Le grand égalisateur arrive enfin
Le gouvernement allemand a annoncé qu’il
n’interviendrait pas dans le cadre de l’acquisition par le géant chinois de
l’électroménager Midea de la corporation
industrielle high-tech allemande Kuka Robotics Corporation, pour la somme de 5 milliards de
dollars. Midea, qui a promis à de nombreuses
reprises que la société allemande demeurerait indépendante, a acheté 95% des
actions de Kuka, dont l’équipe de direction a
accepté l’accord. Les efforts du gouvernement allemand de trouver un acheteur
plus satisfaisant – lire : européen – n’ont pas porté leurs fruits.
L’accord, qui représente la plus grosse acquisition chinoise en Allemagne,
est sur le point d’être signé.
Avec 3 milliards d’euros de
revenus en 2015, Kuka est une société de grande
importance pour le secteur de la robotique articulée, et notamment des robots
d’assemblage ou de soudage. Ils sont utilisés au travers de l’industrie,
depuis les usines de fabrication d’automobiles jusqu’aux grosses pâtisseries.
Cet accord offre à la Chine des technologies de pointe, et marque un nouveau
pas en avant vers la modernisation de l’industrie manufacturière chinoise.
Les sociétés chinoises ont,
depuis le début de l’année, acheté un certain nombre de fabricants de
robots :
- En
juin, Agic Capital, une société financière
privée sino-européenne, a annoncé l’acquisition de Gimatic,
un fournisseur italien de bras robotiques.
- En
janvier, China National Chemical Corp, le
fonds gouvernemental chinois Guoxin
International Investment Corp, et Agic Capital, ont acheté KraussMaffei,
un autre fabricant allemand de robots industriels, pour la somme d’un
milliard de dollars.
- Cette
année aux Etats-Unis, le fabricant de robots chinois Zhejiang Wanfeng Technology Development Co, a acheté Paslin
Co, un fabricant de robots de ligne d’assemblage basé dans le Michigan.
La Chine développe également
ses propres robots. La production et l’usage de robots ont fait leur
apparition dans son nouveau plan quinquennal. Les gouvernements locaux ont
établi des mesures de soutien, avec par exemple des incitatifs fiscaux ou
immobiliers. Les fonds chinois investissent sur des fabricants de robots tout
autour du monde.
C’est un secteur en pleine
expansion – malgré les troubles économiques actuels.
La Chine, qui il y a quelques
années n’avait pas encore intégré le secteur, représentait déjà 27% du marché
global de robots industriels aux 32 milliards de dollars en 2014, comme le
montrent les chiffres publiés par la Fédération internationale de la
robotique, des chiffres qui ont été cités par le Wall
Street Journal. La très vaste base manufacturière de la Chine représente
le marché le plus vaste du monde pour les robots industriels : en 2015,
les ventes ont augmenté de 15% en Chine, contre 9% en Europe et 11% aux
Etats-Unis.
Les sociétés chinoises font
tout leur possible pour investir de grosses sommes de capital afin
d’automatiser leur chaine de production et dépendre de moins en moins d’une
main d’œuvre « peu chère », dont le coût augmente au fil des mois
et qui deviendra bientôt peu compétitive par rapport à la main d’œuvre
d’autres marchés.
Il
y a un an, un sondage mené par la commission pour l’économie et l’information
de la ville de Kunshan, dans la province de Jiangsu, a déterminé que 600
entreprises industrielles majeures remplaceraient leurs employés humaisn par des robots d’ici cinq ans. A l’époque, selon
le SCMP,
le gouvernement local pensait voir le marché de la robotique et de
l’automation atteindre 80 milliards de yuans (12 milliards de dollars) d’ici
à 2020. La ville soutient ces efforts à l’aide de 2 milliards de yuans (300
millions de dollars) de subventions annuelles. Et ce n’est qu’une seule
ville.
