Par Ambrose Evans-Pritchard
The Telegraph, Londres
Lundi 21 octobre 2013
L’idée une dissolution de
l’Union Monétaire Européenne commence à se frayer un chemin au sommet de
l’établissement de politique étrangère en France et au cœur même du groupe
des partisans de l’Europe.
Un livre extraordinaire publié
par François Heisbourg intitulé "La Fin du
Rêve Européen" demande à ce que le cancer de l’Europe soit soigné pour
que puisse être sauvée l’Union Européenne avant qu’il ne soit trop tard.
‘Le rêve a laissé place au
cauchemar. Nous devons accepter la réalité. L’Union Européenne est menacée
par l’euro. Les tentatives actuelles de sauver la monnaie unique mettent en
danger l’Union’.
‘Il n’y a rien de pire que d’avoir à confronter les matins
blêmes d’une crise interminable, mais nous ne pourrons pas l’éviter en niant
la réalité, et Dieu sait que nous sommes dans le déni depuis maintenant un certain
temps. Il est le mode opératoire de ceux qui sont en charge des
institutions’.
Viendra un jour où les dirigeants Européens devront
relancer l’euro, mais ce jour ne viendra pas avant qu’ils aient établi les
fondations fédéralistes nécessaires , et uniquement
parmi ceux qui seront prêts à accepter toutes les implications d’une devise
fédérale.
L’appel à un abandon de l’euro
pour le bien de l’Europe est un développement intéressant. Nous en avons déjà
entendu parler de la bouche du parti Allemand anti-euro, mais ses motifs sont
différents. Le livre d’Heisbourg met en question la
doctrine Merkel (largement rhétorique, contredit
par les actions de l’Allemagne) qui voudrait qu’un abandon de l’Union
Monétaire Européenne réveille les vieux démons du XXe siècle.
Oui, une désintégration de l’euro
pourrait avoir des conséquences calamiteuses si les évènements, après des
années de crise, devenaient hors de contrôle – ce qui se passe actuellement –
mais de quel type d’argument s’agit-il ici ? Une telle chose ne pourra
se produire que si on la laisse se produire. Il est temps que quelqu’un,
parmi les élites Européennes, expose ce Quatsch
sentimental pour ce qu’il est.
Le professeur Heisbourg est certainement un insider,
quelqu’un de bien différent de Marine Le Pen, qui est aujourd’hui en tête des
sondages grâce à sa promesse de mettre fin à l’Union Monétaire et de
restaurer le franc.
Produit du Quai d’Osray, il est un fédéraliste Européen ardent et un grand
champion de l’Union Monétaire. Il est aujourd’hui le directeur de l’Institut
International des Etudes Statistiques.
Selon lui, les dirigeants
Européens ont perdu leur sens des priorités et semblent penser que le système
Européen doit être convulsé pour le bien de l’euro, à la manière de ceux qui
pensaient autrefois que le soleil tournait autour de la Terre. ‘Il est
impossible de créer une fédération pour sauver une devise. La monnaie doit
être au service de la structure politique, et non le contraire’.
Bien qu’il aimerait beaucoup
voir l’Europe devenir un super-état fédéral – ce qui pour lui est nécessaire
à l’établissement d’une union monétaire viable – son rêve n’est pour
l’instant que ‘pure fantaisie’.
Les tentatives de créer une
Europe unie ont échoué. Les nations se détachent les unes des autres. Un
référendum proposant une telle concentration de pouvoir ne serait aujourd’hui
plus accepté nulle part. ‘L’intégration a atteint les limites de la
légitimité’, écrit-il. Les intrusions de l’Union Européenne autrefois
tolérées et jugées ‘désagréables’ sont aujourd’hui devenues ‘insupportables’.
En lisant entre les lignes, il
semble avoir été choqué du rôle de l’Allemagne dans la crise Syrienne et de
son refus de transporter des avions (une opération de routine parmi les
membres de l’OTAN) pour aider la France à empêcher un autre ‘massacre
Srebrenica’ à Benghazi, même après qu’une intervention ait été autorisée par
le Conseil de Sécurité des Nations Unies et la Ligue Arabe.
Le très splendide Joschka
Fischer a surnommé la décision de l’Allemagne de s’aligner avec la Chine et
la Russie une ‘erreur scandaleuse’, et a précisé que l’Allemagne pourrait se
réveiller un matin plongée dans une ‘position précaire’ s’il elle continuait
de jouer ce jeu.
