Cette séance photo
concerne ma vie et la personne que je suis. Rien n’est question de fanfare.
— Caitlyn (anciennement
Bruce) Jenner
C’est n’est peut-être qu’une
coïncidence si l’ancien champion olympique de décathlon et visage âgé et
timide des boîtes Wheaties s’est retrouvé en couverture du plus glamour des
magazines américains, assisté par une armée de maquilleurs, de publicitaires,
de couturiers, de concepteurs lumière, d’endocrinologues, d’agents et de directeurs,
menés à la baguette par la commandante photographique suprême, Annie
Liebowitz. Et c’est peut-être aussi une coïncidence si E! Network produit
actuellement une émission de télé-réalité sur le chemin parcouru par le
nouveau chouchou transgenre des Etats-Unis depuis un athlète transpirant,
velu et plein de testostérone jusqu’à une pin-up de couverture de magazines.
Je suppose que la fanfare n’est parfois que la cerise inattendue sur le
gâteau à la crème de la vie.
Voilà qui soulève une
question cruciale : pourquoi est-il si important pour les régisseurs
culturels de notre nation de transmettre l’idée qu’une vie de confusion
sexuelle vaut, en ce monde mieux, que toute autre ? On l’entend partout.
Un jour ne se passe pas sans que le New York Times ne publie un article de
une sur le triomphe de la vie transgenre. Une théorie simpliste pourrait
être, encore une fois, le besoin des individus les plus « avant-garde »
d’épater les bourgeois, d’horrifier et de choquer la classe moyenne (et de la
forcer à reconnaître sa propre morosité pathétique et désolante). Peut-être
la classe moyenne n’a-t-elle pas déjà assez à faire, à se préoccuper d’avoir
à payer 30.000 dollars pour accoucher à l’hôpital ou à travailler 70 heures
par semaine.
La meilleure explication
(qui n’est pas originellement mienne), pourrait être qu’à certains moments de
l’Histoire, quand règne la nouveauté et que les évènements poussent la
société dans une stupeur existentielle, toutes les frontières disparaissent.
Et la sexualité, l’un des moteurs de l’humanité, truffé de toutes sortes de
régulations culturelles, devient le moyen d’expression de notre anxiété
collective face à la dissolution de la société. Il se trouve également que
les Etats-Unis d’aujourd’hui soient à la fois une société extrêmement
pornographiée et exceptionnellement puritaine. Les enfants de douze ans de la
Rome de Caligula n’avaient pas accès à internet pour observer tous les actes
sexuels imaginables. Et les colons de Bay Colony, dans le Massachussetts, n’avaient
pas l’équivalent de la jeune femme (Emma Sulkovitz) qui a traîné un matelas à
travers l’université de Columbia – un mélange de projet artistique et de
protestation politique – pour attirer l’attention sur son affaire de viol
douteuse (qui a été rejetée par la cour administrative de Columbia).
Les tensions entre les
forces d’extrême lascivité et d’extrême puritanisme doivent être intense,
intolérable même, notamment pour les jeunes qui, aussi stable soit notre ère,
sont confrontés à toutes les insécurités en termes de développement sexuel –
comment, en ce monde, devenir un homme ou une femme. Je trouve aussi intéressant
notre désir de parler constamment de sexualité – si tant est que les
bavardages des médias puissent être considérés être une conversation publique
– mais ce toujours de manière circonscrite. Dépassez la pensée
conventionnelle du jour, et vous invitez l’opprobre de la censure… Chose que
je m’apprête à faire désormais.
J’aimerais par exemple
proposer la théorie suivante : l’homosexualité a récemment été promue
comme un mode de vie désirable, puisqu’il permet à ceux qui l’adoptent d’échapper
à une source primaire de tensions pour la vie humaine : les difficiles
relations entre les hommes et les femmes. Ces tensions fleurissent
inévitablement au cours de l’adolescence, et il est aujourd’hui possible de s’en
détacher. Je m’attends à ce que la pensée homosexuelle réfute ma théorie par
l’idée que ce mode de vie est source de tensions et de tourmentes plus
grandes encore, et il se peut que ce soit vrai – mais le comportement d’évitement
invite souvent des complications malheureuses.
J’aimerais également
proposer l’idée que le spectacle de Caitlyn (Bruce) Jenner représente un « pic
du transgendérisme ». Maintenant que les régisseurs culturels nous ont
fait savoir que le modèle suprême de masculinité – un champion olympique – peut
lui-aussi, assez tardivement, devenir un simulacre de féminité, nous n’avons nul
besoin d’aller plus loin. Nous avons atteint la pointe de l’avant-garde, et
sommes sur le point de basculer par-dessus bord.
Ou peut-être est-ce le
résultat du test suprême de la vie : suivre les Kardashian. Après tant d’années
à glisser dans des solutions Clinique Anti-taches et L’Oréal True Match,
notre pauvre Bruce a fini par céder, par se rendre, par adopter la tactique
qui pourrait tenter même le plus décidé des compétiteurs : si vous ne
pouvez pas les vaincre, joignez leurs rangs.
Place maintenant au
châtiment que j’ai invité à moi en osant exprimer une opinion sur le sujet.