L’endettement public en Europe auquel il faut
ajouter les dépenses faramineuses nécessaires pour soutenir les
partenaires en détresse de la zone Euro et une administration publique
pléthorique pousse nombre de commentateurs à critiquer, avec
raison, le système actuellement en place, régi par la Banque centrale
européenne (BCE). Cependant, l’alternative proposée n’est
pas meilleure que la situation actuelle.
L’alternative, proposée aussi bien à
gauche qu’à droite de l’échiquier politique
français, consisterait à redonner à la banque centrale
– qu’elle soit française ou européenne – la
possibilité de financer directement les dépenses de l’État.
Cette solution permettrait à l’État de poursuivre ses
dépenses en toute liberté, sans avoir à se soucier des
intérêts de la dette voire même du remboursement de la
dette puisque une banque centrale n’est rien d’autre que la propriété
de l’État.
Un autre avantage de cette alternative est qu’il
permettrait de contourner le secteur bancaire et financier privés. En
l’absence de créances publiques, le secteur banco-financier
serait limité dans sa capacité à créer du
crédit et à spéculer.
Les partisans de ce financement direct des dépenses
de l’État reconnaissent que le procédé est inflationniste,
mais ils estiment que cette
inflation se traduira par une croissance des exportations et donc de
l’économie. En effet, l’inflation implique
généralement une dépréciation de la valeur de la monnaie
domestique, ce qui se traduit par une baisse des prix des produits
domestiques face à la monnaie étrangère plus stable. Les
produits domestiques deviennent ainsi plus attractifs que leurs concurrents
étrangers. Voilà la compétitivité
retrouvée !
Malheureusement, le financement direct des dépenses
publiques est aussi insoutenable que le financement indirect par le biais du
marché obligataire.
Tout d’abord, le financement direct ne permet pas un
arrêt net de l’endettement public, mais un arrêt temporaire.
Si l’État ne réduit pas en même temps son train de
vie, alors le financement par la banque centrale devra augmenter, ce qui veut
dire que le processus inflationniste se poursuivra à un rythme de plus
en plus rapide.
Au fur et à mesure que les prix augmentent et que
la monnaie domestique se déprécie, il devient plus difficile
d’importer les ressources indisponibles sur le marché
domestique. L’État
se verra alors obligé de les importer avec des devises. Or, les
réserves de devises ne peuvent pas durer longtemps lorsque le processus
inflationniste est continu. Afin de poursuivre l’importation de
ressources étrangères, l’État se verra
obligé de s’endetter en monnaie étrangère forte
dans les marchés internationaux. Une alternative serait de
s’endetter auprès des exportateurs domestiques. Cependant,
ceux-ci ne sont pas dupes et demanderont soit des créances
émises en devise, soit des créances émises en monnaie
locale indexée à
l’inflation. Le tour est joué, la dette revient avec une
hausse significative des taux d’intérêt.
C’est exactement ce qui s’est passé en Argentine,
en Bolivie, au Brésil, au Chili et au Pérou entre les
années 1970 et 1990 et dans une moindre mesure en Europe occidentale
dans les années 1950. Dans tous ces pays, le financement direct de la
dette a débouché sur des processus hyper-inflationnistes avec des
taux d’inflation dépassant largement
les 1000% par an, le tout évidemment couplé d’une dette
publique en nette hausse pour ces pays.
En ce qui concerne le secteur banco-financier, il
n’est pas vrai que son activité de création
monétaire et spéculative s’en verra diminuée. Si
le système des réserves fractionnaires reste en place, rien
n’empêchera les banques d’utiliser les dépôts
à vue des clients comme base d’expansion du crédit. En
outre, les besoins éventuels de l’État à se
fournir en devises donneront au secteur financier une puissante incitation
à spéculer sur les créances publiques.
Finalement, la croissance des exportations sera éphémère.
S’il est vrai que dans un premier moment, les exportations augmentent
suite à la dépréciation de la monnaie domestique, dans
un deuxième temps, la dépréciation sera tellement forte
que les recettes des exportateurs ne seront plus très
élevées. Autrement dit, l’augmentation de la
quantité des exportations n’arrivera plus à compenser la
baisse du prix de ces mêmes exportations. Et gardons à
l’esprit que les exportateurs auront aussi besoin de devises pour
importer les ressources étrangères qui leur sont
nécessaires au maintien ou
à l’amélioration de leur structure productive. Or, comme
ces ressources sont tarifées en monnaie étrangère forte,
les coûts des exportateurs augmentent nettement plus vite et rognent leurs
gains inflationnistes.
En conclusion, le financement direct des dépenses
publiques entraîne une nette hausse des prix de biens et services, un
endettement en monnaie forte ou à des taux indexés sur l’inflation
et la corrosion éventuelle des recettes exportatrices. En fait, cette
solution est aussi défaillante que ce que produit aujourd’hui le
système actuel car elle est fondée sur le même
principe : celui de substituer l’inflation à l’épargne
réelle. La vraie alternative est d’ajuster le système
financier aux vraies capacités du système productif et d’inciter
la formation d’épargne réelle. Toute autre alternative n’est
que pure illusion.
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