C’était fatal, la
« guerre des monnaies » vient de monter d’un cran ! Opposant
initialement les États-Unis aux Chinois, coupables de maintenir
artificiellement bas le cours de leur monnaie, elle s’est ensuite étendue,
les Américains ayant joué le dollar faible tout en s’en défendant. À ces jeux
de bascule, les monnaies convertibles des émergés ont immanquablement
grimpé.
Enregistrant des déficits
commerciaux, les dirigeants japonais viennent d’entrer à leur tour dans la
guerre et de la généraliser. Conséquence : le yen descend par rapport au
dollar, l’euro monte vis-à-vis de l’un comme de l’autre. Levant haut
l’étendard de l’indépendance des banques centrales, choqué par
l’interventionnisme du gouvernement japonais à l’égard de la sienne, Jens
Weidmann a répliqué au nom de la Bundesbank. Il a déploré de voir s’engager
ce qu’il a appelé « une politisation plus forte des taux de
change », ajoutant « jusqu’à présent le système monétaire
international a traversé la crise en évitant une course à la dévaluation et
j’espère beaucoup que cela reste ainsi. »
En tenant ces propos, le
président de la Bundesbank ne fait pas seulement preuve de l’orthodoxie la
plus stricte qu’on lui connait, il se voile également la face. Car la course
à la dévaluation compétitive est belle et bien engagée, le gouvernement
américain ayant tiré le premier, les Britanniques les ayant accompagnés en
jouant à la baisse la livre sterling pour les mêmes raisons. Toute la planète
est désormais à la recherche de points de croissance qui semblent ne pouvoir
provenir que des exportations, sur la lancée d’une mondialisation en fin de
course dont la magie n’opère plus. Mais tout le monde ne pourra pas être
gagnant.
Que font les Européens,
grandes victimes de ces premiers affrontements ? La BCE n’intervient pas,
Mario Draghi rappelant que la valeur de l’euro n’est pas un objectif de la
banque centrale. Aurait-elle d’ailleurs les moyens de s’opposer à une telle
conjonction d’adversaires ? Les analystes font remarquer qu’il lui faudrait,
pour espérer un résultat, entrer dans le territoire inconnu des taux
négatifs, qui consistent à faire payer aux banques leurs dépôts à la BCE. Ce
n’est pas d’actualité, quand tant de charges leur sont imposées, ainsi
qu’elles s’en plaignent.
Où trouver la croissance et
comment résorber la bulle de l’endettement, sont les deux faces d’un même
problème irrésolu. Dans les deux cas, des échappatoires peu convaincantes
sont préconisées : s’appuyer sur les exportations et résorber à grandes
enjambées les déficits publics. Deux grands déséquilibres sont à l’œuvre, qui
touchent à la distribution de la richesse ; ils ont
d’étroits rapports lorsque l’on analyse leurs causes. L’un entre les pays,
qui se manifeste par l’accumulation de surplus commerciaux, l’autre au sein
des sociétés, où les inégalités se poursuivent et s’accroissent.
Les deux sont pernicieux et il
ne suffit pas de reconnaître le second, comme vient de le faire à Davos
Christine Lagarde, en déclarant que « des inégalités trop fortes sont
nuisibles à la croissance, elles sont nuisibles à l’ensemble de la
société », un thème nouveau dans sa bouche. Elle n’a fait ainsi
qu’exprimer une nouvelle préoccupation du FMI, devant la détérioration de la
situation économique et sociale européenne qui se poursuit, qui selon ce
dernier « présente un risque considérable pour les perspectives de
l’économie mondiale » tout en réaffirmant que « l’ajustement
budgétaire » doit être poursuivi. Les plus grandes audaces ont donc
leurs limites, Mario Monti faisant de son côté valoir sur la même tribune que
: « les mesures politiques impopulaires peuvent pourtant être soutenues
si elles sont expliquées simplement (sic) et si leurs effets sont également
répartis pour éviter le sentiment d’injustice »…
Le FMI a partiellement mis en
cause un tabou, en admettant que les pays émergés qui subissent
durement les effets de la guerre des monnaies puissent prendre des mesures
provisoires pour s’en protéger. Mais on est loin du compte. Le rappel au
règlement de Jens Weidmann tourne le dos à la réalité et la perspective d’une
réforme du système monétaire international n’est même plus évoquée. Elle est aussi
dérangeante que ne le sont les mesures de régulation financières
progressivement remises en question.
Avant de rejoindre Davos,
Christine Lagarde avait à ce propos appelé à « achever » la refonte
du système financier. Constatant qu’elle est freinée, elle a eu ces phrases :
« Cela fait partie du jeu. C’est une approche constante du secteur
d’appuyer sur la pédale de frein parce que c’est plus confortable de ne pas
être soumis à une régulation (…) je suis peut-être un peu directe, mais c’est
ce que j’ai appris de mon expérience en tant qu’ancienne ministre des
finances, en ayant observé la profession de près. »
Billet
rédigé par François Leclerc
Son livre,
Les CHRONIQUES DE LA GRANDE PERDITION vient de
paraître
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