Un con qui avance, même à petit pas, va toujours plus loin qu’un intellectuel assis… Mais comme c’est un con, il peut lui arriver de trébucher, de petit pas en petit pas, vers le totalitarisme. Et question petits pas, l’État français vient, ces dernières semaines, d’en faire une belle brochette.
Bien sûr, il y a eu, en début d’année, l’étonnant petit trot qui suivit la réduction d’une rédaction journalistique par saturnisme foudroyant : profitant de ce prétexte lacrymogène, l’État et tous ses politiciens les plus veules s’étaient engouffrés dans la brèche en recommandant bien fort que soient pratiquées d’importantes mesures de mises sur écoute du peuple français (puisqu’il semble que lorsqu’un terroriste s’en prend au peuple, c’est la faute du peuple). Comme je le notais alors, et malgré l’évidente inutilité des propositions, tout le monde a pourtant sciemment choisi ce chemin.
Dès lors, il n’est que logique qu’on continue à y trotter vaillamment. Ceux qui ont deux sous de jugeote ou un minimum de culture historique savent très bien ce qui se trouve au bout, mais tant pis, allons-y !
Par exemple, sous le prétexte particulièrement usé de la lutte contre le terrorisme, on persiste à freiner les transactions en liquide (et surtout lorsqu’il s’agit d’acheter des métaux précieux, graine d’anar) ; le méchant billet de 500€ est de toute façon sur la sellette, et le fait que cette lutte contre les méchants qui posent des bombes coïncide ici avec la lutte contre les méchants qui travaillent au noir est totalement fortuit. Tout comme est parfaitement fortuit le fait qu’en même temps, Sapin veuille favoriser le paiement par carte même dans les transactions les plus petites…
Par exemple, sous le prétexte de la meilleure couverture sociale des salariés, on demandera une délation active de la part des entreprises qui auraient, dans leurs sous-traitants, des petits malins en délicatesse avec leur couverture sociale. Voilà en tout cas qui va favoriser de bonnes ententes commerciales, et aider à conserver une bonne ambiance dans tout le pays.
Par exemple, on l’a vu, on va consciencieusement éplucher les habitudes immobilières des contribuables, voire demander un flicage citoyen, parce que louer son bien au travers d’internet, c’est déjà, à la base, une activité louche et qu’elle entrave la bonne collecte de sous-sous pour les municipalités, mais qu’en plus de cet enrichissement scandaleusement capitaliste, tous ces va-et-viens de touristes, ça dérange la tranquillité des voisins.
Par exemple, on va poursuivre en justice celui qui, n’utilisant aucun moyen illégal, se sera procuré au travers d’une bête recherche Google des documents confidentiels laissés au vu et su de tout le monde, sur des serveurs publics, par l’incompétence d’une administration dépassée par une technologie qu’elle ne maîtrise pas. Et lorsque la décision de justice ne plaira pas au petit procureur local, il relancera pour être sûr d’avoir la bonne condamnation, aussi stupide soit-elle.
Plus insidieusement, la dérive évidente d’une législation en foutoir illisible ne doit pas, là encore, au hasard mais bien à l’empilement de bonnes intentions sirupeuses qui aboutissent, par la force des choses, à dessiner une société égalitariste en diable où l’individu sera d’autant plus joyeusement broyé qu’il réclame un retour à des principes de base depuis longtemps oubliés voire honnis.
Plein de bonnes intentions, on a largement distribué des droits exorbitants au locataire voire à l’occupant illégal de propriétés privées, rendant leur expulsion invraisemblablement compliquée, alors qu’il est parallèlement extrêmement simple de pourchasser le propriétaire pour avoir loué son bien en dehors des sentiers battus.
Plein de bonnes intentions, la commission d’enquête parlementaire ouverte après la mort de Rémi Fraisse sur le site du barrage de Sivens dans le Tarn suggère de limiter le droit de manifester, en créant une interdiction administrative dirigée contre les personnes susceptibles d’être violentes, au prétexte de régulariser une pratique existante (même prétexte qui fut utilisé pour la Loi Renseignement, finalement).
Plein de bonnes intentions, le Sénat propose d’aider encore plus la presse. Oui, vous avez bien lu : alors qu’on distribue déjà plus de deux milliards d’euros à cette presse qui n’est plus, maintenant, que la voix fidèle de son maître, le Sénat propose de défiscaliser les dons qu’on peut lui faire en récupérant de façon assez putassière les attentats dont Charlie Hebdo fut l’objet en début d’année.
Et cette presse très docile tombe bien : comme tous ces éléments brossent un tableau bien spécifique, bien particulier, bien glauque, et qu’il ne faudrait surtout pas que tout le monde s’en rend compte (ce serait alors plus compliqué d’obtenir l’assentiment de tous), elle sera mise à contribution dans un renouvellement presque amusant de nombreux articles pleurant sur la trop grande austérité néolibérale qu’on doit subir, sur la dérive droitière, xénophobe et surtout ultralibérale du pays, et sur la tempête d’abandons des services publics que le monde nous envie, laissant sur le carreau un nombre toujours plus grand de malheureux, preuve s’il en est que le pays s’est complètement vendu au turbolibéralisme. Personne ne s’étonnera alors de lire partout (dans Le Monde, Le Figaro, Marianne) les consternantes assertions d’un énarque, ex-inspecteur des finances, qui ne voit que gigalibéralisme qui poudroie partout en France et qui se demandera si, en matière de libertés, la France n’est pas allée trop loin.
Je résume : la propriété privée est devenue une blague, le pays est en train d’être mis massivement sur écoute, on y décourage l’argent liquide (pour l’interdire un jour complètement), la justice a totalement oublié tout espoir de légitimité, on va sévèrement y encadrer les manifestations, et la presse est complètement tenue à coup d’argent public. C’est limpide : le turbolibéralisme a gagné, et bien sûr, tout pointe vers une liberté débridée !
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