Est-il
admissible pour le gotha des banquiers centraux de s’entendre dire tout
haut ce que tout le monde pense tout bas ? Visiblement non, car les
oreilles de Christine Lagarde, directrice générale du FMI, ont
tinté après qu’elle se soit exprimée à
Jackson Hole, haut-lieu de
l’Université d’été des banques centrales
où elle été invitée au dernier moment à
prononcer un discours.
Considérant
que « nous sommes dans une phase dangereuse », elle a
prodigué des avertissements sans équivoques aux
Européens et aux Américains.
Aux
premiers, elle a vivement recommandé de rendre obligatoire
d’urgence le renforcement des fonds propres de leurs banques, «
clé permettant de couper la chaîne de la contagion ».
Préconisant d’utiliser tous les moyens, privés et
publics, et plus particulièrement le fonds européen de
stabilité financière (FESF).
Aux
seconds, d’amortir une partie importante du principal des prêts
immobiliers en actionnant Fannie Mae et Freddie Mac et de contribuer au
refinancement des crédits immobiliers à des taux plus bas,
expliquant que « l’heure n’était plus aux
demi-mesures et aux atermoiements » alors que les prix des maisons
continuent de baisser, tirant la consommation vers le bas et accroissant
l’incertitude sur l’économie.
Grands
spécialistes du rideau de fumée, surtout lorsqu’il
s’agit de leurs banques qu’ils couvent comme des poules, les
banquiers centraux n’ont pas spécialement apprécié
de s’entendre dire ainsi leur fait et ont vivement
répliqué, d’après les envoyés spéciaux.
Les déclarations de Christine Lagarde seraient « confuses » et « mal
orientées » et ils envisageraient de lui demander de
« clarifier ses propos », car la question-clé
pour les banques est celle de leur approvisionnement en liquidités, et
il faut donc en rester-là. Encore et toujours le même
déni.
Celui-ci
est moins surprenant que les mises en garde prononcées au nom du FMI,
impliquant de s’interroger sur leur signification. L’histoire de La
Grande Perdition a déjà été traversée
de déclarations hétérodoxes proférées par
ceux dont on s’attendait le moins à ce qu’ils les
prononcent. Par exemple de grands argentiers et régulateurs de la
City, Mervyn King ou Lord Turner. Cela a signalé à chaque fois
des moments d’élargissement de la crise et n’est pas
résulté de coups de folie individuels.
Les
autorités des pays développées planchent depuis quelques
jours sur un nouveau sujet et Barack Obama va le premier devoir rendre sa
copie au début du mois prochain. Comment conjuguer la réduction
à long terme des déficits publics avec une relance à
court terme de l’économie ? Avec quels moyens et quels
objectifs ?
C’est
ce moment-là que choisit la Grèce pour déraper à
nouveau sous les projecteurs de La Troïka venue inspecter ses
comptes, menaçant de nouveau à elle seule de faire sombrer
toute la zone euro, elle-même au bord de l’explosion en raison de
ses contradictions internes. « La dynamique de la décision
du 21 juillet a été perdue » rapporte le quotidien
grec To Vima en attribuant ce constat à une
source « proche du dossier ». De fait, les comptes du
pays sont à nouveau sortis de l’épure et le montage
financier de la nouvelle aide de 159 milliards d’euros bat de
l’aile. Les banques ne se précipitant pas pour y participer et
les petits pays européens réclamant des garanties.
Il
faudra un jour expliquer comment la Grèce
– qui contribue si faiblement au PIB de la zone euro – peut
à elle seule en menacer la solidité. Et sans aucun doute doute trouver dans les déclarations de la
directrice générale du FMI à propos des « chaînes
de contagion » que les banques représentent la clé
de la compréhension de cette étrange situation.
Sur
ces entrefaites, Angela Merkel et Barack Obama se
sont concertés samedi dernier par téléphone, et, selon
la Maison Blanche « les deux dirigeants sont tombés
d’accord sur l’importance d’une action concertée,
dont une action à travers le G20, pour affronter les défis
économiques actuels et stimuler la croissance et les créations
d’emploi dans l’économie mondiale ». Mais
aucune indication n’est venue préciser comment cette
pétition de principe allait être mise en œuvre. Car il
s’agit d’opérer une transgression majeure par rapport
à ce qui hier encore était présenté comme
prioritaire : la réduction sans tarder des déficits.
À laquelle les autorités allemandes continuent en Europe de se
cramponner comme à une bouée de sauvetage et les
républicains américains comme à la seule chance que les
États-Unis retrouvent leur prospérité passée.
Cette
volte-face est aussi significative que les déclarations inattendues du
FMI à Jackson Hole, où
l’événement n’a pas été du fait des
banques centrales dont les représentants ont expliqué
qu’elles ne pouvaient pas tout faire, sous-entendu qu’elles ne
savaient plus quoi faire.
Plus
incongrues, mais n’en signifiant pas moins le désarroi qui se
répand, on a vu refleurir en France les déclarations sur les
spéculations financières anglo-saxonnes et le complot des
Américains visant à détourner l’attention sur
l’Europe pour mieux masquer leurs propres difficultés. Plus
discrètement, François Baroin
prononçait l’éloge funèbre de la mesure phare du
dernier sommet Merkel-Sarkozy en reconnaissant que
le dossier de la taxe sur les transactions financières était
vide de tout contenu.
La
conférence de Jackson Hole fera date dans
les livres d’histoire. L’occasion pour les banquiers centraux
d’implicitement déplorer l’incapacité des
dirigeants politiques tout en reconnaissant en même temps qu’ils
n’ont pas les moyens de se substituer à eux. Que reste-t-il
alors à entreprendre, une fois cela admis, sinon de changer de
stratégie. Mais laquelle ? En attendant, la confusion gagne du
terrain.
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