Contrairement à la
main d’œuvre humaine, les robots coûtent le même prix partout
C’est une réalité qui sera
lourde de conséquences. EN adoptant des robots, la Chine n’offre plus d’avantage
de coût par rapport aux Etats-Unis et à l’Europe. Quand les sociétés
chinoises utiliseront des robots pour fabriquer leurs produits, la main
d’œuvre nécessaire deviendra minime, et la différence en termes de coût des
employés deviendra insignifiante.
Les robots sont le grand
égalisateur des temps modernes.
D’autres différences
demeureront, telles que les subventions, les taxes, les règles
environnementales, les coûts et la disponibilité de financements, la solidité
de la devise locale, etc. Mais en automatisant sa chaine de production, la
Chine perdra la force stratégique qui lui a permis de devenir le plus gros
pays manufacturier du monde. Et si elle n’automatisait pas, le secteur
manufacturier, face à la hausse du coût de la main d’œuvre, souffrirait davantage.
Avec un coût du travail
minimisé, le coût des transports gagnera en importance. Ce sera un avantage
pour les produits chinois vendus en Chine, mais un désavantage pour les
produits chinois vendus dans le reste du monde, notamment sur des marchés
lointains tels que ceux de l’Europe ou des Etats-Unis.
Les robots – et
l’automatisation en général – remplacent systématiquement la main d’œuvre
humaine. C’est leur objectif premier, et c’est un problème qui fait souffrir
l’économie des Etats-Unis depuis des décennies. Malgré la croissance de la
production manufacturière avant la crise financière, les emplois
manufacturiers ont poursuivi leur déclin. Depuis la crise financière, la
production manufacturière, bien qu’elle ait fortement augmenté, ne s’en est pas
retournée à son record de 2008. Les emplois manufacturiers n’ont que peu
augmenté, avec 12,3 millions, le même niveau que celui de 1946.
Le graphique suivant nous
montre la production manufacturière des Etats-Unis (indice, ligne bleue,
échelle de droite) par rapport à l’emploi manufacturier (en millions, ligne
rouge, échelle de gauche) de 1972 à juillet 2016 :
Un autre facteur est à prendre
en compte dans le cadre de l’effondrement du nombre d’emplois manufacturiers
aux Etats-Unis la délocalisation vers les pays qui offrent une main d’œuvre
moins chère, comme la Chine.
Mais l’automatisation sera le
grand égalisateur. A mesure que la Chine automatisera ses usines et
remplacera sa main d’œuvre par des ordinateurs et des robots, ses coûts
structurels se rapprocheront de ceux des usines américaines ou du reste du
monde, ce qui découragera les sociétés étrangères à se relocaliser en Chine,
à moins qu’elles ne produisent des biens destinés à être vendus en Chine ou
en Asie.
C’est une tendance qui est
déjà visible. D’où les chiffres manufacturiers décevants publiés par la
Chine. La croissance a pris fin, et la base manufacturière chinoise se trouve
égalisée. Ce n’est pas temporaire. Mais structurel. Tout espoir de voir
l’indice manufacturier PMI présenter des signes de croissance sera vain.
L’ironie ? La situation s’aggravera à mesure que progressera la
robotisation.
En quelques années, la Chine
traversera une robotisation qui a mis trois décennies à se développer aux
Etats-Unis. Elle s’automatisera plus vite que n’importe quel autre pays avant
elle. A tous les niveaux, les gouvernements offriront des subventions. Rien
ne pourra entraver le chemin de la robotisation.
Mais les usines chinoises
nouvellement automatisées devront entrer en compétition avec celles du reste
du monde – et à coûts identiques. Ainsi, la fabrication de produits d’exportation
se détériorera davantage. La fabrication de produits destinés au marché
intérieur grimpera. Les emplois manufacturiers s’effondreront. Et une
dévaluation du yuan, bien que tentante, ne transformera que les marges de
cette équation. C’est ainsi que prendront fin les plusieurs décennies de
miracle manufacturier de la Chine.
Un
phénomène économique intéressant s’est installé aux Etats-Unis. Lisez ceci (en anglais) : This is When the Jobs “Recovery”
Goes KABOOM