| Le chaud alterne au froid, mais tant que la Chambre des représentants n’aura pas voté, rien ne sera certain. Tout en affectant jusqu’aux derniers instant le calme, le monde financier est suspendu à la décision du Congrès américain de relever le plafond de sa dette, ce qui accorderait au gouvernement la permission de poursuivre son accroissement. Or, si l’on en croit le Congressional Budget Office, l’augmentation des dépenses de santé et de retraite n’est pas soutenable, les dépenses militaires étant sanctuarisées. En préservant celles-ci, ce sont les dépenses de sécurité sociale qui doivent être coupées, dont le fonds est le premier investisseur dans la dette américaine ! Une contradiction de plus dans un système qui les accumule. En moins spectaculaire mais tout aussi efficace, le gouvernement japonais continue de creuser sa dette, la première des trois « flèches » du premier ministre ayant consisté en une rallonge budgétaire de 75 milliards d’euros, suivie d’injections monétaires de la Banque du Japon doublant la base monétaire. Deux actions qui indirectement accroissent l’endettement de l’État vis-à-vis des banques nationales, comme c’est par exemple le cas en Italie. Décidément non ! les deux pays les plus endettés de la planète ne donnent pas l’exemple à l’Europe, qui de son côté poursuit sa lente et douloureuse tentative d’enrayer la progression de sa dette, au bord de la récession et au prix d’une crise sociale et politique qui s’approfondit. Sans parvenir à dissocier les dettes publiques des privées, après les avoir transvasées. Dans des contextes qui diffèrent et font oublier qu’il s’agit du même phénomène, le désendettement n’est dans les faits pas encore engagé, puisqu’il s’agit toujours de réduire les déficits publics ! En Europe, les déséquilibres des balances courantes (le solde des flux monétaires) ont été résorbés, mais à quel prix ! Créanciers au sein de l’Eurosystème, les pays en surplus courant le sont devenus via le financement des plans de sauvetage et l’aide financière aux banques espagnoles (fardeau pour une petite partie partagé avec le FMI). Afin de solder ces déséquilibres, d’autres ont été créés, sociaux et politiques, via des dévalorisations internes, aboutissant à l’appréciation de l’euro, contribuant à la chute de la croissance. Il continue d’être improprement mis l’accent sur la dette publique, même si en Europe, la part de la bulle de l’endettement de toutes origines détenue par les banques fait de nouveau l’affiche. Revient à nouveau, à son sujet, le temps des finasseries et les interrogations sur la méthodologie utilisée pour prochainement mesurer leur solidité, ou pour être plus clair dénicher les pertes qui y restent cachées. L’Autorité bancaire européenne et la BCE vont s’y mettre, chacune à leur façon, laissant pour l’instant en suspens l’épineuse question de la qualité des titres de la dette publique dont les banques regorgent : elle était autrefois à zéro risque, qu’en est-il aujourd’hui ? La Commission de Bruxelles apporte son écot à propos de l’autre versant de la même montagne de dette, en proposant de nouvelles modalités de calcul du déficit public – dont serait soustrait le coût des recapitalisations bancaires – ainsi qu’à celui du déficit structurel, aboutissant également à minorer les objectifs de réduction du déficit budgétaire dans un effort destiné à rendre crédible une stratégie de désendettement à haut risque. Au sortir de leur réunion des ministres des finances, on a appris que les désaccords s’amplifient à propos des modalités d’intervention à venir sur les banques. Wolfgang Schäuble, le ministre allemand, vient de repousser l’idée que le Mécanisme européen de stabilité (MES) pourrait y contribuer, pour affirmer que chaque pays doit adopter une législation impliquant prioritairement dans les sauvetages leurs actionnaires et créanciers obligataires junior et senior. Le fil va devoir passer par le chas d’une aiguille ! Il semblerait y être passé aux États-Unis, si l’on en croit les résultats des tests de la Fed, mais il faudrait entrer là aussi dans des méandres méthodologiques, ou plus simplement tenir compte de règles comptables plus accommodantes que celles en vigueur en Europe à propos des produits dérivés, afin de pouvoir véritablement en juger. Parallèlement, la machine à fabriquer de la dette et à relancer l’économie ne peut plus prétendre au même rendement. L’hypothèse que cette dernière reposait sur l’essor des exportations doit être abandonnée devant l’élargissement de la crise aux pays émergés, contrecoup de celle des pays développés. Le système bancaire est pris en tenaille entre la nécessité de diminuer son effet de levier et de renforcer ses capitaux propres, tout en prêtant aux acteurs de l’économie ; il s’en tire en justifiant la diminution du volume du crédit par le fait que l’on ne fait pas boire un âne qui n’a pas soif. Quoi qu’il en soit, le miracle de la titrisation qui permettait de sortir des bilans bancaires les actifs correspondants à des crédits ne se renouvelle pas. La croissance économique ne peut repartir si la consommation reste sous pression en raison de l’austérité budgétaire et du maintien à un haut niveau du chômage, constatation qui n’est pas réservée à l’Europe mais s’observe aussi aux États-Unis. Hier la société occidentale était à deux vitesses, aujourd’hui seule sa frange supérieure poursuit sur son élan, alimentée par une fiscalité injuste, quand elle n’est pas contournée, ainsi que la dynamique malsaine de la rente. Le soufflet des classes moyennes retombe ; les PME en font également les frais : la polarisation atteint le monde des entreprises, de plus en plus sous-traitantes des grandes qui se financent autrement ! La simultanéité des deux phénomènes – bulle d’endettement qui ne parvient pas à être résorbée et relance économique entravée par la diminution du crédit – donne toute la mesure de la crise. Hier, l’Europe était au bord de l’éclatement, à grand-peine contenu ; aujourd’hui le système financier est au bord de l’implosion, ne pouvant résister à un défaut sur la dette américaine dont les conséquences ne sont même pas imaginables. Exprimant sa peur et son incrédulité, un dirigeant de Deutsche Bank vient de prophétiser « il n’y a pas de vie après un défaut » de paiement américain. Si un répit devait encore être trouvé, les deux éléments d’une prochaine crise sont néanmoins réunis : une régulation qui élude l’essentiel, assortie du retour d’un appétit au risque d’ogre afin de préserver les rendements, et, dans le cas des fonds monétaires et de pension, d’honorer leurs engagements. Expression – avec la hausse des taux obligataires qui pourrait brutalement s’accélérer – des contradictions d’un système qui génère sa propre perte. Mais l’illustration sans appel de la faiblesse du système est d’avoir comme point d’appui paradoxal la dette américaine alors que le pays doit affronter son déclin, ne pouvant que le retarder ; avec comme choix de poursuivre ou de stopper son endettement, non sans conséquences désastreuses dans les deux cas, seul le calendrier changeant. Un désendettement inaccessible et une croissance perdue qui supposerait de s’endetter : il n’y a pas plus forte condamnation possible d’un système qui ne retrouve pas son équilibre tout en continuant à produire l’inégalité, cette fois-ci à plein rendement. Encore bravo ! | |