L’avantage de la période estivale est qu’elle donne l’occasion à beaucoup de Français de faire des expériences dont ils n’ont pas l’habitude, à commencer par faire découvrir aux urbains les joies de la campagne. L’inconvénient de la période estivale est qu’elle donne aussi l’occasion à beaucoup de Français de la campagne de découvrir certains Français décidément urbains…
Et d’années en années, les faits divers et les petites histoires dont les journalistes sont friands s’accumulent, montrant de façon de plus en plus claire le décalage croissant entre cette France de la campagne et cette France de la ville.
C’est ainsi qu’on découvrait, il y a quelques années de cela, la consternante histoire d’un couple de Grignols en Dordogne qui fut condamné par la Cour de cassation à reboucher la mare qui leur appartient. En cause : le bruit, insupportable pour les oreilles sensibles des voisins fraîchement installés, des grenouilles qui y avaient élu domicile. L’affaire aurait seulement baigné dans le parfaitement grotesque si elle n’avait pris en plus un tour parfaitement ubuesque lorsqu’on découvre dans le même temps que le Code de l’environnement interdit de toucher à cette mare qui abrite des espèces protégées, garantissant ainsi que le couple serait condamné d’une façon ou d’une autre, et plutôt deux fois qu’une.
Condamnable s’ils bouchent, condamnable s’ils ne la bouchent pas : gageons que l’administration française, ses codes, ses juges et son intelligence hors pair sauront venir à bout de ce petit dilemme quitte à ruiner ce couple qui fera un coupable d’autant plus facile qu’il est solvable.
Rassurez-vous ! Depuis cette affaire de 2017, de l’eau a coulé sous les ponts et la situation, déjà bien pourrie à l’époque, s’est largement détériorée : ce genre d’affaires idiotes, qui n’apparaissait qu’une fois l’an à l’approche des périodes de vacances, est devenu maintenant routinier puisqu’on trouve sans mal, dans les journaux locaux puis dans la presse nationale, de nombreux exemples de ces réclamations et autres dépôts de plaintes pour des raisons de plus en plus farfelues.
Que voulez-vous : le confort de la ville peine à atteindre la campagne et il semble nécessaire, pour les Français des villes, de bien faire comprendre à leurs bouseux compatriotes un peu attardés des campagnes profondes qu’il va devenir nécessaire de hausser quelque peu les standards locaux s’ils veulent continuer à bénéficier de leurs visites et de leur tourisme.
C’est donc ainsi que se multiplient les plaintes contre les inconvénients pourtant ancestraux de la campagne. En effet, Homobobo Festivus ne supporte vraiment pas les cloches des vaches ou de ces clochers ridicules qui tintinnabulent de façon insolente aux petites heures du matin, ni les cocoricos éraillés de volailles bruyantes, ni le crincrin lancinant de ces cigales encombrantes qu’on entend partout (zut et flûte, l’armageddon des insectes n’a pas eu lieu !), ni les déjections d’abeilles (oui, vous avez bien lu), ni les bruits mécaniques assourdissants de moissonneuses qui pourraient fort bien passer plus tard ou un autre jour, merde à la fin.
L’avalanche de plaintes idiotes et de comportements crétins des néoruraux est telle que certains maires doivent prendre des précautions à l’arrivée de ces touristes qui croient un peu trop que leurs états d’âmes sont légitimes, et imaginent sans doute qu’on peut régler ces problèmes comme des soucis de bougies parfumées dans un appartement AirBnB pas exactement conforme aux photos sur le site…
On pourrait croire que ces plaintes tiennent d’un simple malentendu de la part de certains individus pas au fait des us et coutumes des campagnes. Il n’en est rien : c’est bel et bien une véritable lame de fond qui s’empare des campagnes françaises qui voient se multiplier ces comportements. La vie à la ville, devenue progressivement inabordable pour un nombre croissant d’urbains, les pousse à aller voir en campagne s’ils y trouveraient leur bonheur.
L’écologie de bazar, vendue de façon permanente dans tous les médias, qui dépeint une campagne quasi-idyllique et définitivement moins polluée que la ville, plus douce et généreuse que le béton, l’acier et l’asphalte citadins, a fini par prendre racine dans les esprits simplistes de ces populations qui y croient maintenant dur comme fer : tout le monde sait que les campagnes sont plus propres, moins bruyantes et plus douces que la ville, voyons !
Dès lors et à mesure que les conflits (et la consternation) s’empilent, il ne faut pas s’étonner qu’en plus des malheurs des campagnards devant gérer leurs semi-débiles incapables de s’adapter aux conditions spécifiques de la campagne, on doive à présent se taper l’inévitable intervention politique. Et c’est Pierre Morel – un récidiviste de ces colonnes qui s’était déjà illustré dans une affaire de pneus neige – qui s’y colle avec brio puisqu’il entend créer des commissions départementales (la commission étant, comme chacun sait, l’alpha et l’oméga de la décision politique en France) chargées de déterminer les bruits et les odeurs qui font partie prenante de la vie locale, ce qui permettrait d’éteindre rapidement toutes les velléités pour les néoruraux un peu bas du front d’ester en justice.
Il va de soi que la proposition est aussi peu opérationnelle (imaginez des Commissions statuant sur le degré de puanteur acceptable pour un purin ou un lisier campagnard traditionnel, pour rire) qu’intelligente tant le problème ne se situe pas au niveau de la loi mais de l’inadaptation de certains à la vie qu’ils se sont choisie et que ce genre de problèmes ne peut jamais se corriger à coup de circulaires ou de décrets.
Cependant, reconnaissons à notre député qu’il a su se placer dans une tendance lourde du moment puisque la République toute entière est bien lancée en terme de lutte contre les nuisances qui grattent, qui irritent, qui froissent et qui turlupinent : pendant que Pierre le député partira en campagne pour catégoriser bruits et odeurs légitimes, l’administration s’ingéniera quant à elle à installer des radars anti-bruits d’abord dans les Yvelines puis un peu partout, pour en finir une bonne fois pour toutes avec les méchants moteurs qui pétaradent insolemment.
Et ainsi, pendant que la France – Clochemerle partira une nouvelle fois dans ses batailles picrocholines, au moins les Français (de la campagne et de la ville) ne s’occuperont pas trop de la croissance globale du pays en berne ou des renoncements lamentables de nos ministres à tenter la moindre réduction de périmètre d’un État pourtant obèse morbide.
À l’inverse de la crise des Gilets Jaunes où la France campagnarde devait aller à la rencontre de la France de la ville pour lui crier son ras-le-bol de ses taxes, contraintes et interdictions qu’elle entendait lui imposer, c’est maintenant la France de la ville qui va à la rencontre de celle de la campagne et, comme par hasard, qui entend à nouveau lui imposer d’autres règles, contraintes et interdictions.
Le dialogue s’annonce déjà aussi intelligent que fructueux, et si délicieusement adapté aux réalités de terrains qu’on ne doute pas que les uns et les autres finissent par trouver un magnifique terrain d’entente : manifestement, le futur est plein d’avenir et de nouvelles lois indispensables, qui tenteront peut-être de compenser l’ardeur des uns à empiéter sur les platebandes des autres là où le savoir-vivre, un minimum de culture, de bon sens et une dose maintenant massive de coups de pieds au cul auraient résolu les problèmes.
Pas de doute : au vu de la tournure des choses, il semble évident que tout ceci va très bien se terminer.