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C’est un
fait, les libertés d'expression et d'opinion sont de plus en plus réduites
par la multiplication des lois de censure. La loi Pleven par exemple (1972) a
introduit le délit de provocation à la haine et à la
discrimination. La loi Gayssot (1990) a
créé un délit d’opinion sur la Shoah, ce qui est
contradictoire avec le concept même de science, car la science remet en
cause les certitudes précédemment acquises. Quant à la Halde, Haute autorité de lutte contre les
discriminations et pour l’égalité (2004), elle
instaure une véritable police de la pensée. Ce qu'on
demande aux juges français modernes, en définitive, c'est de
punir non un crime, mais un péché.
Le droit ecclésiastique au Moyen
Âge
Le
théologien Pierre Abélard, au XIIe siècle, est le
premier à avoir nettement distingué entre le
péché et le crime. En effet, l’Église demandait
que les candidats aux ordres soient « sine crimine ».
Mais comme tous les hommes sont pécheurs, il fallait bien distinguer
entre « crimen » et
« peccatum ».
Or selon
Abélard, le crime, qui peut être puni par un tribunal
ecclésiastique ou civil, est un acte qui doit être externe et
clairement nuisible pour autrui. Aucune loi ne peut punir un acte interne,
une simple volonté moralement répréhensible ou une
pensée mauvaise. Ainsi, même la simple préparation d'un
crime n'est pas punissable. Il faut qu'au moins ait lieu une tentative,
c'est-à-dire un acte externe, constatable.
Les fautes
internes, qui concernent la volonté seule, ou même les fautes
externes mais non manifestes, relèvent de la conscience et ne justifient
pas l’exclusion du candidat à l’ordination. Tout
péché n’est pas susceptible d’une accusation en
justice, mais seulement celui qui se manifeste par un acte extérieur
et qui cause un trouble grave. Par exemple, la non-exécution d'une
simple promesse, encore que moralement blâmable, n'est pas suffisamment
nuisible pour légitimer l'imposition de sanctions criminelles par un tribunal
et donc une exclusion de l’ordination au sacerdoce.
Les
péchés en pensée et les désirs intérieurs
sont punissables par Dieu seul et relèvent de la conscience, du
rapport avec Dieu, dans le sacrement de pénitence, incluant la
confession. Abélard se fonde sur le fait que Dieu seul connait
directement l’état d'esprit, les motivations et l'âme du
pécheur. Le tribunal ne peut juger qu’à partir
d’indices externes, en cas d’acte grave. Par conséquent,
concluait-il, seuls les preuves matérielles doivent être
examinées par les juges. Le reste appartient à Dieu et au
secret de la confession.
Qu’en est-il aujourd’hui
dans le droit pénal ?
Comme nous
venons de le voir avec Abélard, les hommes ne doivent pas chercher
à punir le péché, mais seulement le crime. Or les lois
de censure opèrent un détournement du droit. Elles installent
une sorte de dimension théologique ou superstitieuse qui fait
régresser le pénal en deçà d'Abélard, dans
un retour au péché délictueux. La Halde,
la loi Gayssot ou la loi Taubira
rétablissent le délit d'opinion, c'est-à-dire la
criminalisation de la parole, qui relève en fait du
péché seulement, comme une parole haineuse ou mensongère.
Ces lois ont
en commun de sanctionner des paroles et non des actes. Mais alors comment
prouver que des personnes ont bien subi un tort ? Qu'est-ce que la
provocation à la haine ? Il s’agit d’un sentiment, comme
l’amour, la joie ou la tristesse. Un sentiment est subjectif,
il ne se voit pas et par conséquent ne se prouve pas. Les
mêmes idées sur différents individus auront des
conséquences différentes. Aucun lien causal entre une
parole et un acte ne peut être démontré. Aucun
caractère intrinsèquement nuisible ne peut être
attribué à un propos.
La justice
n'est donc fondée à se prononcer que sur un acte
extérieur et sur son lien de causalité avec un dommage. Si on
sort de ce cadre juridique, on entre dans la police de la pensée et le
contrôle des esprits.
Sources :
Capucine Pekelman ,
Scandale et vérité dans
la doctrine canonique médiévale (XIIe-XIIIe siècles).
Harold J. Berman, Droit et
révolution. Traduction française Raoul Audouin,
2002.
Philippe Nemo, La France
aveuglée par le socialisme, François Bourin,
2011.
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