Mes chères contrariées, mes chers contrariens,
Vous savez à quel point je regarde avec consternation et un
amusement non dissimulé le comportement de nos « zinvestisseurs animant Monsieur le
Marché ».
Aujourd'hui, j'ai encore vécu un beau et grand moment de
Bourse.
En réalité, je pense que je me suis trompé. La
crise doit être finie. Je vous dois donc des excuses (ironiques, bien
entendu).
Nous avons dû rater, au Contrarien
Matin, le remboursement intégral des dettes d'État ainsi que le
retour d'une croissance économique forte partout dans le monde.
Nous n'avons pas su voir le chômage baisser, ni les entreprises
embaucher à tour de bras.
Nous n'avons pas voulu croire que la Chine allait
particulièrement bien et que le Parti Communiste minorait
volontairement les statistiques de la croissance de son PIB afin de ne pas
affoler son concurrent et compétiteur américain.
Nous n'avons pas su croire dans la capacité des marchés
financiers à n'aller que dans un sens, celui de la hausse (surtout
pour les USA).
Nous avons cru que le marché était libre, non
faussé et non manipulé. Nous avons eu tord.
Cela dit, et pour être plus sérieux, il y a deux grandes
menaces qui pèsent sur l'économie mondiale. Il y en a plein
d'autres, mais nous allons nous attarder aujourd'hui sur l'Europe bien
sûr, et ses désaccords politiques qui paraissent de jour en jour
de plus en plus insurmontables, puis au mythe du retour de la croissance
américaine basée sur un chômage en baisse et un
marché immobilier... qui serait en train de se redresser.
Revenons brièvement à la bourse de Paris. C'était
un grand moment ! Il ne me manquait que la voie inénarrable d'un
Jean-Pierre Gaillard pour partager cette ambiance de liesse collective (c'est
vraiment le meilleur pour communiquer cette joie intense des marchés
haussiers !!).
Alors le marché parisien a fini en hausse de 2,36 %. Ce n'est
tout de même pas rien, repassant le seuil symbolique des 3 500 points
selon les formules « con-sacrées ».
Mais rassurez-vous, il y avait évidemment des raisons à
cette hausse. C'est d'ailleurs là que ça devient franchement
drôle, surtout avec les dépêches AFP. J'adore les
dépêches AFP : moi, ça me fait rire – je sais,
j'ai un humour un peu étrange, beaucoup de gens
préfèrent Bigard et ses histoires de slips ; moi, ce qui
me fait rire dans la vie, ce sont les dépêches AFP.
L'AFP titre
donc « Le CAC 40 termine en hausse de plus de 2 %, porté
par des espoirs sur l'Espagne »
Hé oui, il y a de l'espoir sur le front espagnol. Voilà
une nouvelle qu'elle est bonne.
« La Bourse de Paris a gagné plus de 2 % mardi,
portée par une information de presse selon laquelle Berlin serait
désormais prête à ce que le Mécanisme
européen de stabilité accorde un prêt à l'Espagne. »
Avez-vous remarqué que depuis que les élections
américaines approchent – le 6 novembre, c'est bientôt et
pour que les gens y croient, il faut disons 5 mois de bonnes nouvelles
– les choses vont tellement mieux que bien.
Depuis le mois de juillet, l'Europe est sauvée par Mario Draghi et son super-pouvoir de
super-héros imprimeur de monnaie. Il n'imprime jamais rien (ou presque
depuis cinq mois) mais il dit qu'il le fera.
A chaque fois que l'on pense ou qu'une rumeur dit que l'Espagne va
être sauvée, les marchés reprennent le chemin de la
hausse. Les « zinvestisseurs »
achètent. De là à dire qu'ils sont
« zinzins »...
L'AFP, pour qui informer le public est un devoir, nous explique
quelques lignes après que « selon l'agence
financière Bloomberg, l'Allemagne serait prête à ce que
le fonds de secours européen accorde une ligne de crédit [crédit européen de
précaution, ndlr] à l'Espagne et pas seulement à ses
banques ».
Basiquement, il me reste comme une
impression de déjà-vu. Depuis cinq mois, on sauve l'Espagne
toutes les semaines. C'est extraordinaire. Le plus drôle, c'est que
chaque semaine, tout le monde fait mine d'être confronté
à une nouveauté hors du commun.
Là où les choses deviennent hilarantes, c'est lorsque,
toujours dans la même dépêche, notre AFP nationale nous
apprend que « cette information a été
démentie depuis, mais le marché reste optimiste car il estime
que les choses bougent et espère qu'elles vont se clarifier lors du
prochain conseil européen » des 18-19 octobre.
Et là, normalement, on va vous expliquer que l'ensemble des
grands mamamouchis, réunis en séance plénière
(à vos frais bien sûr), ont réussi une fois de plus
à sauver le monde entier grâce à leur infinie sagesse et
leur clairvoyance ultralucide.
Au passage, tout le monde a oublié que le ministre allemand des
Finances, Wolfgang Schäuble, avait à
plusieurs reprises estimé que Madrid n'avait pas besoin d'un plan
d'aide car son économie était suffisamment solide – ce
qui est une façon polie, vu l'état de l'économie
espagnole, de dire que l'Allemagne n'a juste absolument pas l'intention de
payer pour les fiers ibères. Mais ce n'est pas grave, on pourra encore
me dire que je suis pessimiste...
Quelques minutes après, autre dépêche de notre AFP
nationale qui nous indique que :
Euro-obligations
: Berlin et Paris campent sur leurs positions
Le désaccord franco-allemand sur les euro-obligations a
été ravivé mardi, Paris et Berlin campant fermement sur
leurs positions avant un sommet européen qui doit étudier la
proposition remise sur la table par le président de l'UE Herman Van Rompuy.