Il est possible de trop lire
entre les lignes pour ce qui concerne la crise en Lybie, mais il est clair
que les échanges Franco-Allemands ne se sont pas beaucoup améliorés depuis le
début de la crise Syrienne. Comme l’écrit mon collègue Con Coughlin : la position de défaut de l’Allemagne est
désormais pro-Moscou.
Nous pourrions en conclure –
bien que le professeur Heisbourg n’aille pas si
loin – que l’Allemagne n’est plus l’alliée de la France pour ce qui concerne
la défense et la politique étrangère (ou encore le commerce), et que les
conséquences de cet éloignement pourront être destructrices. L’Union
Européenne semble n’être plus qu’une coquille vide.
Inutile de préciser que le
professeur Heisbourg n’accepte pas l’idée que le
club des cinq de l’Union Monétaire ait sorti la tête de l’eau et que ses
politiques commencent à ‘offrir des résultats’.
Et le quinté en dit
long : Rehn, Dijsselbloem,
Asmussen, Regling, et Hoyer – un Finnois, un Hollandais et trois Allemands. Ne
pouvaient-ils pas trouver au moins un latin ?
Heisbourg parle de ‘cancer en rémission’. La
tentative de contrer la dette par l’austérité fiscale – plutôt que de laisser
le fardeau disparaître avec le temps, à l’Américaine – et ce sans stimulus
monétaire, a été un choix fatal. Les ratios de la dette continuent de grimper
jusqu’au point de ‘rupture non-linéaire.’
En Europe du sud, la dépression
et le chômage ne permettent pas à la stabilité. Les citoyens ont fait preuve
de la patience d’anges en résistant aux réflexes des années 1930, il n’y a
pas encore eu de coup d’Etat ou encore de retour aux années de plomb en
Italie.
Mais rien de tout cela ne peut
être pris pour acquis. Les Etats créditeurs et déficitaires ont une vision très
différente de la crise, qu’Heisbourg compare aux
attitudes post-seconde guerre mondiale. Des trahisons sont suspectées. Les
pires motifs sont imputés, et les légendes circulent. Il les lie à
l’émergence de la théorie Dolchtoss en Allemagne.
L’état actuel des choses
finira par nous mener à des crises en série qui découleront sur
l’effondrement nerveux et la désintégration totale de l’euro, ce qui implique
une parallèle directe avec l’effondrement de l’Union Soviétique, qui a
autrefois pris tout le monde par surprise.
Les dirigeants Européens font
face aux mêmes choix que des généraux en plein combat. Doivent-ils rester et
combattre jusqu’à l’annihilation la plus complète, ou doivent-ils se retirer
et préserver ce qu’il reste de leur armée pour un autre jour, autrement dit
perdre une bataille mais pas forcément la guerre ? Il cite explicitement
le retrait de la France sous Joffre en 1914 dans la Marne, un exploit de
récupération morale que le commandant pensait impossible.
Son idée est un abandon total
de l’euro et un retour à des devises nationales. ‘Soit l’euro existe dans son
intégralité, soit il n’existe pas du tout’. Il rejette l’idée d’une fracture
Nord-Sud proposée par l’ancien chef Allemand du BDI, Hans-Olaf Henkel, qui
supporte un Thaler Germanique et un euro résiduel pour le bloc latin (plus la
France) qui permettrait aux Etats les plus faibles de l’Union de dévaluer et
respecter leur dette.
Cette rupture devrait être
préparée dans le plus grand secret par une poignée d’officiels à Berlin et à
Paris. Elle devrait être établie en l’espace d’un weekend, sur le modèle de
l’abolition du cruzeiro au Brésil en 1944, une tâche effectuée avec une
efficacité militaire.
Il faudrait que soit établie
une alliance Franco-Allemande en vue d’éviter la ‘catastrophe que serait de
voir l’Allemagne mise sur le banc des responsables’. Sur cette base, le
projet de l’Union Européenne pourra tenir debout. Les autres n’auront qu’à
accepter le fait accompli.
Des contrôles de capital
seront imposés. Les banques centrales nationales devront mettre en place des
politiques de QE pour amortir le choc. Les devises flotteront pendant un
temps avant d’être à nouveau liées et redonner naissance au phénomène actuel.
Je préfère personnellement une
autre proposition faite par un groupe de français de l’Observatoire de
l’Europe, qui implique la fixation de nouveaux taux de change jusqu’à ce que
les choses se tassent grâce à une formule qui prendrait en compte les
accumulations d’inflation différentielles et les déséquilibres de balance
commerciale enregistrés depuis la création de l’Union Monétaire.
