La question est provocante, mais elle est d’autant plus
d’actualité que certains partis politiques commencent déjà à l’évoquer en
prévision des élections présidentielles de 2017 (et pas seulement chez les
plus extrêmes). Du reste, force est de constater que la zone Euro est devenu
un gros machin qui semble condamné à faire du sur-place alors même que la
plupart des économies mondiales sont reparties à la hausse, y compris dans
les pays européens qui n’ont pas adhéré à la monnaie unique.
Depuis sa création, l’Euro a toujours cristallisé l’essentiel des
critiques de ceux qui voyaient dans la construction européenne la source de
tous les maux affectant la France. Et depuis 2008, un programme de recherche
est activement mené par un certain nombre d’organismes de réflexion
stratégique et politique, non seulement sur la crise économique et financière
internationale, mais aussi et surtout sur la crise de la zone Euro. L’objet
de ces recherches est double : d’une part savoir si l’Euro peut
continuer à jouer son rôle de monnaie unique pour plusieurs
économies nationales distinctes (et souvent très différentes) ; d’autre part,
s’interroger sur ce qu’il adviendrait en cas de dissolution de
l’Euro, en particulier pour l’économie française.
Une monnaie unique qui a toujours eu du mal à unifier
Le premier défaut que les détracteurs de l’Euro trouvent à la monnaie
unique, c’est qu’elle cherche à regrouper dans un même cadre des économies de
structures très différentes, de niveau de développement inégal, dont les
langues, les cultures et les options politiques diffèrent parfois
considérablement. Pour l’économiste canadien Robert Mundell, “dès le
départ, la zone Euro était loin d’être une zone monétaire optimale“. Et
la légitimité de cette monnaie unique est d’autant plus difficile à assurer en
l’absence de gouvernement économique unifié, les pays membres ayant
choisi de laisser aux seules évolutions du marché le soin de régler les éventuels
problèmes de distorsions de salaires, de prix, de compétitivité ou
d’endettement entre les différentes nations.
Pour Jacques Sapir, auteur d’un ouvrage
sur la pertinence d’une sortie de l’Euro, si la monnaie unique a semblé
fonctionner au début, c’est principalement grâce à l’excédent commercial
allemand qui “créait une illusion d’optique en absorbant les déficits des
autres pays“. Des déficits commerciaux qui, dans le cas de la France
mais aussi de l’Espagne, de l’Italie et de bien d’autres pays “traduisaient
un mouvement profond de désindustrialisation et une perte considérable de
compétitivité par rapport à l’industrie allemande, et que la surévaluation de
l’Euro a encore accélérée“. En clair, l’Euro des débuts était une sorte
d’adaptation et de prolongement du Deutsche Mark, imprégné
des valeurs allemandes et fondé sur la puissance économique (industrielle) du
premier pays européen.
L’ennui, c’est que contrairement à ce qu’avaient imaginé les pères de
l’Euro, les économies de la zone n’ont jamais réussi à s’harmoniser.
Au contraire, grâce au curseur désormais commun de la monnaie unique, la
construction européenne n’a fait qu’accentuer leurs différences, en
particulier pour les pays du sud, incluant la France, dont les systèmes
productifs sont organisés sur un modèle qui n’a rien à avoir avec le célèbre
modèle allemand. “La part de la France dans le marché mondial a ainsi
régressé de 5,1% en 2002 à 3,8% aujourd’hui“, indique Jacques Sapir, “et
sur la dernière décennie, la zone Euro dans son ensemble a subi une
croissance bien plus lente que celle des États-Unis ou de pays européens
n’ayant pas adopté la monnaie unique comme le Royaume-Uni ou la Suède.”
Tous les ingrédients sont donc réunis pour que certains commencent
sérieusement à s’interroger sur les bienfaits de l’Euro, et
surtout à se demander s’il ne serait pas judicieux d’abandonner cette
monnaie artificiellement unique… qui n’a jamais su unifier.
Des conséquences finalement favorables pour la France…
Selon les différents scénarios envisagés par certains groupes de
réflexion, comme la Fondation Res-Publica par exemple, en cas
d’abandon de l’Euro et de retour aux monnaies nationales, certains
États s’en sortiraient mieux que d’autres. Mais une constante apparaît
toutefois : s’il est clair que ce bouleversement pourrait affecter l’économie
allemande de manière plus ou moins négative (on parle d’une baisse du PIB de
1,7% à 4% sur deux ans), la France s’en tirerait en revanche beaucoup
mieux. En effet, quelles que soient les suites économiques résultant
de ces différents scénarios (on dénombre pas moins de neuf trajectoires
possibles !), toutes ont en commun de donner des résultats spectaculaires sur
la croissance française. Et suivant les hypothèses de taux de change retenu
pour l’après Euro, on obtient un écart positif de croissance pour la France
pouvant aller jusqu’à… 11,55 points !
