Je ne voulais pas laisser filer
la journée sans dire quelques mots de la hausse significative de l’or survenue
ces derniers jours, qui l’a porté juste en-dessous de 1.300 dollars. La
position double quant aux taux d’intérêt de la Banque du Japon (qui a décidé
de ne rien changer) et de la Réserve fédérale (qui continue de se montrer
conciliante) a certainement joué un rôle dans la récente faiblesse du dollar
et la force de l’or. Mais ces déterminants ne sont, de mon humble avis, qu’une
partie de l’histoire. Les quelques points de pourcentage perdus par le dollar
face au yen ne sont pas suffisants pour justifier une hausse de près de 60
dollars du prix de l’or en seulement cinq journées ouvrables. Le plus gros
déterminant a été le soutènement du prix de l’or par Shanghai à deux reprises
au cours de la semaine dernière, après que son prix a chuté sur le marché de
New York.
Ayant eu lieu au cours des
sessions du fixing du prix de l’or de Shanghai, les deux renversements du
prix établi par New York – qui ont tous deux eu lieu au cours de la semaine
dernière – ont transmis un message clair aux négociants du monde : la
Chine représentera désormais une présence formidable sur le marché de l’or.
Sa mission première demeure l’importation d’or physique depuis toutes les
sources possibles. Plus important encore, ce qui a été révélé par son inactivité
en ces deux occasions est sa volonté de faire grimper le prix de l’or afin de
pouvoir se procurer du métal. Jusqu’alors, les analystes et négociants estimaient
que la Chine serait heureuse de pouvoir s’aligner à New York et à Londres,
malgré l’introduction de son propre mécanisme de découverte de prix, et qu’elle
poursuivrait ses achats d’or de la même manière que par le passé. Ce paradigme
a été démenti la semaine dernière. Bienvenue dans le nouveau paradigme de l’or.
J’aurais du mal à qualifier les
achats de la Chine d’intervention, mais en termes de la manière dont le
marché a interprété le fixing chinois des 25 et 27 avril, ils ont eu le même
impact que des interventions, à la fois psychologiquement et matériellement.
Le négoce qui a eu lieu les jours suivants à Londres et New York a eu des
airs de couverture de positions à découvert – une réaction directe face à une
transformation soudaine du sentiment sur le marché. A l’épicentre de ce
changement se trouve le fixing de l’or de Shanghai.
Si la Chine s’avérait être un
acheteur agressif au travers de son fixing du prix de l’or, les négociants
papiers devraient le prendre en compte, sans quoi ils risqueraient de devoir
effectuer des livraisons sur le Comex ou lors du fixing du prix de l’or de
Londres. La position de Shanghai pourrait suffire à freiner l’élan des
joueurs à découvert sur le marché. D’autres participants, tels que les fonds
de couverture ou d’investissement, pourraient se pencher sur l’architecture
du marché de l’or et décider de s’aligner à la Chine et au rôle stratégique
de son nouveau mécanisme de découverte de prix.
Pour établir des fondations
solides sous cette idée, voyons ce que nous a récemment dit le gouverneur de
la Banque populaire de Chine, Zhou Xiaochuan : « A l’heure
actuelle, jusqu’à 12 trillions de yuans sont conservés sur les comptes
épargnes domestiques de nos résidents. Le lancement d’investissements
individuels sur l’or permettra ainsi aux résidents de passer d’actifs liés
aux devises à des actifs liés à l’or. Au niveau macro, il élargira les
possibilités de passer d’épargne à investissements, ajustant ainsi la masse
monétaire. D’un point de vue micro, permettre aux citoyens de négocier et de
conserver de l’or peut améliorer le bien-être social et bénéficier à la fois
au pays et à la population. En plus de cela, avec le double attribut de
matière première et de devise, l’or est un instrument de couverture
désirable. C’est pourquoi il est pratique de développer le négoce de l’or à l’échelle
individuelle. »
Avec ces paroles à l’esprit,
revenons-en à la notion de faiblesse du dollar et aux décisions respectives
de la Banque du Japon et de la Fed. Souvenez-vous des rapports publiés il y a
quelques semaines, selon lesquels un accord secret aurait été passé par le
G20 afin d’organiser une dévaluation du dollar. La situation laisse de plus
en plus supposer qu’un tel accord ait véritablement été passé. Si c’était le
cas, cela expliquerait également le caractère conciliant de la Fed ces
dernières semaines. Un tel accord donnerait également un élan supplémentaire
à la demande en or de la part de tous les investisseurs confondus – privés,
publics et constitutionnels. N’oublions pas que les Etats-Unis sont le
troisième plus gros acheteur d’or après la Chine et l’Inde. Worth Wray,
économiste en chef et stratégiste chez STA Management, estime qu’un accord de
ce type « changerait la donne » sur le marché.
A l’époque où les rumeurs
concernant cet accord ont été révélées, nous avons suggéré que « les
accords internationaux les plus importants sont rarement annulés sur le court
terme, dans la mesure où ils sont généralement inspirés par les inquiétudes
de certains de leurs signataires. Pour apporter davantage de crédence à ces
rumeurs, n’oublions pas que la Fed a mentionné son inquiétude quant aux
marchés émergents dans sa déclaration qui a fait suite à sa réunion de la
semaine dernière. Parce que ces rumeurs n’ont émergé que le weekend dernier,
le marché n’a certainement pas encore eu l’occasion de réagir. »
Je continue de croire que nous n’en
avons pas encore entièrement subi l’impact. Au vu de la stratégie d’acquisition
agressive de Shanghai, je suis d’avis que nous ayons fait un premier pas dans
une nouvelle ère des marchés de l’or et de l’argent. Par le passé, la demande
physique manquait souvent d’être traduite par les prix. L’heure du
resserrement de l’écart entre cause et effet est peut-être enfin arrivée.