Sous le projet souverainiste,
les dévaluations/réévaluations seraient fixées grâce à une nouvelle unité de
compte qui reflèterait la moyenne de l’ancien euro (déliée du nouveau
D-mark). La dette publique de chaque Etat serait convertie en une seule nuit
en devise locale (comme ce fut le cas en Argentine), quels que soient les
créditeurs. Mais la dette privée externe serait fixée contre la nouvelle
unité de compte, un compromis qui permettrait de partager les pertes entre
les états les plus forts et les états les plus faibles.
L’idée du professeur Heisbourg d’une nouvelle Union Monétaire et d’une union
fédérale de dix ans me semble pour le moins romantique, un signe qu’il n’a
peut-être pas encore rejoint les rangs des eurosceptiques tels que moi.
Pourquoi les nations historiques
seraient-elles plus enclines à s’abolir dans dix ans plutôt
qu’aujourd’hui ? Comme il le décrit si bien, les soixante années passées
à les lier ont fondamentalement échoué, et des hommes comme Mitterrand et
Kohl qui ont façonné la seconde guerre mondiale ont depuis longtemps quitté
la scène.
Il réalise que le refus des
Français et des Hollandais de l’établissement d’une Constitution Européenne a
marqué un point de non-retour, le moment auquel les citoyens ont décrété
qu’ils n’acceptaient pas la structure de super-état nécessaire au bon
fonctionnement de l’Union Monétaire. Je suis tout à fait d’accord avec lui
sur ce point. Le referendum de 2005 a changé la donne. Mais si c’est bel et
bien le cas, il est également évident que les sentiments anti-fédéralistes
vont plus loin encore que le refus de l’euro, puisqu’en 2005, le projet
semblait fonctionner parfaitement. Il a fallu attendre la crise Grecque en
2010 pour que les gens commencent à comprendre qu’il y avait quelque chose
qui n’allait pas avec l’euro. Et malgré ça, on ne peut clairement parler que d’une
lente épiphanie.
Je ne pense pas qu’Heisbourg puisse se différencier des eurosceptiques en
s’accrochant à sa pureté idéologique. La machine finira par tirer une
canonnade d’épithètes, comme le savent ceux qui en ont déjà fait
l’expérience. Dans tous les cas, ses arguments ne sont pas différents des
nôtres. Bon nombre d’eurosceptiques étaient autrefois pro-Européens, pour
utiliser cette expression irritante. J’en étais un moi-même. C’est pourquoi
j’ai appris les principaux langages de l’Europe (assez mal, je vous
l’accorde, mais pas par manque d’enthousiasme) à la fin des années 1970, et
la raison pour laquelle j’ai étudié en France, en Allemagne et en Italie. Et
puis je suis parti vivre au Texas.
Bernard Connolly est l’homme
qui était en charge des politiques monétaires à la Commission Européenne à
l’époque de Delors, lorsque le projet Européen était mis sur pieds. Il a
résisté aux pressions qui voulaient que les arguments soient modifiés pour en
promouvoir l’agenda. Il pouvait voir que l’aventure de l’Europe se
transformerait en une spirale de la dette, un apartheid économique. C’est
pourquoi il fait partie des premiers eurosceptiques.
Sa conversion (que l’Union
Monétaire appelle certainement une trahison) en dit long. Elle nous en dit
beaucoup sur ce qu’il se passe actuellement au sein des cercles politiques
Français et expose les fissures sous la façade du projet pour l’hégémonie.
Une fois que le Quai d’Orsay commencera à briser le tabou, nous auront
clairement atteint un tournant politique.
Pariez sur une reprise
économique si vous le voulez, mais souvenez-vous d’une chose. L’écart
Nord-Sud qui est à l’origine des problèmes de l’Union Monétaire ne pourra pas
être refermé par un retour à une croissance tolérable, parce qu’il verra
aussi venir le jour où l’Allemagne demandera une hausse des taux d’intérêts.
Les crises se transforment mais ne disparaissent pas. L’Union Monétaire continuera
de mal fonctionner, avec ou sans croissance.
L’idée qu’un nouveau cycle de
croissance économique puisse laisser cette saga infernale appartenir au passé
est une illusion. Le professeur Heisbourg a raison. Les délais ne servent
plus à rien. Il vaudrait mieux que les choses se fassent rapidement.
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