Toujours selon Jacques Sapir, “La hausse du PIB serait en partie
entraînée par l’accroissement des exportations et l’existence d’une balance
commerciale excédentaire. (…) Dans le même temps, il est clair que la baisse
des coûts apparents induirait une dévaluation, en particulier en comparaison
avec l’Allemagne, et entraînerait un mouvement de délocalisation vers la
France ainsi qu’un mouvement de relocalisation en France d’une partie des
activités de sous-traitance. (…) Les produits manufacturés seront ceux dont
les exportations augmenteraient le plus et il semble donc évident que
l’industrie au sens large sera la grande bénéficiaire de cette situation
créée par la sortie de l’Euro et la dévaluation“.
Enfin, si on en croit le rapport sur les conséquences d’un abandon de
l’Euro publié par la Fondation Res-Publica, le Franc Français devrait
au moins retrouver sa position de 1995 avec 2% du total des monnaies
de réserve utilisées tant par les Banques Centrales que par des agents privés
(même si les mouvements sur les taux d’intérêt que l’on constate aujourd’hui
laissent penser que cette part pourrait atteindre 4 à 5%). Certes, tous les
scénarios envisagés montrent qu’une dissolution de la zone Euro
coûterait entre 3 et 5,5 milliards d’euros à l’ensemble du secteur bancaire
français. Mais, en contrepartie, on pourrait assister à l’arrêt du
processus de désindustrialisation de notre pays, ainsi qu’à un véritable
renversement durable en matière de croissance, qui n’aurait plus à être tirée
artificiellement vers le haut par l’État. Une croissance qui progresserait
enfin de manière régulière et autonome, mettant potentiellement un
terme au chômage de masse et à la détérioration continue de notre
système social.
Horizon 2030
Bien sûr, tout ne pourrait ne pourrait pas se faire immédiatement, et les experts
considèrent que le processus devrait prendre plusieurs années pour s’opérer
dans les meilleures conditions, et surtout pour que se développent les
branches industrielles sur lesquelles sera construite la prospérité de la
France à l’horizon 2030. Toutefois, à court et moyen terme, des secteurs
comme l’aérospatial, l’automobile et les systèmes de transport
constitueront les branches dans lesquelles les gains immédiats seront les
plus importants. Au final, pour les auteurs de l’étude sur la dissolution de
l’Euro, le retour au Franc (et surtout sa forte dévaluation) ne changerait
rien aux revenus et aux dépenses réalisés sur le territoire national. Le
pouvoir d’achat dans les biens et services produits sur le territoire ne
serait pas modifié, et la valeur des comptes bancaires ne serait pas
dévaluée comme certains l’affirment.
En revanche, c’est vrai que les produits importés coûteraient plus cher,
mais au total (et dans l’hypothèse d’une indexation des salaires et des
pensions), l’inflation n’excèderait pas 5% la première année et 4% la
deuxième, avant de revenir rapidement à son niveau structurel de 2 à
3% par an.
Le gain en croissance et en emploi serait lui aussi spectaculaire puisque
selon les hypothèses et les options de politique économique retenues, on
obtiendrait une croissance allant de 8% à 21% sur les quatre années
consécutives à la dissolution de l’Euro et à la dévaluation du Franc. En
partant des quelques 3,5 millions de chômeurs actuels de catégorie A, on
arriverait dans le pire des cas à 2,2 millions au bout de la troisième année,
voire 1,2 à 1,5 millions en hypothèse moyenne. Forcément, les
comptes de l’assurance chômage et de l’assurance maladie s’en trouveraient
bouleversés et ne tarderaient pas à redevenir largement positifs. Enfin,
grâce à la dévaluation du Franc notamment, l’industrie française augmenterait
ses exportations, et donc sa production, mais surtout redeviendrait un
secteur très attractif pour les investissements français comme étrangers.
Reste à se convaincre qu’un tel modèle peut exister ailleurs que dans un
exercice d’économie-fiction, aussi complet et argumenté soit-il…