialogue de
sourds entre groupes de pression, chacun tentant de tirer le plus possible la
couverture de son bord sans se soucier de l'intérêt des autres.
Pourquoi se priver d'obtenir un privilège? Dans un système étatiste,
si ce n'est pas l'un qui reçoit une faveur, ce sera un autre. Ou bien
on est un profiteur, ou bien une victime. Aussi bien crier le plus fort
possible pour tenter de l'obtenir.
Le citoyen ordinaire,
celui qui n'est représenté par aucun de ces groupes de pression
en tant que contribuable, travailleur et consommateur (sauf peut-être
par la Ligue des
contribuables) est, lui, systématiquement victime de toutes ces
mesures interventionnistes puisqu'il lui est impossible de s'organiser avec
d'autres pour faire le poids dans des centaines de dossiers distincts
où il n'a pas d'intérêt cruciaux. Aucun citoyen qui n'est
pas directement touché n'aura intérêt à
dépenser efforts et ressources financières pour se mobiliser
spécifiquement contre les subventions à l'exploration
minière, la réglementation dans la construction ou le
système de gestion de l'offre qui rend les oeufs plus chers,
même s'il fait les frais de tous ces programmes. Évidemment,
même les membres de lobbies influents (les agriculteurs ultra
protégés et subventionnés par exemple) finissent pas
être victimes de ce système dans tous les autres aspects de leur
vie.
Surenchère en faveur
d'interventions de l'État
L'un des effets pervers de la
démocratie est donc que nous assistons constamment dans les
débats politiques à une surenchère de prises de position
démagogiques en faveur d'interventions de l'État. En effet,
à droite comme à gauche, presque personne n'a
intérêt à tenir un discours anti-interventionniste. Un
gouvernement attire l'attention des médias et des groupes de pression
non pas en ne faisant rien et en protégeant également les
intérêts de tous, mais plutôt en adoptant des mesures
spécifiques qui plairont à certains et généreront
des manchettes. Les partis d'opposition sont dans la même situation et
poussent le gouvernement à intervenir toujours plus, jusqu'à
l'absurde. Tous cherchent naturellement à acheter des blocs de votes
en promettant mer et monde à chacun de ces groupes de pression. Celui
qui réussit à gagner l'appui du plus grand nombre de groupes
influents obtient le pouvoir.
Il suffit d'ouvrir un journal ou
d'écouter les nouvelles à la télé pour observer
cette dynamique à l'oeuvre. Le 23 avril dernier par exemple, on
apprenait dans La Presse que « Québec refuse d'intervenir » (c'est le
titre de l'article) pour mettre fin au lock-out qui dure depuis un an au Journal
de Québec. Scandale!!! L'opposition accuse le gouvernement
« de baisser les bras et réclame l'intervention du premier
ministre ».
Et pourtant, comme l'a
souligné le ministre du Travail David Whissel, le gouvernement n'a
strictement rien à voir dans un tel conflit de travail.
« On ne peut pas interférer dans un conflit qui est de
nature privée. Il n'y a rien qui commande à l'Assemblée
nationale d'agir par législation ou par une loi spéciale pour
mettre fin à ce conflit », explique-t-il. Sauf que demander
une intervention permet aux partis d'opposition de faire la nouvelle, de
montrer leur sympathie pour les travailleurs en lock-out (toujours une bonne
chose de s'allier des journalistes) et d'attirer l'attention de tous les résidants
de la région de Québec qui sont touchés par ce conflit.
Le gouvernement a donc l'odieux d'expliquer qu'il n'y a rien à faire,
ce qui lui fait perdre des poids dans ce jeu absurde.
Même chose dans le
dossier de la fermeture de l'usine de Crocs à Saint-Malo. Le
Devoir du 23 avril rapportait que le député
néo-démocrate Thomas Mulcair dénonce l'absence
d'intervention du ministre fédéral du Travail.
