J'ai gaspillé une partie
de mon enfance à me tourner les pouces sur les bancs d'école.
Dans ce système d'éducation égalitariste, même si
on avait déjà compris la leçon du jour, on devait attendre
que les trente autres élèves aient eux aussi compris avant que
l'institutrice puisse passer à autre chose. Il fallait tous avancer en
même temps. Le programme pédagogique était
optimalisé pour les élèves les plus lents capables de
passer la note minimale; les quelques-uns qui étaient moins bons
redoublaient, alors que tous les autres devaient apprendre à un rythme
plus lent que ce dont ils étaient capables.
On pouvait évidemment
lire en dehors des classes pour apprendre autre chose plus rapidement. Mais
à dix ans, on n'a pas nécessairement l'ambition d'avoir l'air
plus nerd et différent du groupe qu'il le faut, surtout dans un tel
contexte où ça cause du trouble à l'enseignant et au
reste de la classe. De plus, on oublie facilement à quel point il
était difficile à cette époque pas si lointaine d'avoir
accès à de l'information, n'importe quelle information.
En secondaire 2 par exemple
— vers 1978 —, je m'intéressais à l'astronomie.
J'en avais appris les notions de base dans une encyclopédie antique
que nous avions à la maison. J'avais aussi lu les quelques vieux volumes
de la bibliothèque scolaire dans lesquels on parlait encore de voyages
sur la lune à venir et du télescope
du Mont Palomar (le plus gros au monde après sa mise en service en
1948 et jusqu'en 1975) comme de la référence incontournable
dans le domaine de l'observation astronomique. Cette même année
pourtant, on débutait la construction du télescope spatial
Hubble (qui allait être lancé après plusieurs
délais douze ans plus tard). Impossible évidemment d'en savoir
plus là-dessus, à moins de s'abonner à de coûteux
magazines scientifiques français.
J'ai finalement réussi
à acheter dans une librairie montréalaise, lors de l'excursion
de magasinage d'avant les Fêtes aux Galeries d'Anjou que nous faisions
chaque année, avec mon propre argent de poche, un superbe petit livre
d'introduction aux plus récents développements dans le monde de
l'astronomie, qui a été ma fierté pendant quelques
temps. Mais après l'avoir lu et bien compris, c'était encore
à recommencer. Il en faut de la volonté à cet âge
pour faire progresser ses connaissances quand on doit faire de tels efforts.
Je ne peux que rêver à tout ce que j'aurais pu apprendre de
plus, à un coût presque nul, si j'avais eu accès à
l'Internet.
La disparition des
barrières
Ces barrières presque
insurmontables à l'obtention d'information sont aujourd'hui à
toutes fins utiles disparues. Et nous ne faisons que commencer à vivre
les effets de cette révolution, en particulier en ce qui concerne le
système d'éducation, de loin l'institution étatique qui
a le plus d'influence sur chacun d'entre nous pendant les deux
premières décennies de notre vie. Une influence de plus en plus
néfaste depuis qu'elle sert ouvertement à inculquer non pas le
savoir et la compréhension du monde, mais plutôt la doctrine
égalitariste, socialiste, écologiste, féministe,
tiers-mondiste et multiculturaliste de la secte de bien-pensants qui
contrôle le ministère de l'Éducation et les
facultés d'enseignement.
Dans un monde où la transmission
de l'information est contrôlée par ces élites
étatiques, il est impossible de se soustraire à cette
influence. Mais comme je l'évoquais récemment pour illustrer le
fait que le point de vue de gauche est en voie de devenir
périmé (voir «La gauche
périmée - le contrôle étatique est de moins en
moins possible»), Internet et les nouvelles technologies de
communication sont en train de miner les fondations de ce contrôle.
L'éducation à
distance — ou même chez soi avec un professeur qu'on pourra
télécharger et qui donnera son cours sous la forme d'un
hologramme dans son salon, comme le personnage du Docteur dans Star Trek Voyager — va faire en
sorte qu'on pourra bientôt outrepasser les écoles de
l'État. Ce secteur connaît
une expansion fulgurante à travers le monde, avec des milliers de
programmes différents maintenant offerts par des institutions de
partout sur la planète.
Il est dorénavant
possible de télécharger sur le Web tous les cours
magistraux donnés par le Massachussetts Institute of Technology,
et cela gratuitement! Chacun peut donc théoriquement suivre les
mêmes cours qu'un étudiant qui paie 35 000 $ par année
pour y assister en personne. Et ça ne se limite pas à la
formation universitaire. Les parents qui choisissent l'enseignement à
la maison ont maintenant accès à une grande quantité de
ressources sur Internet. Des programmes d'enseignement complets, du primaire
à l'université, seront bientôt disponibles et accessibles
partout dans le monde.
Évidemment, ces
programmes virtuels sont souvent offerts par d'autres institutions
étatiques, mais la concurrence mondiale change totalement la
dynamique. On n'est plus limité à l'école du quartier ou
à l'université de la plus proche ville. Il devient possible de
comparer et de choisir les programmes les meilleurs, les plus pertinents et
les moins corrompus par les multiples idéologies collectivistes
à la mode. Cette concurrence détruit le pouvoir des
élites.
D'ailleurs, maintenant qu'on
peut s'éduquer tout seul le plus simplement du monde sur tous les
sujets imaginables grâce à l'Internet, la valeur d'une
éducation formelle en institution n'est-elle pas en train de diminuer
graduellement? Si j'avais aujourd'hui 18 ans, je ne perdrais certainement pas
les quelques années à venir de ma vie sur les bancs d'une
université montréalaise. J'ai eu la présence d'esprit,
il y a vingt ans, d'abandonner rapidement une maîtrise (et possiblement
un doctorat plus tard) en science politique à l'Université de
Montréal. Ça m'a évité un endettement encore plus
grand et des années de niaisage avec des profs conventionnels,
totalement ignorants de la philosophie autrichienne par exemple.