Côté allemand, la position est la
suivante :
« Vous pouvez le tourner comme vous le voulez : qu'on
appelle ça des +eurobills+, des +fonds de
rédemption de la dette+ ou comme auparavant des +euro-obligations+, ce
type d'émission de dette commune ne pourra se faire avec notre
gouvernement », a prévenu le ministre
délégué aux Affaires européennes allemand,
Michael Link, en marge d'une réunion ministérielle à
Luxembourg.
« Nous l'avons toujours dit de manière très
claire à nos partenaires européens », a-t-il
rappelé.
Côté français, la position
est celle-ci :
« Eh bien nous, c'est oui, tout aussi
clairement », a réagi son homologue français Bernard
Cazeneuve.
« L'ambiguïté n'est pas bonne pour la relation
franco-allemande », a-t-il estimé, ajoutant que « les
compromis entre la France et l'Allemagne ne sont jamais aussi forts que quand
la France et l'Allemagne se parlent franchement ».
« Proposer des choses (...) qui pour certains ne sont pas
acceptables ne fait que conduire à un sommet qui donnera à
nouveau une impression de division », a-t-il prévenu.
Bref, les pays totalement ruinés comme la France (et, dans une
moindre mesure, comme l'Espagne, puisque tout va bien là-bas
d'après les marchés) veulent se servir dans les poches des pays
riches. Il n’y en a qu'un ayant les poches assez profondes, c'est
évidemment l'Allemagne. Bon, côté allemand, le fait de se
faire faire les poches par les pickpockets voisins n'est pas vécu
comme un moment très agréable. Du coup, Merkel
et sa bande protègent le grisbi et sortent les crocs...
Mais nous faisons semblant de croire toutes les semaines que nous
sommes totalement d'accord. Il reste une réalité.
Les Européens ne sont d'accord sur rien. D'ailleurs, nous avons
rarement été d'accord sur quelque chose, ce qui donne des
« structures » européennes complètement
schizophrènes et kafkaïennes à l'image de la
complexité des compromis entre plus de 27 nations.
La seule avancée de l'Europe aura été simplement
de tenter de mettre sous le tapis ses divergences et une sourdine sur les
désaccords, afin de ne pas « inquiéter »
inutilement les marchés à la veille de la
réélection programmée de Barack Obama (qui, depuis
quelques jours, semble battre de l'aile).
Voilà qui va nous amener à traverser l'Atlantique pour
regarder ce qui se passe chez notre allié américain.
90 % des propriétés
saisies détenus hors du marché
Vous avez bien sûr entendu que tout se redresse aux États-Unis,
surtout le marché immobilier qui donne des signes de reprise. Quelle
bonne nouvelle à quelques semaines de l'élection présidentielle.
C'est tellement extraordinaire.
Là aussi, on a oublié un peu comment se sont
passées les choses depuis un an. D'abord, il y a eu le scandale des
saisies immobilières totalement illégales, avec des banques qui
ont scrupuleusement ignoré la législation, et qui ont
été mises à l'amende (négociée) par les
autorités de contrôle.
Bref, pendant un an, les banques américaines ont dû faire
profil bas. Pas trop de vagues et faire oublier leurs bêtises.
Conséquence : pendant plus d'un an, les saisies
immobilières ont été plus ou moins volontairement
gelées. Pour celles qui ont quand même eu lieu, les stocks de
maisons saisies augmentent significativement dans les comptes des banques...
Ce phénomène de rétention devient tellement
préoccupant que la FED a dû lancer justement le désormais
célèbre QE3, où elle va racheter pour 40 milliards de
dollars par mois aux banques les créances douteuses
immobilières.
L'objectif de la FED est d'éviter à tout prix que le
système financier ne vacille à nouveau sous le poids de ce
stock de maisons dont la valeur est artificiellement maintenue... en ne les
mettant pas sur le marché.
Si les banques devaient vendre les biens saisis pour des besoins de
liquidité, l'afflux massif de maisons à vendre ferait
s'effondrer à nouveau et dramatiquement le prix de l'immobilier aux
États-Unis.
Vous l'aurez compris, aux USA, le marché immobilier reste
fondamentalement en crise, et c’est la FED et les banques qui faussent
complètement les données afin de créer une illusion de
reprise.
Mais il ne faut pas s'y tromper, cela reste une illusion,
financée grâce à de la fausse monnaie imprimée
sans contrepartie de véritable création de richesse.
Du côté de l'emploi, les choses ne sont guère plus
honnêtes. Sans explication, des dizaines de milliers de personnes
disparaissent purement et simplement de la population active. Evidemment, ces
personnes recherchaient du travail. Désormais, statistiquement, elles
n'existent plus.
Vous pouvez rajouter à ça que toutes les
catégories de chômage ne baissent pas. En réalité,
il n'y a qu'une catégorie qui baisse, celle qui est communiquée
au grand public par les médias.
Tous les chiffres sont disponibles sur le site du BLS
américain.
Là aussi, l'idée est de dire, à quelques mois ou
semaines de l'élection, que décidemment cet Obama est un
président génial qui a su relancer la croissance...
Il se pourrait fort que les lendemains d'élection aux
États-Unis soient difficiles à vivre pour le monde entier.
Préparez-vous à un mois de novembre difficile. Le mois
d'octobre, lui, devrait rester sous contrôle... jusqu'au 6 novembre !!
En somme, c'est un peu comme la drôle de
guerre. On attend.
Charles SANNAT
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