« Ça prend une intervention. Le gouvernement doit aussi
jouer un rôle dans l'économie ». La
députée bloquiste Christiane Gagnon déclare de son
côté que « Le gouvernement doit cesser d'être
passif et s'engager dès maintenant à prendre de telles mesures
pour éviter que des choses semblables ne se reproduisent »,
même si encore une fois le gouvernement ne peut rien faire pour
empêcher des transformations économiques inévitables,
à part les retarder par de coûteuses subventions. Des milliers
d'emplois sont pourtant perdus (et créés) dans de nombreuses
petites entreprises tous les jours, ce qui est tout à fait normal et
ne fait réagir personne. Mais les politiciens ne font ces
déclarations qu'en rapport avec des événements qui
touchent suffisamment de gens de manière concentrée pour que ce
soit politiquement rentable d'intervenir.
Des politiciens
populistes, qui n'ont pas encore fait d'alliances avec des groupes
précis, apparaissent bien de temps en temps pour remettre en question
cet ordre des choses et prétendre défendre « le
monde ordinaire » plutôt que les groupes de pression les
plus influents alliés des « vieux partis ». Mais
ils se rendent vite compte qu'il est difficile de marquer des points en
politique si on ne joue pas ce jeu. Dans leur discours, le « monde
ordinaire » se transmue d'ailleurs rapidement en des groupes
sociaux avec des intérêts spécifiques que l'on peut
cibler plus facilement et à qui l'on peut promettre des programmes et
privilèges distincts, les familles avec enfants par exemple.
Un système collectiviste
La démocratie est un
système collectiviste, fondé sur la manipulation
démagogique des masses, qui mène depuis plus d'un siècle
à toujours plus d'interventionnisme étatique. C'est un
système qui mine graduellement la liberté individuelle, au lieu
de le faire tout d'un coup comme les tyrannies autoritaires. Dans une
société libertarienne, les droits et la propriété
des uns et des autres ne seraient pas sujets à un tel marchandage
constant.
Pour changer les
choses, il faut d'abord cesser de se laisser manipuler, décrocher du
cirque politique et médiatique et arrêter de percevoir le monde
comme étant en constant état de crise et nécessitant
l'intervention de l'État. Beaucoup de gens sont pessimistes et
découragés par rapport à l'avenir de leur
société et du monde parce qu'ils se laissent influencer par ce
discours hystérique. La réalité devient bien plus
rationnelle lorsqu'on cesse par exemple d'absorber passivement la propagande
étatiste de masse que sont les nouvelles à la
télé et qu'on prend le contrôle de sa consommation
d'information en choisissant des sources plus nuancées et pertinentes
sur Internet.
En deuxième
lieu, il faut cesser de se faire des illusions sur la démocratie. La
liberté et l'imposition de la volonté de la majorité
sont des notions antinomiques. Sauf dans des situations rares et
exceptionnelles, il est peu probable qu'on fasse avancer la liberté en
jouant le jeu démocratique. Ce système ne se maintient en place
que parce qu'il s'appuie sur une légitimité populaire. Un pas
essentiel vers la libération, quelle que soit la stratégie
utilisée, est de lui refuser cette légitimité.
Ne plus succomber
à la manipulation, ne plus adorer de fausses idoles, contrôler
sa consommation d'information, réfléchir de façon
critique et autonome, et en conséquence de tout cela, améliorer
son hygiène mentale: voilà ce qu'il faut faire avant de penser
pouvoir changer toute la société.
Martin Masse
Le Quebecois Libre
Martin
Masse est né à Joliette en 1965. Il est diplômé de
l'Université McGill en science politique et en études
est-asiatiques. Il a lancé le cybermagazine libertarien Le Québécois Libre en
février 1998. Il a été directeur des publications
à l’Institut économique de Montréal de 2000
à 2007. Il a traduit en 2003 le best-seller international de Johan
Norberg, Plaidoyer pour la
mondialisation capitaliste, publié au Québec par
l'Institut économique de Montréal avec les Éditions
St-Martin et chez Plon en France.
Les vues présentées par l’auteur
sont les siennes et peuvent évoluer sans qu’il soit
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