Aujourd'hui, c'est le
baccalauréat qui sauterait aussi, même si j'ai
apprécié mes trois années à McGill. En sciences
humaines en particulier, il n'y a aucune raison de suivre des cours formels
avec un professeur. Je m'arrangerais pour travailler à temps partiel
et pour m'éduquer à partir des sites de l'Institut Ludwig von Mises et d'autres
organisations pertinentes. Faire reconnaître mes compétences et
connaissances serait sans doute un défi, puisque les diplômes
traditionnels ont encore une valeur sur le marché du travail, mais un
défi qui vaut bien d'éviter des années de perte de
temps. Plus il y aura de jeunes dynamiques et intelligents qui prendront
cette voie, plus vite le marché s'adaptera.
Éviter l'embrigadement
Ce nouveau système
mondialisé et concurrentiel d'éducation et de formation
permettra de contourner un autre problème d'embrigadement collectif
qui est en voie de prendre des proportions grandissantes. De la même
façon que la nationalisation du système de santé
justifie aujourd'hui toutes sortes d'interventions de l'État dans nos
vies, sous prétexte que c'est «la collectivité» qui
paie pour nos soins de santé (voir «À qui appartient
notre corps?»), l'éducation publique est en train de devenir
une autre façon d'asservir les citoyens.
Il y a deux semaines par exemple,
on débattait à l'émission Il va y avoir du sport à
Télé-Québec de la nécessité de garder les
jeunes au Québec après la fin de leurs études. Voici comment
on présentait le problème:
Le Québec perd de
nombreux jeunes diplômés au profit de Toronto ou encore de
grandes villes américaines. Ils quittent souvent pour des salaires
plus élevés et des conditions de travail plus
alléchantes. On peut bien entendu comprendre la force d'attraction que
peut exercer la Californie et New-York pour des jeunes qui sortent de
l'université. Mais quand on sait qu'un étudiant en
médecine coûte au moins 20 000$ par année à
l'État québécois et même plus avec une spécialité
en poche, il y a lieu de s'inquiéter du phénomène. Que
ce soit pour un médecin ou pour un informaticien, la formation est un
investissement de société et le déficit est grand quand
un jeune part sans même donner une seule année de travail. Que
faire pour garder nos jeunes diplômés au Québec ? Leur
demander de rembourser leurs études est-il un bon incitatif ?
Selon cette logique, les jeunes
ne vont plus à l'école pour eux-mêmes, pour se former et
investir dans leur avenir. Parce que c'est encore une fois «la
collectivité» qui paie, l'éducation est plutôt
devenue un «investissement de société».
Aujourd'hui, on débat de la pertinence de faire rembourser ses
études universitaires à un jeune médecin qui veut aller
pratiquer ailleurs. Mais imaginez le gigantesque investissement que constitue
l'éducation d'un bambin qui entre à deux ans dans un Centre de
la petite enfance subventionné et qui restera dans le réseau
public pendant deux décennies. Débattrons-nous bientôt de
la nécessité de faire rembourser toute cette éducation à
tout jeune adulte qui voudra quitter le Québec sans avoir passé
des décennies à payer des impôts? Et les plus vieux, qui
ont bénéficié de nombreux autres services publics,
devront-ils payer une «taxe de dédommagement à la
collectivité», dépendamment du nombre d'années
pendant lesquelles ils auront contribué à ces services avec
leurs impôts versus la quantité de services utilisés?
La socialisation des coûts
et des responsabilités est une notion totalisante qui mène
inévitablement sur une pente glissante. Le système communiste,
où la société est devenue une prison d'où il est
devenu impossible de s'échapper, en est l'aboutissement logique.
Où cela s'arrêtera-t-il?
La privatisation de
l'éducation — comme celle de la santé — grâce
à la mondialisation et à l'arrivée de nouvelles
technologies est une façon d'échapper à cette logique
infernale. Plus il y aura de jeunes qui seront éduqués
autrement que dans des institutions étatiques traditionnelles, plus il
deviendra difficile de faire cette équation immédiate entre
éducation et dette envers la société. L'éducation
sera vue comme un service qu'on paie à son enfant ou à
soi-même, exactement comme n'importe quel autre bien de consommation.
Les folies des grandes réformes avec leurs compétences
transversales et autres notions socioconstructivistes pourront être
ignorées: elles ne seront plus débattues que par des fanatiques
retranchés dans un système de plus en plus marginalisés.
Nous n'en sommes pas encore
là. Au-delà des possibilités techniques, il faut aussi
une prise de conscience de la part de demandeurs potentiels pour qu'un
nouveau marché se développe. Ceux qui souhaitent contribuer
à la construction d'une société plus libre, et qui sont
étudiants ou ont des enfants qui le sont, peuvent
accélérer ce mouvement en faisant le bon choix: celui
d'éviter dans la mesure du possible tout contact avec le monopole
public d'éducation et de se tourner dès maintenant vers l'une
des nombreuses solutions alternatives qui se développent.
Martin
Masse
Le Quebecois
Libre
Martin Masse est né à Joliette en 1965. Il
est diplômé de l'Université McGill en science politique
et en études est-asiatiques. Il a lancé le cybermagazine
libertarien Le Québécois Libre en février 1998. Il a
été directeur des publications à l’Institut
économique de Montréal de 2000 à 2007. Il a traduit en
2003 le best-seller international de Johan Norberg, Plaidoyer pour la
mondialisation capitaliste, publié au Québec par l'Institut
économique de Montréal avec les Éditions St-Martin et
chez Plon en France.
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