Aujourd’hui, je vous propose un petit exercice pratique : penchons-nous sur ce qui agite la vie française au-delà des gros titres, déplorables d’ennuis. Bien sûr, le choix que je vous propose est parfaitement partial. Mais j’assume : c’était ça ou torturer un chaton.
Et pour illustrer une journée banale en France, j’ai donc choisi trois petits titres de journaux variés. Un peu de nouvelles locales, un peu de société, un peu de politique, et le petit tour du pays est terminé.
Bien sûr, j’aurais pu utiliser ce que les rédactions ont méticuleusement amené en gros titres pour orienter les pensées des braves gens qui les lisent. Mais en réalité, ces trois petits articles en disent bien plus longs que les grandes manchettes et les polémiques bruyantes : comme dans tout spectacle, si l’on veut comprendre ce qui se passe vraiment, si l’on veut humer la tendance, c’est derrière le rideau qu’il faut regarder ; lorsqu’un magicien lance de la poudre brillante et des fumigènes, lorsqu’il fait de grands gestes et agite sa cape et son chapeau, ce n’est pas lui qu’il faut regarder. C’est l’assistante, c’est le décor, ce sont les coulisses ou c’est ce qui se trouve de l’autre côté de la scène qui donnent les clefs de ce qui se passe en vrai.
Avec la presse, c’est pareil. On peut s’attarder sur le militaire d’extrême-droite (forcément de l’extrême-droite, voyons, il est fécond le ventre-bidule de la bête-machin) qui projetait de tirer sur une mosquée. On peut s’attarder sur les accidents de car pendant les vacances. On peut aussi palpiter sur les déclarations de Valls sur le voile « islamique » à l’Université. Et si on regarde du côté des grands titres de l’économie ou de la politique, on sera aussi pris d’effroi.
Ou bien, on peut regarder derrière les coulisses.
Et là, on découvre presque un autre pays. On découvre que la France, heureuse et généreuse, n’est jamais à court de bisous. C’est même un festival permanent de douceurs et d’arrondissement des angles polis au papier de verre à gros puis à petits grains. Un délice de rondeurs et de finesses qui permettent d’éviter tous les angles et toutes les prises de têtes.
Prenez, par exemple, une banale violation de propriété privée : des retraités voient, régulièrement, une « bande de jeunes de 12 à 15 ans » s’inviter régulièrement dans leur piscine. L’article nous précise tout de suite qu’il y a eu une forte dose de bisous dans cette histoire : ainsi, avant de porter plainte et « dans un souci d’apaisement », les propriétaires ont fait plusieurs « tentatives de dialogue ». Tristesse et étonnement : elles furent totalement inopérantes. C’est ballot. En réponse à leurs petits bisous, ils ont reçu des pierres.
Voilà qui n’est guère câlin. Pour le moment, des tractations sont en cours entre ce qui fait office de police sur place, les éventuels adultes responsables de cette bande de jeunes (si tant est qu’ils existent) et les propriétaires de la piscine privée, tractations dont on se demande à quoi elles peuvent bien aboutir. Et on en vient à se demander ce qui se passera si les retraités s’achètent une paire de dobermans très câlins pour patrouiller leur jardin… Tout, dans cette petite affaire, est fort éclairant tant dans la façon dont elle est relatée dans l’article (une cataracte de gentillesse et de compréhension mutuelle des intervenants) que dans la nature parfaitement ubuesque de la situation.
Et puisqu’on est dans l’incongru, continuons avec une autre de ces pépites lumineuses qui balisent de façon si particulière le petit sentier que nous avons choisi d’emprunter aujourd’hui. Elle nous est offerte par Le Monde, inépuisable réservoir à pleurnicheries de toutes les catégories de populations françaises évidemment opprimées par le grand patronat / les libéraux / la mondialisation et le capitalisme apatride / les Chinois / la Commission Européenne / le sexisme, l’homophobie, le racisme, … (biffez ou panachez les mentions que vous voulez). Et s’il est une catégorie de population qui pleurniche fort, ce sont les politiciens, et notamment lorsqu’ils sentent le pouvoir leur échapper.
Cette fois-ci, il s’agit d’une ministre-déléguée, une certaine Hélène Conway-Mouret. Je l’avais évoquée dans un précédent billet alors qu’elle avait pris sa plume pour m’écrire (à moi et des milliers d’expatriés) une lettre un peu rigolote dans laquelle elle entendait nous faire payer pour les services assez formidables que ses ambassades et consulats nous offraient. Et là, elle a décidé de s’exprimer bruyamment auprès des journalistes du Monde pour leur expliquer, que mes petits amis voyez-vous, non que nenni, la jeunesse ne fuit pas la France parce qu’on s’y sent bien et youpi tralala ; d’ailleurs, elle le dit clairement :
le gouvernement agit pour que chaque jeune, quel que soit son milieu, quelle que soit sa qualification, trouve sa pleine place dans la société française.
