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Nous y sommes.
Présentés la semaine dernière par le gouvernement, les
contrats de sept heures hebdomadaires pour les allocataires du Revenu de
Solidarité Active (RSA) seront mis à l’essai dès
le mois prochain dans onze départements. Un nouveau dispositif qui
fait voir la face sombre de l'État-providence et trahit au passage une
conception étonnante de la « dignité »
– celle de l'UMP.
Le travail n'est pas une valeur
N'en
déplaise à ses artisans, cette mesure ne rendra pas leur
dignité aux bénéficiaires du RSA. En effet, les sept
heures de travail hebdomadaires imposées aux allocataires sans emploi
ne leur rapportent approximativement que 130 euros par mois, contre les 410
euros garantis par le RSA-socle (dans le cas d'une personne
célibataire sans enfant). Il est évident qu'on ne peut rendre
sa dignité à quelqu'un en ne lui permettant de
« mériter » que le quart de ses revenus. Ce
n'est donc pas le RSA qui complète les revenus du travail, mais les
revenus du travail qui complètent le RSA.
De plus, il ne
suffit pas de travailler pour être digne. Quand bien même ces
contrats uniques d'insertion (CUI) suffiraient pour vivre décemment,
ils mettent en relief la dépendance des bénéficiaires
vis-à-vis de la collectivité, les CUI étant pris en
charge à 95% par l'État et les régions.
Ce qui est
insultant, ce n'est donc pas cette idée – à
première vue raisonnable, mais finalement contestable – que le
travail rend digne. Ce qui est insultant, c'est que le gouvernement
prétende ménager l'amour-propre des laissés-pour-compte
par des moyens qui, précisément, confirment
l'impossibilité où se trouvent certaines personnes d'assurer
elles-mêmes la satisfaction de leurs propres besoins.
Dès
lors, si c'est de dignité que l'on parle, il faut bien comprendre que
la ligne de partage ne passe pas entre ceux, d'une part, qui reçoivent
de l'argent sans rien faire et ceux, d'autre part, qui gagnent cet argent par
leur travail. La ligne de partage passe plutôt entre les revenus ayant
pour origine un échange libre et ceux nés d'un échange
contraint, autrement dit d'une obligation. Qu'y-a-t-il de commun entre la
serveuse que l'on paie pour servir les clients et l'allocataire du RSA auquel
on trouve quelque chose à faire pour mériter son allocation et,
accessoirement, contenter ces contribuables qui ont l'illusion que leur
argent est bien utilisé pourvu que les
« assistés » suent un peu ?
Marché et estime de soi
Ce que
l'ensemble de la classe politique française refuse d'admettre, c'est
que le marché seul, soit la libre confrontation de l'offre et de la
demande, peut donner aux gens cette dignité dont l'État se
croit le gardien. Car malgré tous les efforts faits dans ce sens,
l'allocataire reste, de fait, une espèce de mendiant... à cette
différence près qu'il ne communique plus directement avec ses bienfaiteurs
et que ces derniers donnent non parce qu'ils le veulent, mais parce qu'ils y
sont contraints par la loi. Personne pour dénoncer la destruction du
lien social et la « désincrustation de la
solidarité » (Pierre Rosanvallon) ?
D'aucuns
rétorqueront que dans un contexte de chômage de masse, le
contrat de travail est l'expression non d'un échange mais d'une
contrainte. Reste que dans de telles conditions, le salaire est la
contrepartie d'un travail, et non l'inverse. De plus, mieux vaut une
pseudo-contrainte engendrée spontanément par le marché
que deux contraintes réelles (l'une imposée aux contribuables
via l'impôt, l'autre aux chômeurs par le biais des
« contreparties ») créées par
l'État – au demeurant responsable du chômage de masse
évoqué plus haut.
Par ailleurs,
le travail demandé à notre serveuse – pour reprendre cet
exemple – répond aux besoins réels d'une entreprise
prête à payer pour les satisfaire, tandis que les CUI de sept
heures créés par le gouvernement ne répondent que
partiellement, voire pas du tout, aux besoins réels de
l'économie (d'où le financement public) et s'inscrivent avant
tout, de l'aveu même de leurs défenseurs, dans une
démarche « pédagogique » vis-à-vis des
plus défavorisés. À quand l'obligation de compter les
feuilles des arbres pour « mériter ses
allocations », « apprécier la valeur de
l'argent » et « comprendre ce que travailler veut
dire » ?
Vous l'aurez
compris, malgré le ton guerrier de ses déclarations et la
situation désastreuse des finances publiques, Nicolas Sarkozy
n'envisage pas d'en finir avec l'État-providence, tout simplement
parce que, dans son esprit, « remettre la France au
travail » et « rendre aux gens leur
dignité » n'a jamais impliqué de rupture avec la
tradition interventionniste de l'État. Et il ne saurait en être
question aussi longtemps que l'UMP ne comprendra pas que ce n'est pas le
travail en soi qui rend digne, mais l'échange et le sentiment de ne
devoir qu'à soi-même et au consentement d'autrui ce que l'on
possède.
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