Ce qui n’est absolument pas terrifiant puisque depuis qu’il agit pour chaque jeune, et quel que soit son milieu ou sa qualification, il a obtenu des résultats flamboyants :
On peut le voir, depuis que ce gouvernement (et le précédent) s’occupent des jeunes, la joie et la bonne humeur sont de mise et se lisent dans les statistiques. La réalité, c’est bien évidemment qu’il y a, effectivement, une fuite de la jeunesse hors du pays : ceux qui veulent vraiment travailler, qu’ils soient diplômés ou non, n’hésitent plus à regarder ailleurs, au-delà des magnifiques propositions de « contrats de génération », d’ »emplois-francs », d’ »emplois-d’avenir » dont les noms rigolos cachent mal leur nature subventionnée et parfaitement artificielle dans une économie exsangue et sans débouchés. Et c’est d’ailleurs dans le même journal, le Monde, qu’on trouve les réflexions les plus piquantes sur le sujet, par exemple avec les témoignages de jeunes chercheurs, dont on a du mal à se dire qu’ils sont überpositif pour la France. Même si Hélène La Déléguée Du Ministère enrobe la réalité d’une grosse dose de bisous humides et nous dit qu’en réalité, nos jeunes reviennent une fois leur contrat à l’étranger terminé, il est difficile de retrouver cela dans les interjections qu’on lit de ci, de là : « il n’y a actuellement aucun espoir en France », « revenir en France aurait été une régression de carrière », « on suffoque en France ». On pourrait aussi regarder le nombre de demandes de visas de travail dans différents pays (ce que je ferai à l’occasion) ; le résultat ne va pas trop dans le sens de Hélène La Déléguée.
Manifestement, les bisous des uns ne calment pas trop l’envie de partir des autres. Et c’est dommage parce que si tout le monde part, qui fera des câlins aux députés et aux sénateurs qui ont trop travaillé et frôlent à présent le nervousse brèkedonne ? A tout ceux qui s’imaginaient qu’avec les indemnités qu’ils touchaient, nos élus seraient capables de mettre un peu en sourdine leurs petits problèmes d’emploi du temps (dont on pourra s’enquérir sur Nosdeputes.fr), disons tout de suite qu’ils se trompent : c’est avec aplomb que ces derniers se sont ouvertement plaints de leur travail et de la charge immmmmmense qui leur fut imposée par un rythme législatif trop soutenu.
Avec une certaine lucidité, on a même eu le droit à cette jolie saille de Thierry Mandon :
« On a légiféré de manière intense et même excessive. Cela ne peut être qu’un rythme de première année »
Intense voire excessive ? Mais en effet, mon bon Mandon, cela fait même 40 ans que cela dure et qu’il en coûte toujours plus d’emplois, de compétitivité, de tranquillité et de richesse au pays ! En attendant, mon brave Thierry, il faut comprendre qu’avec tes indemnités, tu n’as pas trop le droit de te plaindre du rythme que, finalement, vous vous êtes tous imposés. Qui, à part vous et les ministres, s’est lancé dans une législorrhée carabinée ? Qui, à part vous et les ministres, vous a imposé de produire des lois, des amendements et d’examiner tout ce qui pourrait passer à votre portée ? Qui, sinon vous-même, a décidé qu’il faudrait absolument pondre ces textes en feignant de croire que tout empêchement dans leur production réduirait la France à un champ de ruine ?
Car lorsqu’on entend se plaindre Alain Tourret pleurnicher sur le « véritable harcèlement » qu’ils subissent, sur leur dignité et le respect de leurs personnes, on ne peut s’empêcher de leur dire, d’un cri : « Vous avez raison ! Faites la grève ! Ne légiférez plus ! Tous, autant que vous êtes, n’allez plus en session, cassez-vous, rentrez chez vous où vous n’avez pas ce méchant rythme de travail ». Halte aux cadences infernales !
…
Les coulisses du pays France sont décidément truculentes. Tout n’est plus que luxe, calme et volupté. Les uns distribuent des bisous, les autres les reçoivent, certains en réclament, d’autres vont en chercher ailleurs : ce pays n’est plus qu’une immense ruche bourdonnante du petit bruit chuinté de milles baisers humides.